Document public
Titre : | Arrêt relatif à la rétention des mineurs étrangers accompagnant leurs parents en centre de rétention administrative : Popov c. France |
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Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 19/01/2012 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 39472/07 |
Note générale : | - Rémi Grand, "La CEDH estime que les mineurs retenus avec leurs parents « tombent dans, un vide juridique", AJDA, n° 3, 30/01/2012, p. 127 - Rétention familiale : condamnation de la France, Recueil Dalloz, n°6, 09/02/2012, p. 363 - Rétention des enfants étrangers : un désaveu cinglant pour les juridictions françaises, Recueil Dalloz, n°13, 29/03/2012, Serge Slama - C. Rodier, "L'arrêt Popov : un répit et une étape", Plein droit, n°92, 03/2012 - Voici venu le temps d'en finir avec la rétention arbitraire des enfants, AJ Penal, 14/05/2012 - Voici venu le temps d'en finir avec la rétention arbitraire des enfants, AJ Penal, 14/05/2012, Serge Slama |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] France [Géographie] Belgique [Mots-clés] Rétention administrative [Mots-clés] Enfant [Mots-clés] Intérêt supérieur de l'enfant [Mots-clés] Situation de famille |
Résumé : |
Les requérants, un couple de ressortissants kazakhstanais, ont quitté leur pays en raison de persécutions du fait de leur origine russe et de leur appartenance à la religion orthodoxe. Munie d’un visa de quinze jours, la femme est arrivée en France en décembre 2002 et elle a été rejointe par son mari en juin 2003. Leurs demandes tant d’asile que de titres de séjours ont été rejeté. Le 27 août 2007, les requérants et leurs enfants, âgés de 3 ans et 5 mois, ont été interpellés et placés en garde à vue. Leur rétention administrative dans un hôtel a été ordonnée. Conduits avec leurs enfants à l’aéroport le lendemain matin en vue de leur éloignement, les requérants n’ont pas pu quitter le territoire en raison de l’annulation de leur vol. Ils ont donc été transférés avec leurs enfants vers le centre de rétention administrative (CRA) de Rouen-Oissel, centre habilité à recevoir les familles. Le 29 août 2007, le juge des libertés et de la détention (JLD) a ordonné, après avoir constaté que le maintien de la famille en rétention n’était pas contraire aux dispositions du décret n°2005-617 du 30 mai 2005 relatif à la rétention administrative et aux zones d’attente, la prolongation de leur rétention pour une durée de quinze jours. Cette ordonnance a été confirmée en appel le 30 août. Une seconde tentative d’expulsion le 11 septembre 2007 a échouée. Le JLD, constatant que l’échec de l’embarquement n’était pas du fait des requérants, a ordonné leur remise en liberté tout en maintenant l’obligation de quitter le territoire. En 2009, les requérants ont finalement obtenu le statut de réfugies.
Les requérants se plaignaient des conditions de leur rétention administrative durant 15 jours au CRA de Rouen-Oissel dans l’attente de leur expulsion. Ils ont introduit deux requêtes devant la CEDH (n° 39472/07 et 39474/07). Concernant l’examen de la rétention des enfants sous l’aspect de l’article 3, la Cour estime que le fait que les enfants étaient accompagnés de leurs parents durant la période de rétention n’est pas de nature à exempter les autorités de leur obligation de protéger les enfants et d’adopter des mesures adéquates et qu’il convient de garder à l’esprit que la situation d’extrême vulnérabilité de l’enfant est déterminante et prédomine sur la qualité d’étranger en séjour illégal. Elle constate qu’à défaut de précisions explicites sur les infrastructures nécessaires à l’équipement de chaque centre habilité à recevoir des familles (le décret du 30 mai 2005 ne mentionnant que la nécessité de fournir des « chambres spécialement équipées, et notamment du matériel de puériculture adapté »), l’aménagement de ces centres dépend de la volonté de chaque chef d’établissement. Le Cour examine les conditions concrètes de la rétention dans le CRA de Rouen-Oissel en constatant que, certes, les familles sont séparées des autres personnes retenues mais que l’aménagement de l’espace et des chambres n’était pas adapté à l’accueil et à la présence des enfants (absence de lits adaptés aux enfants, lits adultes avec des angles en fer pointus, absence d’activités et d’espace de jeux pour enfant, dangerosité de la fermeture automatique des portes de chambre, cour intérieure bétonnée de 20m2 avec vue sur un ciel grillagé). La Cour considère que la durée de rétention des enfants dans ce type de centres, au-delà des conditions matérielles inadaptées, où règnent la promiscuité, le stress, l’insécurité et l’environnement hostile ayant des conséquences néfastes sur les enfants, devrait être limitée autant que possible par les autorités nationales. La Cour considère que la période de quinze jours de rétention, sans être excessive en soi, peut paraître infiniment longue pour des enfants vivant dans un environnement inadapté à leur âge. Les conditions de vie des deux enfants qui étaient certes accompagnés de leurs parents mais se trouvaient dans une situation de particulière vulnérabilité ne pouvaient qu’entraîner une situation d’angoisse et de graves répercutions psychiques. En conséquence, compte tenu du bas âge des enfants, de la durée de leur rétention et des conditions de leur enfermement dans un centre de rétention, la Cour considère que les autorités n’ont pas pris la mesure des conséquences inévitablement dommageables pour les enfants. La Cour conclut donc, à l’unanimité, à la violation de l’article 3 de la Convention. Ensuite, la Cour a également jugé à l’unanimité que, concernant la rétention des enfants, il y a eu violation des articles 5§1f) et §4 (droit à la liberté et à la sûreté). En effet, elle estime d’une part, que les autorités n’ont pas pris en compte la situation particulière des enfants (bien que ceux-ci ont été placés avec leurs parents dans une aile destinée aux familles) et n’ont pas recherché si une solution alternative à la rétention administrative était envisageable et d’autre part que, n’ayant pas fait l’objet ni d’un arrêté d’expulsion, ni de placement en CRA, les enfants « accompagnant » leurs parents n’ont pas eu, en raison d’un vide juridique et contrairement à leurs parents, la possibilité de faire examiner la légalité de leur détention devant un juge. Enfin, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention. Elle relève que la France est l’un des trois pays européens (avec la Belgique et le Royaume-Uni) qui recourent quasiment systématiquement à la rétention de mineurs accompagnés. Elle rappelle qu’il y a un large consensus, notamment en droit international, selon lequel l’intérêt des enfants doit primer dans toutes les décisions les concernant. La Cour estime qu’en l’espèce, les requérants ne présentaient pas de risque de fuite particulier et leur détention n’était donc pas justifiée par un besoin social impérieux et ce d’autant plus que leur assignation dans un hôtel en août 2007 n’avait pas posé de problème. Selon la Cour, il n’apparait pas que les autorités aient recherché une mesure alternative à la détention ou aient tout fait pour exécuter la mesure d’expulsion au plus vite. Elle rappelle sa jurisprudence concernant l’intérêt supérieur de l’enfant dans le contexte de la rétention des mineurs migrants selon laquelle l’intérêt supérieur de l’enfant ne commande pas seulement la préservation de l’unité familiale mais aussi la limitation de la détention des familles accompagnées d’enfants. La Cour conclut donc qu’en l’absence d’éléments permettant de soupçonner que la famille allait se soustraire aux autorités, la détention des requérants pendant 15 jours en CRA, qui constitue une ingérence dans la vie familiale, a été disproportionnée par rapport au but poursuivi. |
ECLI : | ECLI:CE:ECHR:2012:0119JUD |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-108708 |
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Documents numériques (1)
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