Résumé :
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Le Conseil d’État a été saisi d’une action de groupe engagée par six associations portant sur les contrôles d’identité discriminatoires. Il a demandé au Défenseur des droits de déposer des observations écrites.
C’est la première fois que le Conseil d’État est saisi d’une action de groupe.
Dans ses observations, la Défenseure des droits présente, dans un premier temps, la procédure de l’action de groupe ainsi que les enjeux de celle-ci. Celle-ci permet de saisir les discriminations systémiques et collectives et de garantir l’effectivité de la protection contre les discriminations. Cette procédure confie au juge le pouvoir d’enjoindre l’adoption de mesures générales aux personnes mises en cause.
La Défenseure des droits appelle ensuite l’attention du Conseil d’État sur les éléments susceptibles de caractériser le manquement de l’État à ses obligations légales :
• les constats anciens sur l’existence de contrôles d’identité discriminatoires en France (issus de ses divers travaux (décisions, rapports, étude…), des autres rapports) et la surreprésentation de certaines populations issues de l’immigration dans ces contrôles ;
• l’absence de traçabilité des contrôles d’identité (sans suite judiciaire) et d’obligation à cet égard (aucun enregistrement, aucun procès-verbal …) et l’absence d’indication orale des motifs du contrôle, ses conséquences (impossibilité de prouver leur existence, d’identifier leur fondement juridique et leurs motifs, de mesurer le recours aux contrôles et de mesurer les pratiques discriminatoires, difficultés pour exercer les recours et le contrôle du juge). Outre que cette situation peut alimenter le sentiment d’injustice et accroitre le phénomène de non-recours, elle se heurte également aux exigences de transparence et de redevabilité des forces de sécurité ;
• le cadre légal insuffisamment protecteur contre les discriminations : la Défenseure des droits pointe du doigt les contrôles d’identité faits dans le cadre des réquisitions judiciaires, les plus nombreux aujourd’hui et qui sont effectués à partir de critères non objectifs (comportement), mais subjectifs (préjugés, « instinct policier » …) ;
• l’absence de contrôle effectif de l’autorité judiciaire : compte tenu des contraintes pesant sur les parquets et de la demande croissante de réquisitions par les forces de sécurité, il y a une absence de contrôle des réquisitions a priori et a posteriori, malgré une dépêche du 6 mars 2017 qui le demande.
La Défenseure des droits rappelle ensuite que les contrôles d’identité discriminatoires constituent un manquement contraire aux obligations légales de l’État dans le cadre de l’action de groupe (Constitution, engagements conventionnels de la France, telle que la Convention européenne des droits de l’homme telle qu’interprétée par la Cour, l’article R. 434-6 du code de sécurité intérieure…)
La Défenseure des droits présente les mesures correctrices générales susceptibles d’être demandées par le juge à l’État pour faire cesser le manquement :
• réforme du cadre législatif et règlementaire afin d’encadrer davantage les pouvoirs conférés aux forces de sécurité et d’offrir des garanties contre les abus. Ces exigences sont posées par la CEDH et rappelées par plusieurs organes européens de protection des droits de l’homme ;
• garantir l’effectivité du contrôle de l’autorité judiciaire ;
• garantir la transparence et l’effectivité de la protection contre les discriminations (production des données, évaluation officielle de la pratique des contrôles d’identité, exigence de traçabilité des contrôles d’identité et de justification des contrôles) ;
• garantir l’effectivité des enquêtes en cas d’allégation de discriminations raciale ;
• améliorer la formation des forces de sécurité et évaluer celle-ci ;
• renforcer le dialogue police-population.
La Défenseure des droits conclut enfin que ces mesures devraient faire partie d’une stratégie nationale de lutte contre les discriminations et être accompagnée d’un renforcement des moyens des forces de sécurité.
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