Document public
Titre : | Arrêt relatif au fait que le statut de réfugié peut être accordé aux femmes s'identifiant à la valeur de l'égalité entre les femmes et les hommes |
Auteurs : | Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 11/06/2024 |
Numéro de décision ou d'affaire : | C-646/21 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Asile [Mots-clés] Égalité femme - homme [Mots-clés] Enfant [Mots-clés] Ressortissant pays tiers [Mots-clés] Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne [Mots-clés] Droits de l'enfant [Mots-clés] Droit des étrangers [Mots-clés] Intérêt supérieur de l'enfant [Géographie] Irak |
Résumé : |
Saisie à titre préjudiciel par le rechtbank Den Haag, zittingsplaats’s-Hertogenbosch (tribunal de La Haye, siégeant à Bois-le-Duc, Pays-Bas), la Cour, réunie en grande chambre, se prononce sur la question de savoir si les ressortissantes d’un pays tiers mineures s’identifiant à la valeur fondamentale de l’égalité entre les femmes et les hommes en conséquence de leur séjour dans un État membre peuvent être considérées comme appartenant à « un certain groupe social », en tant que « motif de persécution » susceptible de conduire à la reconnaissance du statut de réfugié.
K et L sont deux sœurs de nationalité irakienne, nées respectivement en 2003 et en 2005. Elles sont arrivées aux Pays-Bas en 2015 et y séjournent depuis lors sans interruption. Leurs demandes d’asile, introduites en novembre 2015, ont été rejetées en février 2017. En avril 2019, elles ont introduit des demandes ultérieures, lesquelles ont été rejetées, comme manifestement infondées, en décembre 2020. Pour contester ces décisions de rejet, K et L font valoir devant la juridiction de renvoi que, en conséquence de leur séjour de longue durée aux Pays-Bas, elles se sont « occidentalisées ». Elles craignent d’être persécutées en cas de retour en Irak en raison de l’identité qu’elles se sont forgée aux Pays-Bas, marquée par l’assimilation des normes, valeurs et comportements différents de ceux de leur pays d’origine, qui seraient devenus à ce point essentiels pour leur identité et leur conscience qu’elles ne pourraient pas y renoncer. Elles soutiennent ainsi appartenir à un « certain groupe social », au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous d), de la directive 2011/95. Dans ce contexte, la juridiction de renvoi s’interroge, d’une part, sur l’interprétation de la notion d’« appartenance à un certain groupe social » et, d’autre part, sur la manière de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant, garanti à l’article 24, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dans le cadre de la procédure d’examen des demandes de protection internationale. Appréciation de la Cour En premier lieu, la Cour indique qu’un groupe est considéré comme un « certain groupe social » lorsque deux conditions cumulatives sont remplies. D’une part, les personnes susceptibles d’y appartenir doivent partager au moins l’un des trois traits d’identification, à savoir une « caractéristique innée », une « histoire commune qui ne peut être modifiée » ou encore une « caractéristique ou une croyance à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce ». D’autre part, ce groupe doit avoir son « identité propre » dans le pays d’origine « parce qu’il est perçu comme étant différent par la société environnante ». Concernant la première de ces conditions, l’identification effective d’une femme à la valeur fondamentale de l’égalité entre les femmes et les hommes, en ce qu’elle suppose la volonté de bénéficier de cette égalité dans sa vie quotidienne, implique de pouvoir effectuer librement ses propres choix de vie, notamment, en qui concerne son éducation et sa carrière professionnelle, l’étendue et la nature de ses activités dans la sphère publique, la possibilité de parvenir à l’indépendance économique en travaillant à l’extérieur du foyer, sa décision de vivre seule ou en famille et le choix de son partenaire, choix qui sont essentiels dans la détermination de son identité. Dans ces conditions, l’identification effective d’une ressortissante d’un pays tiers à cette valeur fondamentale peut être considérée comme « une caractéristique ou une croyance à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce ». Quant à la seconde condition, relative à l’« identité propre » du groupe dans le pays d’origine, les femmes peuvent être perçues d’une manière différente par la société environnante et se voir reconnaître une identité propre dans cette société, en raison notamment de normes sociales, morales ou juridiques ayant cours dans leur pays d’origine. Satisfont également à cette condition des femmes partageant une caractéristique commune supplémentaire, telle que l’identification effective à la valeur fondamentale de l’égalité entre les femmes et les hommes, lorsque ces normes ayant cours dans leur pays d’origine ont pour conséquence que ces femmes, en raison de cette caractéristique, sont également perçues comme étant différentes par la société environnante. Il s’ensuit que les femmes, y compris mineures, qui partagent comme caractéristique commune l’identification effective à la valeur fondamentale de l’égalité entre les femmes et les hommes, intervenue au cours de leur séjour dans un État membre, peuvent, en fonction des conditions qui prévalent dans le pays d’origine, être considérées comme appartenant à un « certain groupe social », en tant que « motif de persécution » susceptible de conduire à la reconnaissance du statut de réfugié. À cet égard, la Cour souligne que l’identification effective, par une ressortissante d’un pays tiers, à cette valeur fondamentale, intervenue au cours de son séjour dans un État membre, ne saurait être qualifiée de circonstance que cette ressortissante a créée de son propre fait depuis son départ de son pays d’origine, ni d’une activité dont le but unique ou principal était de créer des conditions nécessaires pour présenter une demande de protection internationale. En effet, il suffit de constater que, lorsqu’une telle identification est établie à suffisance de droit, elle ne saurait aucunement être assimilée aux démarches abusives et d’instrumentalisation que l’article 5, paragraphe 3, de la directive 2011/95 entend combattre. En second lieu, la Cour constate que lorsqu’un demandeur de protection internationale est mineur, l’autorité nationale compétente doit nécessairement tenir compte, au terme d’un examen individualisé, de l’intérêt supérieur de ce mineur lorsqu’elle évalue le bien-fondé de sa demande de protection internationale. Sur ce point, la Cour précise, d’une part, que, conformément à l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, les États membres doivent respecter l’article 24, paragraphe 2, de celle-ci dès qu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union et donc également lorsqu’ils examinent une « demande ultérieure ». D’autre part, dès lors que l’article 40, paragraphe 2, de la directive 2013/32 n’opère aucune distinction entre une première demande de protection internationale et une « demande ultérieure » pour ce qui est de la nature des éléments ou des faits susceptibles de démontrer que le demandeur remplit les conditions pour prétendre au statut de bénéficiaire de la protection internationale en vertu de la directive 2011/95, l’évaluation des faits et des circonstances à l’appui de ces demandes doit, dans les deux cas, être menée conformément à l’article 4 de cette dernière directive. En outre, pour évaluer une demande de protection internationale fondée sur un motif de persécution tel que « l’appartenance à un certain groupe social », un séjour de longue durée dans un État membre peut être pris en compte, surtout lorsqu’il coïncide avec une période au cours de laquelle un demandeur mineur a forgé son identité. |
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