Résumé :
|
Dans son arrêt de chambre, rendu dans l’affaire Y c. France, la Cour européenne des droits de l’homme dit, par six voix contre une, qu’il y a eu non-violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme.
Le requérant, qui est une personne biologiquement intersexuée, se plaint du rejet par les juridictions internes de sa demande tendant à ce que la mention « neutre » ou « intersexe » soit inscrite sur son acte de naissance à la place de celle « sexe masculin ».
Examinant l’affaire au regard de l’obligation positive de l’État défendeur de garantir au requérant le respect effectif de sa vie privée, la Cour vérifie si ont été dûment mis en balance l’intérêt général et les intérêts de celui-ci.
La Cour relève tout d’abord qu’un aspect essentiel de l’intimité de la personne se trouve au cœur même de l’affaire dans la mesure où l’identité de genre y est en cause et reconnaît que la discordance entre l’identité biologique du requérant et son identité juridique est de nature à provoquer chez lui souffrance et anxiété.
La Cour reconnaît ensuite que les motifs tirés du respect du principe de l’indisponibilité de l’état des personnes et de la nécessité de préserver la cohérence et la sécurité des actes de l’état civil ainsi que l’organisation sociale et juridique du système français, avancés par les autorités nationales pour refuser la demande du requérant, sont pertinents. Elle prend également en considération le motif tiré de ce que la reconnaissance par le juge d’un « sexe neutre » aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français et impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination.
Après avoir relevé que la cour d’appel a considéré qu’accueillir la demande du requérant reviendrait à reconnaître l’existence d’une autre catégorie sexuelle et donc à exercer une fonction normative, qui relève en principe du pouvoir législatif et non du pouvoir judiciaire, la Cour note que le respect du principe de séparation des pouvoirs, sans lequel il n’y a pas de démocratie, se trouvait donc au cœur des considérations des juridictions internes.
Reconnaissant que, même si le requérant précise qu’il ne réclame pas la consécration d’un droit général à la reconnaissance d’un troisième genre mais seulement la rectification de son état civil, faire droit à sa demande aurait nécessairement pour conséquence que l’État défendeur serait appelé, en vertu de ses obligations au titre de l’article 46 de la Convention, à modifier en ce sens son droit interne, la Cour considère qu’elle doit elle aussi faire preuve de réserve en l’espèce.
En effet, lorsque des questions de politique générale sont en jeu, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans un État démocratique, il y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle de décideur national. Il en va d’autant plus ainsi lorsque, comme en l’espèce, il s’agit d’une question qui relève d’un choix de société. En l’absence de consensus européen en la matière, il convient donc de laisser à l’État défendeur le soin de déterminer à quel rythme et jusqu’à quel point il convient de répondre aux demandes des personnes intersexuées, telles que le requérant, en matière d’état civil, en tenant dûment compte de la difficile situation dans laquelle elles se trouvent au regard du droit au respect de la vie privée en particulier du fait de l’inadéquation entre le cadre juridique et leur réalité biologique.
La Cour conclut que l’État défendeur, compte tenu de la marge d’appréciation dont il disposait, n’a pas méconnu son obligation positive de garantir au requérant le respect effectif de sa vie privée, et qu’il n’y a donc pas en violation de l’article 8 de la Convention.
|