Document public
Titre : | Arrêt relatif au manquement des autorités françaises à protéger la vie d'un détenu suicidé : Ketreb c. France |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 19/07/2012 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 38447/09 |
Note générale : | Suicide d'un détenu placé en cellule du quartier disciplinaire : la France condamnée, AJ Pénal, n°11, novembre 2012, Jean-Paul Céré |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] France [Mots-clés] Isolement [Mots-clés] Suicide [Mots-clés] Handicap mental [Mots-clés] Administration pénitentiaire |
Résumé : |
Les requérantes sont les sœurs d’un détenu poly-toxicomane, incarcéré en juin 1998 et placé en cellule disciplinaire, qui s’est suicidé en mai 1999. Devant la CEDH, elles soutenaient que les autorités n’avaient pas pris les mesures adéquates pour protéger la vie de leur frère et que celui-ci avait subi une sanction disciplinaire inadaptée à son état psychique.
La CEDH rappelle qu’il découle de l’article 2 de la Convention européenne (droit à la vie) une obligation positive de prendre des mesures préventives afin de protéger l’individu contre autrui ou contre lui-même et que les détenus sont en situation de vulnérabilité. Des mesures et précautions générales peuvent être prises afin de diminuer les risques d’automutilation sans empiéter sur l’autonomie individuelle. Elle réaffirme que dans le cas des malades mentaux, il faut tenir compte de leur particulière vulnérabilité. Elle examine donc si en l’espèce, les autorités savaient ou auraient dû savoir qu’il y avait un risque réel et immédiat que la victime se suicide et, dans l’affirmative, si elles ont fait tout ce que l’ont pouvait raisonnablement attendre d’elles pour prévenir ce risque. Elle relève notamment que l’intéressé était suivi par un psychiatre dès son incarcération, qu’il avait déjà fait deux tentatives de suicide en janvier 1999 alors qu’il était placé en quartier disciplinaire et que les jours précédant son suicide, l’intéressé était très agité et violent ce qui démontrait une aggravation très préoccupante de son état mental. En outre, selon les experts, les conditions de détention en quartier disciplinaire et l’annonce du jugement le condamnant à 5 ans d’emprisonnement ont été les éléments déclenchant son passage à l’acte. La Cour rejette l’argument du gouvernement français selon lequel le personnel pénitentiaire n’avait aucun moyen de savoir ce que contenait le dossier médical de l’intéressé en raison d’une absence de communication et de coordination avec les services médicaux. Ces difficultés relèvent de la responsabilité des autorités internes qui doivent mettre en place un système efficace permettant la diffusion sans délai des informations sur les risques engendrés par l’état de santé des détenus entre les différents intervenants au sein de l’établissement. La Cour estime que les autorités savaient depuis janvier 1999 que le risque d’une nouvelle tentative de suicide était réel et que l’intéressé avait indéniablement besoin d’une surveillance étroite. Enfin, la Cour considère que même si l’intéressé était suivi par des médecins, la décision de le placer en cellule disciplinaire n’a été précédée ou accompagnée d’aucun avis médical particulier. De même, aucune fouille régulière de sa cellule (qui aurait permis de découvrir la ceinture avec laquelle il s’est pendu) n’a été effectuée. Il en résulte que les autorités ont manqué à leur obligation positive de protéger la vie de l’intéressé et qu’il y a donc eu violation de l’article 2 de la Convention. Concernant l’article 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants), la Cour rappelle que dans le cas des malades mentaux, pour apprécier si le traitement ou la sanction sont compatibles avec les exigences de cet article, il faut tenir compte de leur vulnérabilité et de leur incapacité, en certains cas, à se plaindre des effets d’un traitement. En l’espèce, la Cour considère que le placement de l'intéressé en cellule disciplinaire pendant 15 jours et son maintien malgré l’aggravation de son état n’était pas compatible avec le niveau de traitement exigé à l’égard d’une personne atteinte de troubles mentaux. |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-112285 |
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