
Document public
Titre : | Arrêt relatif au maintien en servitude en France d’une mineure étrangère de 16 ans auprès de son oncle et sa tante : C.N. et V. c/ France |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 11/10/2012 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 67724/09 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] France [Géographie] Burundi [Mots-clés] Protection de l'enfance [Mots-clés] Traite des êtres humains [Mots-clés] Migrant [Mots-clés] Violence [Mots-clés] Mineur étranger |
Résumé : |
L’affaire concerne deux sœurs orphelines, contraintes d’effectuer les travaux ménagers et domestiques, sans rétribution ni jours de repos, pendant quatre ans chez leur oncle (un agent diplomatique) et sa femme, ressortissants burundais, vivant en France, auxquels elles étaient confiés par le conseil de famille au Burundi. Agées respectivement de 16 et 10 ans lorsqu’elles sont arrivées en France par l’intermédiaire de leur tante, elles disent avoir vécu dans de mauvaises conditions d’hygiène au sous-sol de la maison, sans être admises à la table familiale (les époux avaient 7 enfants, dont un handicapé) et être victimes de brimades physiques et verbales de la part de leur tante qui les menaçait régulièrement de les renvoyer au Burundi.
La plus âgées des filles affirme avoir eu à s’occuper également, y compris la nuit, du fils handicapés des époux. Sa sœur a été scolarisée et lorsqu’elle rentrait de l’école elle aidait sa sœur aux tâches ménagères. En décembre 1995, un signalement d’enfants en danger a été effectué auprès du procureur de la République mais le dossier a été classé sans suite après enquête de la brigade des mineurs. En janvier 1999, la situation des sœurs a été de nouveau signalée au procureur par une association de protection de l’enfance qui les a pris en charge après qu’elles se soient enfuies du domicile des époux. Ces derniers ont été condamnés en septembre 2007 par le tribunal correctionnel pour l’ensemble des faits qui leur étaient reprochés. Toutefois, en appel, seul la culpabilité de la tante du délit de violences volontaires aggravées à l’encontre de la plus jeune des filles a été confirmée. La CEDH rappelle que l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme qui interdit l’esclavage et le travail forcé consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques et ne prévoit pas de restrictions ni ne souffre d’aucune dérogation même en cas de guerre ou d’autre danger public menaçant la vie de la nation. Après avoir rappelé que le travail forcé ou obligatoire au sens de l’article 4, à savoir celui exigé « sous la menace d’une peine quelconque » est contraire à la volonté de l’intéressé, la Cour souligne qu’il faut le distinguer de ce qui relève de travaux pouvant raisonnablement être exigés au titre de l’entraide familiale ou de la cohabitation. En l’espèce, la Cour estime que la plus âgée des sœurs a été forcée à travailler contre son gré et à fournir un travail d’une telle importance que sans son aide, les époux auraient dû avoir recours à une employée de maison professionnelle et donc rémunérée. Quant à la notion de « sous la menace d’une peine quelconque », la Cour estime que cette condition est satisfaite, puisque les sœurs ont été régulièrement menacées par leur tante de se voir renvoyer au Burundi, pays qui signifiait pour la plus âgée des sœurs la mort et l’abandon de sa jeune sœur. La Cour conclut donc qu’en ce qui concerne l’ainée, celle-ci a bien été soumise à un « travail forcé ou obligatoire » au sens de l’article 4§2. A défaut de preuves, elle ne parvient pas à la même conclusion concernant la cadette. Ensuite, la Cour examine l’existence d’une « servitude » (article 4§1) à savoir, un travail forcé ou obligatoire « aggravé » reposant sur l’impossibilité pour l’intéressé de changer sa condition et qui se distingue du travail forcé par le sentiment de la victime que sa condition est immuable et que sa situation n’est pas susceptible d’évoluer. En l’espèce, l’aînée a eu la conviction qu’elle ne pouvait pas s’émanciper de la tutelle des époux sans se trouver en situation irrégulière, et n'a au aucun espoir de pouvoir travailler à l’extérieur à défaut de formation professionnelle durant 4 ans. La Cour conclut donc qu’elle a été maintenue en état de servitude par les époux contrairement à sa sœur qui, étant scolarisée, évoluait dans une autre sphère et était moins isolée. Enfin, la Cour estime que la France n’a pas remplie l'obligation qui lui incombait au titre de l’article 4 consistant à mettre en place un cadre législatif et administratif permettant de lutter efficacement contre la servitude et le travail forcé. En outre, elle estime qu’en ce qui concerne le volet procédural de l’article 4, les autorités françaises ont mené une enquête effective sur les cas de deux sœurs puisque rien ne permettait de remettre en cause les conclusions de l’enquête diligentée en 1995 par la brigade des mineurs, les intéressées ayant elles mêmes admis que la situation ne s’était pas encore dégradée à l’époque. |
ECLI : | CE:ECHR:2012:1011JUD006772409 |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-113407 |