Document public
Titre : | Arrêt relatif au fait qu'une expulsion du territoire suisse en raison d'anciennes activités criminelles du père de deux enfants porterait atteinte à son droit au respect de sa vie familiale ainsi qu'à l'intérêt supérieur des enfants : Udeh c. Suisse |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 16/04/2013 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 12020/09 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] Allemagne [Géographie] Autriche [Géographie] Suisse [Mots-clés] Reconduite à la frontière [Mots-clés] Maintien des liens [Mots-clés] Situation de famille |
Résumé : |
Un ressortissant nigérian, résidant en Suisse et père de deux enfants nés en 2003 d’une union avec une ressortissante suisse, a été condamné pour trafic de stupéfiants en Autriche en 2001 et Allemagne en 2006. En 2008, il est revenu en Suisse après avoir bénéficié d’une remise en liberté anticipée de la prison allemande où il a purgé sa peine. Or, depuis janvier 2009, il a fait l’objet d’une décision d’expulsion du territoire suisse en raison de ses activités criminelles. Entre temps, il a divorcé de son épouse et est devenu père d’un troisième enfant qu’il a eu avec une autre ressortissante suisse qu’il souhaite d’épouser. L’intéressé ainsi que son ancien épouse et ses enfants, soutiennent que l’exécution du refus d’autorisation du séjour ruinerait leur vie de famille car ni l’épouse, ni les enfants ne pourraient le rejoindre au Nigéria.
La CEDH relève que le comportement criminel de l’intéressé s’est limité aux deux actes (condamnations en Autriche et en Allemagne), dont un fait qui n’a pas été considéré comme pertinent par le tribunal suisse. La Cour estime qu’on ne saurait dès lors dire que le requérant aurait fait preuve d’une véritable énergie ou d’un potentiel criminel. Elle relève que lorsque le tribunal suisse a rendu sa décision en janvier 2009, l’intéressé a séjourné en Suisse depuis plus de 3 ans et demi. Aujourd’hui, à la date de la décision de la CEDH, à défaut d’une mise en œuvre de l’ordre d’éloignement, la durée totale de son séjour en Suisse s’élève à plus de 7 ans et demi. En conséquence, selon la Cour, la Suisse constitue depuis assez longtemps le centre de la vie privée et familiale du requérant. Ensuite, elle relève que le comportement du requérant en prison ainsi qu’après sa remise en liberté était irréprochable. Cette évolution positive, notamment le fait qu’il a été remis en liberté conditionnelle après avoir purgé une partie de sa peine, peut être prise en compte dans la pesée des intérêts en jeu. Par ailleurs, la Cour estime que l’intéressé entretient une relation réelle et étroite avec son ex-épouse et leurs enfants communs et qu’il s’efforce de maintenir un contact régulier avec eux. En conséquence, les requérants peuvent se prévaloir de l’article 8 de la Convention (droit au respect de la vie privée et familiale). La Cour considère que le fait que son épouse ne pouvait pas être au courant au moment de la création de la relation de famille du comportement délictueux par la suite de l’intéressé, joue un rôle considérable dans l’appréciation de la présente affaire. Cependant, la naissance du troisième enfant et le souhait d’épouser sa nouvelle compagne sont des faits qui ne peuvent pas être pris en compte par la Cour, étant donné qu’ils sont intervenus à un moment où le droit du requérant de séjourner en Suisse était déjà précaire. Le requérant ne peut dès lors pas s’en prévaloir, même dans l’hypothèse où il va se marier avec cette personne. La Cour considère que l’éloignement forcé du requérant est susceptible d’avoir pour conséquence que ses enfants du premier mariage grandissent séparés de leur père. Or il est dans l’intérêt supérieur de ces enfants de grandir auprès des deux parents et, eu égard au divorce intervenu, la seule possibilité de maintenir un contact régulier entre le requérant et les deux enfants est de l’autoriser à séjourner en Suisse, étant donné que l’on ne saurait s’attendre que la mère, avec les enfants communs, suive le requérant au Nigéria. En outre, le requérant a fait l’objet d’une interdiction d’entrée sur le territoire suisse en janvier 2011 et valable jusqu’au janvier 2020. La Cour estime que même dans l’hypothèse où les autorités accueilleraient favorablement la demande de levée temporaire ou définitive de l’expulsion, ces mesures temporaires ne sauraient en aucun cas être considérées comme pouvant remplacer le droit des requérants de jouir de leur droit de vivre ensemble, qui constitue l’un des aspects fondamentaux du droit au respect de la vie familiale. En conséquence, eu égard notamment à leurs enfants communs, à la relation familiale qui existe réellement entre le requérant et les enfants ainsi qu’au fait que le requérant a commis une seule infraction grave et que son comportement ultérieur a été irréprochable, ce qui laisse supposer une évolution positive pour l’avenir, la Cour considère que la Suisse a outrepassé la marge d’appréciation dont elle jouissait dans le cas d’espèce. Il y aurait violation de l’article 8 de la Convention européenne si le requérant était expulsé. |
ECLI : | CE:ECHR:2013:0416JUD001202009 |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-118576 |