Document public
Titre : | Décision 2024-063 du 18 avril 2024 relative à la décision d'expulsion prise à l’encontre d’une ressortissante algérienne née en France au regard de la menace grave qu’elle représenterait pour l’ordre public |
Accompagne : | |
Auteurs : | Défenseur des droits, Auteur ; Droits fondamentaux des étrangers, Auteur |
Type de document : | Décisions |
Année de publication : | 18/04/2024 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 2024-063 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Documents internes] Observations devant une juridiction [Documents internes] Observations devant une juridiction avec décision rendue [Documents internes] Position suivie d’effet [Mots-clés] Justice administrative [Mots-clés] Relation des usagers avec les services publics [Mots-clés] Droit des étrangers [Mots-clés] Conditions d'accueil [Mots-clés] Mesure d'éloignement [Mots-clés] Maintien de l'ordre public [Mots-clés] Respect de la vie privée et familiale |
Résumé : |
Le Défenseur des droits a été saisi d’une réclamation relative à un arrêté d’expulsion pris à l’encontre d’une ressortissante algérienne née en France et ayant été emmenée par sa famille en zone syro-irakienne à l’âge de 14 ans. À l’âge de 15 ans, la réclamante a été mariée à un combattant djihadiste avec lequel elle a eu deux enfants. Au mois de janvier 2023, elle a été rapatriée en France avec ses filles en exécution d’un mandat de recherche dans le cadre d’une enquête ouverte du chef de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme. À l’issue de sa garde à vue, la réclamante n’a pas fait l’objet de poursuites judiciaires.
Par la suite, une procédure d’expulsion lui a été notifiée. Saisie conformément à la loi, la Commission d’expulsion des étrangers (Comex) – instance collégiale dont la consultation préalable à l’édiction de l’arrêté d’expulsion est obligatoire dans la majorité des cas – a rendu un avis défavorable à l’expulsion de la réclamante, en relevant notamment que, depuis son rapatriement en France, aucun acte répréhensible ne pouvait lui être reproché. N’étant pas liée par cet avis, la préfecture a décidé d’édicter un arrêté d’expulsion à l’encontre de la réclamante, au motif que sa présence en France constitue une menace grave pour l’ordre public. La réclamante a saisi le tribunal administratif de Lille d’un recours en annulation ainsi que d’un référé suspension à l’encontre de la mesure d’expulsion. Le juge des référés a conclu à l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de la mesure d’expulsion et a ordonné la suspension de l’exécution de l’arrêté d’expulsion et d’assignation à résidence pris à l’encontre de la réclamante. C’est dans ces circonstances que la Défenseure des droits décide de présenter des observations devant le tribunal administratif, dans le cadre de la procédure au fond qui demeure pendante. À titre liminaire, la Défenseure des droits rappelle toute l’importance de l’objectif de sauvegarde de l’ordre public, dont la valeur est constitutionnelle. Elle souligne qu’au nom de cet objectif, des ingérences sont permises dans le droit au respect de la vie privée et familiale tel qu’il est garanti par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDHLF). La mesure d’expulsion des étrangers délinquants, prévue à l’article L.631-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), figure au titre de ces ingérences. Pour garantir un juste équilibre entre la poursuite de l’objectif de sauvegarde de l’ordre public d’une part, et la protection du droit au respect de la vie privée et familiale d’autre part, la loi formalise, au bénéfice de certains étrangers justifiant de très fortes attaches en France, des protections fondées sur des critères objectivables. En revanche, pour les personnes qui, comme la réclamante en l’espèce, ne relèvent pas de ces protections légales, la possibilité de prononcer une mesure d’expulsion est subordonnée à l’unique condition que cette personne représente une menace grave pour l’ordre public. La Défenseure des droits relève que, dans ce cas, la vérification d’une telle condition revêt une dimension particulièrement subjective, la menace grave renvoyant par essence à des faits potentiels, dont la réalisation est crainte mais non avérée. Elle souligne que dans cette hypothèse, la légalité d’une mesure d’expulsion repose principalement sur la justesse de l’intuition ou conviction de l’administration quant à la réalité de la menace représentée par l’étranger. En considération de ce fait et de l’importance des droits fondamentaux qui se trouvent en jeu, la Défenseure des droits estime nécessaire de formuler des observations à l’attention des juridictions lorsqu’elle constate que figurent, dans les situations dont elle se trouve saisie, certains éléments objectivables et tangibles de nature à créer un risque renforcé d’atteinte au droit. En l’occurrence, ces éléments sont l’absence de toute condamnation pénale des faits considérés, le fait que l’appréciation de la menace grave à l’ordre public représentée par la réclamante se fonde dès lors essentiellement sur des éléments rapportés dans une « note blanche », et l’avis défavorable à l’expulsion rendu par la Comex. La Défenseure des droits précise que les observations ainsi formulées, qui ont seulement vocation à éclairer la juridiction dans l’exercice du contrôle normal de l’erreur manifeste d’appréciation qu’elle opère souverainement en matière d’expulsion, sont formulées en droit, sans qu’une instruction contradictoire n’ait été préalablement conduite auprès de l’autorité en cause. Ainsi, les mentions qui peuvent y être faites des éléments factuels de l’espèce ne reposent que sur les informations et pièces transmises par les auteurs de la saisine, sans préjudice de leur éventuelle contestation au cours de l’audience. |
Suivi de la décision : |
Par jugement du 3 mai 2024, le tribunal administratif de Lille a décidé d’annuler les arrêtés d’expulsion et d’assignation à résidence pris à l’encontre de la réclamante et a enjoint à la préfecture de procéder au réexamen de la situation de sa situation dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. La juridiction a en effet considéré que l’autorité préfectorale avait méconnu les dispositions de l’article L.631-1 du Ceseda en considérant que la présence en France de la réclamante constituait une menace grave pour l’ordre public, aux motifs notamment qu’elle n’avait pas été mise en examen à la suite de ses interrogatoires par la direction générale de la sécurité intérieure, qu’elle avait pris ses distances et exprimé son hostilité à l’égard de son milieu d’origine et de la période de sa vie au cours de laquelle elle a vécu en zone syro-irakienne, que son union avec un combattant djihadiste lui avait été imposée, qu’elle avait été contrainte de dire à sa mère qu’elle avait contracté un « mariage numérique » avec une personne proche de la mouvance djihadiste qui lui avait fourni une aide financière, afin de ne pas être traduite devant le tribunal de l’État islamique. Pour finir, la juridiction relève que la réclamante n’entretient pas de relation avec des personnes membres de l’État islamique ou proches de ce mouvement depuis son retour en France, hormis avec une jeune femme française qui a connu un parcours similaire au sien mais qui n’est pas mise en examen par un juge antiterroriste et qui n’a pas gardé de lien avec des personnes membres de la mouvance djihadiste. Le tribunal administratif a également considéré que la mesure d’expulsion prise par l’autorité préfectorale méconnaissait les stipulations de l’article 8 de la CESDHLF compte tenu de l’implication de la réclamante dans le bien-être et l’éducation de ses filles, à l’égard desquelles le tribunal pour enfants a ordonné l’interdiction de sortie du territoire français jusqu’au 28 février 2025, qu’elle avait noué des relations sociales nombreuses et démontrait une réelle volonté de poursuivre son insertion en France. |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Etrangers - Migrants |
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