
Document public
Titre : | Arrêt relatif à la condamnation de la France pour absence de recours effectif concernant les demandes d'asile traitées selon une procédure prioritaire : I.M. c. France |
est cité par : |
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Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 02/02/2012 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 9152/09 |
Note générale : | Première demande d'asile : la CEDH condamne la procédure prioritaire de la France, ASH, 10/02/2012, p.5 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] France [Mots-clés] Asile [Mots-clés] Reconduite à la frontière [Mots-clés] Rétention administrative [Mots-clés] Recours [Mots-clés] Preuve [Mots-clés] Procédure [Mots-clés] Procédure d'urgence |
Résumé : |
Le requérant est un ressortissant soudanais arrêté dans son pays en raison de ses activités au sein d’un mouvement étudiant et des ses liens supposés avec les groupes rebelles. Il a été placé en détention provisoire en mai 2008 puis placé sous surveillance des autorités soudanaises qui l’ont interrogé chaque semaine en faisant usage de violence. En décembre 2008, muni d’un faux passeport, il a été arrêté à son arrivée à la frontière franco-espagnole pour entrée ou séjour irrégulier sur le territoire national et pour faux et usages de faux. Il dit avoir exprimé, dès ce moment puis pendant son procès devant le tribunal correctionnel où il a été poursuivi pour infraction à la législation sur les étrangers, son souhait de déposer une demande d’asile, sans qu’il en soit tenu compte. Il a été condamné à une peine d’un mois d’emprisonnement et le 7 janvier 2009 un arrêté de reconduite à la frontière a été pris à son encontre. Alors qu’il était détenu, le requérant a contesté cette décision, mais le délai imparti de 48 heures pour faire appel ne lui a pas permis de rédiger sa demande en français mais seulement en arabe. Sa demande a été rejetée au motif qu’il n’y avait aucun élément probant apporté pour appuyer ses allégations de risque de mauvais traitements au Soudan. Il a été également observé que le requérant n’a déposé aucune demande d’asile. Le 16 janvier 2009, il a été placé en rétention en vue de son éloignement. Informé le même jour qu’il avait la possibilité de formuler une demande d’asile, le requérant a déposé sa demande le 19 janvier avec l’aide de CIMADE. Intervenant après la décision de reconduite à la frontière, sa demande enregistrée le 22 janvier a donc été classée en procédure prioritaire (demande reposant sur une « fraude délibérée » ou constituant un « recours abusif à l’asile »). Contrairement à une procédure classique pour laquelle le délai est de 21 jours, la procédure prioritaire est soumise à un délai de 5 jours. Le 30 janvier, le requérant a été entendu par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) pendant une demi-heure. Le requérant indique qu’il n’a pas été en mesure, dans ce bref délai, de préparer efficacement son dossier et de réunir les pièces nécessaires à l’appui de sa demande (certificat médical et attestation de résidence au Darfour). Le 31 janvier, l’OFPRA lui a communiqué le rejet de sa demande que le requérant a contesté devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Le 16 février 2009, le requérant a saisi la CEDH sur le fondement de l’article 39 de son règlement (mesures provisoires), en vue de faire suspendre la mesure de renvoi prise à son encontre et la Cour a fait droit à sa demande. Le 19 février 2011, la CNDA a reconnu le statut du réfugié au requérant.
Devant la CEDH, le requérant invoque notamment le fait de ne pas avoir disposé d’un recours effectifs en France en raison de sa demande d’asile selon la procédure prioritaire. Il appartient à la Cour de s’assurer que les procédures nationales relatives à l’asile et à l’immigration sont effectives et respectent les droits de l’homme. En ce qui concerne la procédure devant l’OFPRA, la Cour relève le caractère automatique de classement de la demande du requérant en procédure prioritaire, lié à un motif d’ordre procédural, et sans relation ni avec les circonstances de l’espèce, ni avec la teneur de la demande et son fondement. Il en résulte que l’examen de la demande du requérant par l’OFPRA selon le mode prioritaire était le seul examen sur le fond en matière d’asile avant son éloignement. Et en l’absence d’une mesure provisoire de la part de la CEDH, le requérant aurait été renvoyé au Soudan. Elle relève que le délai prévu pour la procédure prioritaire de 5 jours, un délai bref et contraignant alors que cette procédure répond au même degré d’exigence qu’une procédure de demande d’asile normale en ce qui concerne l’exigence des documents n’a pas permis au requérant détenu en centre de rétention d’appuyer correctement sa demande. L’OFPRA, avec lequel le requérant a eu un entretien d’une demi-heure alors qu’il s’agissait d’un premier examen au fond, avait motivé sa décision de refus par les incohérences et l’absence d’éléments probants dans la demande du requérant. En ce qui concerne le recours devant le tribunal administratif, la Cour relève le fait que le requérant n’a eu que 48 heures pour préparer son recours contrairement au délai de droit commun de 2 mois concernant les recours administratifs, ce qui ne lui a pas permis d’obtenir les éléments de preuves nécessaires alors que c’est notamment sur cette base que son recours a été rejeté. Il a été également reproché au requérant de ne pas avoir préalablement déposé de demande d’asile alors qu’il n’est pas avéré qu’il en avait effectivement la possibilité. Quant à l’effectivité du système de droit interne pris dans son ensemble, la Cour considère que si les recours exercés par le requérant étaient théoriquement disponibles, leur accessibilité en pratique a été limitée par le classement automatique de sa demande en procédure prioritaire, la brièveté des délais de recours et les difficultés matérielles et procédurales pour apporter des preuves alors qu’il était privé de liberté et qu’il s’agissait d’une première demande d’asile. Elle relève que l’effectivité ainsi réduite des recours exercés par le requérant n’a pas pu être compensé en appel puisque le recours devant la CNDA en procédure prioritaire est dépourvu d’effet suspensif. La Cour en conclut que sans son intervention, le requérant aurait fait l’objet d’un refoulement vers le Soudan, sans que ses demandes aient fait l’objet d’un examen aussi rigoureux que possible. En conséquence, le requérant n’a pas disposé en pratique d’un recours effectif lui permettant de faire valoir son grief tiré de l’article 3 de la Convention. La Cour juge à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 13 (droit à un recours effectif) en combinaison avec l’article 3 (interdiction du traitement inhumain et dégradant) en ce qui concerne l’absence d’un recours effectif au sens de la Convention. |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-108934 |