Document public
Titre : | Décision 2022-228 du 2 janvier 2023 relative à des propos à caractère raciste, prononcés lors d’un déjeuner de Noël, par un supérieur hiérarchique à l’encontre d’une salariée constitutif de harcèlement discriminatoire |
Titre précédent : | |
Accompagne : | |
Auteurs : | Défenseur des droits, Auteur ; Discriminations dans le secteur privé, Auteur |
Type de document : | Décisions |
Année de publication : | 02/01/2023 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 2022-228 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Documents internes] Observations devant une juridiction [Documents internes] Observations devant une juridiction avec décision rendue [Documents internes] Position suivie d’effet [Mots-clés] Emploi [Mots-clés] Emploi privé [Mots-clés] Origine [Mots-clés] Race, Ethnie [Mots-clés] Propos déplacés [Mots-clés] Harcèlement [Mots-clés] Harcèlement moral [Mots-clés] État de santé [Mots-clés] Discrimination |
Mots-clés: | enquête interne ; obligation de sécurité |
Résumé : |
Le Défenseur des droits a été saisi d’une réclamation relative à des difficultés que la réclamante a rencontrées dans le cadre de son emploi, qu’elle estime constitutives de discrimination, en raison de son origine.
La réclamante est embauchée en qualité de gestionnaire sinistres au sein de la société mise en cause, par contrat à durée déterminée de neuf mois, afin de remplacer une salariée en congé maternité. Son contrat à durée déterminée est renouvelé en raison d’un « surcroît d’activité ». Lors d’un dîner organisé par le comité d’entreprise de la société, une collègue, juriste et ancienne supérieure hiérarchique de la réclamante, tient des propos à caractère discriminatoire à l’encontre de cette dernière. Par courriel, envoyé quelques jours après le dîner de Noël, la réclamante écrit à la directrice juridique et supérieure hiérarchique de la réclamante : « Ce mail pour vous informer que mon état psychique et moral s’est dégradé ces derniers mois du fait des paroles et propos tenus à mon égard par Madame X, notamment le 5 décembre 2017, en présence de Monsieur Y. Un courrier d’avocat à l’attention de la direction en expliquant les faits est parti ce jour ». Le lendemain, la réclamante est placée en arrêt maladie par son médecin traitant pour « état dépressif lié aux conditions de travail », jusqu’au terme de son contrat. Le lendemain, le directeur général répond à la réclamante et à son conseil qu’une enquête interne va être initiée. Les auditions de l’enquête interne sont menées quelques jours après. A cette occasion, douze salariés de l’entreprise sont interrogés. Il ressort de l’enquête que les propos dénoncés par la réclamante, dont le contenu exact n’est pas connu, mais dont il est rapporté dans deux attestations qu’ils portaient sur la couleur de peau de la réclamante, ont eu pour effet de mettre mal à l’aise certains des témoins présents, ainsi que la réclamante. De surcroît, il est précisé dans trois attestations que la collègue de la réclamante a exprimé des regrets dès le lendemain de la soirée, concernant les propos qu’elle aurait tenus à cette occasion. En conclusion de la synthèse, il est indiqué qu’à : « l’issue de l’enquête, aucun élément ne permet d’établir […] des faits de harcèlement discriminatoire […] En revanche, il apparaît qu’il a été fait allusion à sa couleur de peau au travers de propos, de provocations, qui ont été ressenties par certaines personnes présentes comme des propos déplacés ». La formation en départage du Conseil des prud’hommes saisi a retenu que : « il est établi que […] a effectué des remarques sur la couleur de peau de la requérante lors du repas de Noël du 5 décembre 2017, lesquelles sont susceptibles de caractériser une discrimination », cependant, il a été jugé que : « à défaut de détailler les autres faits ou propos circonstanciés et répétés invoqués depuis le début de la relation contractuelle, il y a lieu de considérer que [la réclamante] n’établit pas la matérialité de faits précis et concordants permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral.». Le Défenseur des droits a décidé de présenter des observations en droit devant la Cour d’appel compétente en insistant sur le fait qu’un acte unique peut être constitutif d’un harcèlement discriminatoire et sur le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. La Cour d’appel a retenu que : « il est établi que Madame Z a effectué des remarques sur la couleur de peau de la requérante lors du repas de Noël du 5 décembre 2017, lesquelles sont susceptibles de caractériser une discrimination ». Cependant, elle a jugé que : « la référence de la couleur de peau » de la réclamante a été évoquée « dans le contexte très particulier d’un repas festif, indépendant de l’activité professionnelle » et que : « à défaut de détailler les autres faits ou propos circonstanciés et répétés invoqués depuis le début de la relation contractuelle, il y a lieu de considérer que Madame X n’établit pas la matérialité de faits précis et concordants permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral ». De plus, la Cour considère que : « il n’est pas démontré que de tels propos, à connotation raciste, ont été réitérés, alors que l’article L. 1125-1 du Code du travail […] définit le harcèlement moral comme des « agissement répétés » qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié. En conséquence […], la matérialité d’éléments et de faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral n’est pas démontré ». La Cour d’appel juge ainsi qu’il n’existence pas de « harcèlement moral discriminatoire » à l’encontre de la réclamante. Le Défenseur des droits a décidé de présenter des observations en droit devant la Cour de cassation, en faisant valoir que les faits se déroulant dans un environnement professionnel se rattachent nécessairement à la vie professionnelle. Il insiste également sur le fait qu’un acte unique peut être constitutif d’un harcèlement discriminatoire, dès lors que l’agissement porte atteinte à la dignité de la personne et crée pour elle un climat dégradant et humiliant. |
Suivi de la décision : |
Par un arrêt du 15 mai 2024, la Cour de cassation a, au visa des articles L. 1132-1 dans sa rédaction issue de la loi n°2017-256 du 28 février 2017, L. 1134-1 du code du travail et l’article 1er de la loi du 27 mai 2008 dans sa rédaction issue de la loi n°2017-256 du 28 février 2017 cassé l’arrêt rendu par la cour d’appel en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement discriminatoire. La Cour de cassation a en effet considéré qu’ « en statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu’il résultait par ailleurs de ses constatations que des propos à caractère raciste, tenant à la couleur de la peau de la salariée, avaient été tenus par sa supérieure hiérarchique au cours d’un repas de Noël avec des collègues de travail, organisé par le comité d’entreprise, ce dont elle aurait dû déduire que de tels propos relevaient de la vie professionnelle de la salariée et que cette dernière présentait des éléments laissant supposer une discrimination en raison de ses origines » la cour d’appel avait violé les textes susvisés. |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Discrimination - Egalité;Emploi |
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