
Document public
Titre : | Arrêt relatif à une législation nationale prévoyant la publication de données à caractère personnel contenues dans des déclarations d’intérêts privés de personnes travaillant dans le service public : OT (Lituanie) |
Auteurs : | Grande chambre, Cour de justice de l'Union européenne, Auteur ; Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 01/08/2022 |
Numéro de décision ou d'affaire : | C-184/20 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] Lituanie [Mots-clés] Technologies du numérique [Mots-clés] Internet [Mots-clés] Informatique et libertés [Mots-clés] Données personnelles [Mots-clés] Libertés publiques et individuelles [Mots-clés] Respect de la vie privée et familiale [Mots-clés] Identité de genre [Mots-clés] Orientation sexuelle [Mots-clés] Agent public [Mots-clés] Législation |
Mots-clés: | RGPD |
Résumé : |
La Haute commission est une autorité publique chargée notamment de veiller à l’application de la loi sur la conciliation des intérêts et, en particulier, de recueillir les déclarations d’intérêts privés et d’en assurer le contrôle.
OT exerce les fonctions de directeur de QP, un établissement de droit lituanien percevant des fonds publics actif dans le domaine de la protection de l’environnement. Par une décision du 7 février 2018, la Haute commission a constaté que, en ayant omis de déposer une déclaration d’intérêts privés, OT avait contrevenu à l’article 3, paragraphe 2, et à l’article 4, paragraphe 1, de la loi sur la conciliation des intérêts. Le 6 mars 2018, OT a introduit devant la juridiction de renvoi un recours en annulation contre cette décision. À l’appui de celui-ci, OT soutient, d’une part, qu’il ne figure pas au nombre des personnes soumises à l’obligation de déclaration des intérêts privés, telles que visées à l’article 2, paragraphe 1, de la loi sur la conciliation des intérêts. En effet, en sa qualité de directeur de QP, il ne serait pas investi de compétences d’administration publique et n’assurerait pas la prestation d’un quelconque service public à la population. En outre, QP, en tant qu’organisation non gouvernementale, exercerait son activité de manière indépendante par rapport aux pouvoirs publics. D’autre part, et en tout état de cause, à supposer qu’il soit contraint de déposer une déclaration d’intérêts privés, OT allègue que la publication de celle-ci porterait atteinte tant à son droit au respect de sa vie privée qu’à celui des autres personnes qu’il serait, le cas échéant, tenu de mentionner dans sa déclaration. La Haute commission fait valoir que, en tant qu’il était investi de compétences administratives au sein d’un établissement bénéficiant d’un financement provenant de fonds structurels de l’Union et du budget de l’État lituanien, OT était tenu de déposer une déclaration d’intérêts privés, et ce même s’il n’était pas fonctionnaire et à supposer même qu’il n’exerçait pas de compétences d’administration publique. En outre, la Haute commission fait observer que, si la publication d’une telle déclaration est susceptible de constituer une ingérence dans la vie privée de l’intéressé et de son conjoint, cette ingérence serait prévue par la loi sur la conciliation des intérêts. La juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à la compatibilité du régime prévu par la loi sur la conciliation des intérêts avec l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, sous c) et e), et paragraphe 3, du RGPD ainsi qu’avec l’article 9, paragraphe 1, de celui-ci. Elle considère que les données à caractère personnel contenues dans une déclaration d’intérêts privés sont susceptibles de révéler des informations sur la vie privée du déclarant et de son conjoint, concubin ou partenaire ainsi que de ses enfants, de telle sorte que leur divulgation est de nature à violer le droit des personnes concernées au respect de leur vie privée. En effet, ces données seraient susceptibles de dévoiler des informations particulièrement sensibles, comme le fait que la personne concernée vit en concubinage ou avec une personne de même sexe, dont la divulgation risquerait d’entraîner d’importants désagréments dans la vie privée de ces personnes. Les données concernant les cadeaux reçus et les transactions réalisées, par le déclarant et son conjoint, son concubin ou son partenaire, dévoileraient également certains détails de leur vie privée. Les données concernant les proches ou les connaissances du déclarant susceptibles d’être à l’origine d’un conflit d’intérêts révéleraient par ailleurs des informations sur la famille du déclarant et sur ses relations personnelles. Selon la juridiction de renvoi, si la loi sur la conciliation des intérêts a pour objectif de garantir le respect du principe de transparence dans l’exercice des fonctions publiques, en particulier lors de la prise de décisions concernant la mise en œuvre de l’intérêt public, la publication sur Internet d’éléments susceptibles d’influencer la prise de telles décisions n’est pas nécessaire pour atteindre ledit objectif. En effet, la communication des données à caractère personnel aux organismes visés à l’article 5 de cette loi ainsi que la mission de contrôle assignée aux organes visés à l’article 22 de ladite loi constitueraient des mesures suffisantes pour assurer la réalisation dudit objectif. Dans ces conditions, le Vilniaus apygardos administracinis teismas (tribunal administratif régional de Vilnius, Lituanie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes : « 1) Eu égard aux exigences énoncées à l’article 6, paragraphe 3, du [RGPD], notamment celle selon laquelle le droit des États membres doit répondre à un objectif d’intérêt public et être proportionné à l’objectif légitime poursuivi, ainsi qu’aux articles 7 et 8 de la [Charte], convient-il d’interpréter la condition énoncée à l’article 6, paragraphe 1[, premier alinéa,] sous e), dudit règlement, selon laquelle le traitement [des données à caractère personnel] doit être nécessaire à l’exécution d’une mission d’intérêt public ou relevant de l’exercice de l’autorité publique dont est investi le responsable du traitement, en ce sens que le droit national ne saurait exiger la divulgation des données figurant dans des déclarations d’intérêts privés et la publication desdites données sur le site Internet du responsable du traitement – la [Haute commission] –, ce qui rend ces données accessibles à toutes les personnes qui ont la possibilité d’utiliser l’Internet ? 2) Eu égard aux conditions énoncées à l’article 9, paragraphe 2, du [RGPD], notamment celle énoncée au point g) de cette disposition, selon laquelle le traitement [des données à caractère personnel] doit être nécessaire pour des motifs d’intérêt public important, sur la base du droit de l’Union ou du droit d’un État membre qui doit être proportionné à l’objectif poursuivi, respecter l’essence du droit à la protection des données et prévoir des mesures appropriées et spécifiques pour la sauvegarde des droits fondamentaux et des intérêts de la personne concernée, ainsi qu’aux articles 7 et 8 de la Charte, convient-il d’interpréter l’interdiction de traiter certaines catégories de données à caractère personnel énoncée à l’article 9, paragraphe 1, dudit règlement en ce sens que le droit national ne peut exiger la divulgation de données figurant dans des déclarations d’intérêts privés qui sont susceptibles de révéler des données à caractère personnel, entre autres des données qui permettent de connaître les opinions politiques, l’appartenance syndicale ou l’orientation sexuelle ou d’autres informations de nature personnelle d’une personne, et la publication desdites données sur le site Internet du responsable du traitement – la [Haute commission] –, ce qui rend ces données accessibles à toutes les personnes qui ont la possibilité d’utiliser l’Internet ? » La Cour de justice de l’Union européenne (grande chambre) décide : 1) L’article 7, sous c), de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), et paragraphe 3, du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données), lus à la lumière des articles 7, 8 et 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale prévoyant la publication en ligne de la déclaration d’intérêts privés que tout directeur d’un établissement percevant des fonds publics est tenu de déposer, en tant, notamment, que cette publication porte sur des données nominatives relatives à son conjoint, concubin ou partenaire ainsi qu’aux personnes proches ou connues du déclarant susceptibles de donner lieu à un conflit d’intérêts, ou encore sur toute transaction conclue au cours des douze derniers mois civils dont la valeur excède 3 000 euros. 2) L’article 8, paragraphe 1, de la directive 95/46 et l’article 9, paragraphe 1, du règlement 2016/679 doivent être interprétés en ce sens que la publication, sur le site Internet de l’autorité publique chargée de collecter et de contrôler la teneur des déclarations d’intérêts privés, de données à caractère personnel susceptibles de divulguer indirectement l’orientation sexuelle d’une personne physique constitue un traitement portant sur des catégories particulières de données à caractère personnel, au sens de ces dispositions. |
ECLI : | EU:C:2022:601 |
En ligne : | https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=EDFA45E5C11D3DDF932B4D0DED68A88E |