Titre : | Décision 2022-001 du 7 janvier 2022 relative à une tierce intervention devant la Cour européenne des droits de l'homme portant sur les mesures d’assignation à résidence prévues à l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, tel que modifiée par la loi du 20 novembre 2015 |
Accompagne : |
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Auteurs : | Défenseur des droits, Auteur ; Expertise, Auteur |
Type de document : | Décisions |
Année de publication : | 07/01/2022 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 2022-001 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Documents internes] Tierce intervention [Documents internes] Observations devant une juridiction [Documents internes] Observations devant une juridiction avec décision rendue [Documents internes] Visa CEDH [Documents internes] Position partiellement suivie d’effet [Mots-clés] État d'urgence [Mots-clés] Maintien de l'ordre public [Mots-clés] Terrorisme [Mots-clés] Assignation à résidence [Mots-clés] Libertés publiques et individuelles [Mots-clés] Liberté d'aller et venir [Mots-clés] Droit à la liberté et à la sûreté [Mots-clés] Droit à un procès équitable [Mots-clés] Ministère de l'Intérieur [Mots-clés] Législation [Mots-clés] Prévention [Mots-clés] Justice [Mots-clés] Procédure [Mots-clés] Service de renseignement [Mots-clés] Relation des usagers avec les services publics |
Mots-clés: | contradictoire ; proportionnalité |
Résumé : |
Le Défenseur des droits a été autorisé par la Cour européenne des droits de l’homme à intervenir dans la procédure Domenjoud c. France (requêtes n°34749/16 et n°79607/17), portant sur la question la conformité à la Convention européenne des droits de l’homme des mesures d’assignation à résidence prononcées sur le fondement de l’article 6 de la loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, tel que modifié par la loi du 20 novembre 2015.
Sur la qualification de la mesure d’assignation à résidence au regard de l’article 5 de la Convention et de l’article 2 du Protocole n°4, le Défenseur des droits a rappelé la jurisprudence de la Cour. Il existe une différence de degré ou d’intensité entre privation de liberté et restriction de liberté. Le Défenseur des droits a précisé que la notion de privation de liberté au sens de l’article 5 de la Convention devait s’interpréter de manière autonome et a, par conséquent, invité la Cour à analyser in concreto la mesure restrictive de liberté dont elle est saisie, ses modalités d’exécution, les autres obligations l’accompagnant, ainsi que leurs effets cumulés et combinés sur la situation du requérant, pour apprécier le degré de privation de liberté. Le Défenseur des droits a indiqué qu’il était, en tout état de cause, fondamental que soit assurée la compensation du caractère exorbitant des pouvoirs de l’administration en termes de restriction des droits et libertés dans le cadre de l’état d’urgence, régime d’exception, par l’existence dans la loi de garanties suffisantes afin d’éviter tout risque d’abus et d’arbitraire de la part de l’administration ; garanties exigées tant par l’article 5 que l’article 2 du Protocole n°4. Le Défenseur des droits a par ailleurs soumis que l’article 6 de la loi de 1955 ne répondait pas aux exigences de clarté et de prévisibilité de la loi posées par la Convention, quant à son champ d’application, notamment quant aux catégories de personnes susceptibles d’être visées par la mesure d’assignation à résidence. En effet, les termes « raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics » manquent de clarté et de précision et conduisent à faire reposer la mesure sur des allégations, des supputations, ou encore des suspicions de l’administration. Le Défenseur des droits s’est appuyé sur la jurisprudence pertinente de la Cour, la doctrine et des observations d’experts internationaux qui vont dans le même sens. Dès janvier 2016, dans un avis sur l’état d’urgence, il a recommandé d’encadrer davantage les mesures de l’état d’urgence en posant des limites matérielles et temporelles et d’exiger un lien de causalité strict entre les motifs de la mesure prise et ceux de l’état d’urgence. Se prononçant sur les exigences de nécessité et de proportionnalité posées par la Convention et en particulier l’article 15 invoqué par les autorités françaises, le Défenseur des droits a invité la Cour à examiner si les mesures prises étaient « strictement exigées » par la situation. Le Défenseur des droits constate à cet égard que l’article 6 de la loi de 1955 n’exigeait aucun lien entre la nature de la menace pour la sécurité et l’ordre publics justifiant l’assignation à résidence d’un individu et le « péril imminent » à l’origine de la mise en place de l’état d’urgence, à savoir la menace terroriste ; ce que soulignent également les parlementaires français. Il a en outre été rappelé que, bien que le gouvernement ait eu recours à l’article 15 de la Convention, cet article ne confère pas aux États un « pouvoir illimité » s’agissant des droits et libertés sujets à dérogation, tels que l’article 5 et l’article 6 de la Convention. Enfin, le Défenseur des droits a constaté que le recours fréquent aux « notes blanches » dans le cadre de l’état d’urgence entrainait un déséquilibre au détriment de l’assigné à résidence en ce que la contestation de l'exactitude des faits évoqués par ces notes constitue une réelle difficulté probatoire de par l’imprécision des informations qui y sont contenues et leur caractère non-circonstancié. De plus, ce déséquilibre n’est pas compensé par des garanties suffisantes car la loi ne prévoit pas de modalités procédurales de mise en œuvre du contradictoire sur les éléments de preuve confidentiels tels que les données des services du renseignement, permettant de compenser les limitations portées au respect des principes du contradictoire et de l’égalité des armes, comme l’exige l’article 6 de la Convention. |
Suivi de la décision : |
Par un arrêt rendu le 16 mai 2024, Domenjoud c. France, portant sur l’assignation à résidence fondée sur l’état d’urgence de la loi du 3 avril 1955, lors de la COP 21 en novembre 2015, de deux militants écologistes, la Cour a constaté une non-violation de l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (droit à la liberté et à la sûreté) et de l’article 2 du protocole n°4 (liberté de circulation) pour le premier requérant. Elle a en revanche conclu à une violation de cet article pour le second requérant. La Cour a enfin jugé que la mesure n’était pas couverte à l’égard de ce dernier par la dérogation notifiée par la France au titre de l’article 15 (dérogation en cas d’état d’urgence). En premier lieu, allant dans le même sens que le Défenseur des droits s’agissant de la qualification des mesures d’assignation à résidence au regard des articles de la Convention précités, la Cour, appliquant sa jurisprudence, a analysé in concreto les mesures, ses modalités d’exécution, les autres obligations les accompagnant, ainsi que leurs effets cumulés et combinés sur la situation des requérants, pour apprécier le degré de privation de liberté. C’est ainsi que la Cour a qualifié les mesures de simples restrictions à la liberté de circulation (article 2 du Protocole n°4) et a relevé que les mesures n’ont pas « privé les requérants de la possibilité de mener une vie sociale et d’entretenir des relations avec l’extérieur », ces derniers ayant « eu la possibilité de solliciter des sauf-conduits afin de pouvoir quitter temporairement leur lieu de résidence ». En second lieu, sur la qualité de la loi, la Cour a rappelé que la loi sur l’état d’urgence ne peut permettre aux autorités d’adopter des mesures restrictives de liberté dénuées de lien avec les circonstances ayant justifié sa mise en œuvre sans manquer à l’exigence de prévisibilité de la loi. Cependant, elle a tempéré son propos en affirmant que les autorités peuvent être contraintes de faire des choix opérationnels afin de faire face à l’ensemble de leurs responsabilités. Rappelant notamment sa jurisprudence Pagerie et Fanouni c. France, elle a donc jugé que la base légale des mesures était prévisible et a admis que le but poursuivi lors de la déclaration de l’état d’urgence et la justification des mesures prises sur son fondement pouvait être indirect, s’il était suffisamment fort pour prévenir les abus. Cette position ne va pas dans le sens des observations du Défenseur des droits qui a soutenu que la loi était imprévisible au regard des exigences posées par la Cour. En troisième lieu, sur la nécessité des mesures et la mise en œuvre de garanties contre l’arbitraire, la Cour a rappelé que si les autorités internes disposent d’une marge d’appréciation, cela ne les exonère pas de faire reposer ces mesures préventives d’assignation à résidence sur des exigences substantielles et procédurales. Sur le recours aux « notes blanches » pour des motifs de sécurité nationale, la Cour ne s’y oppose pas, confirmant sa jurisprudence précédente, Pagerie c. France. Cependant, ces notes comme les arrêtés d’assignation à résidence doivent détailler les actes ou les comportements concrets sur lesquels les autorités se fondent pour motiver la mesure. Dans la seconde affaire, la Cour a constaté que ce n’était pas le cas et que ce défaut d’information n’avait pas été compensé par le contrôle juridictionnel, lequel doit être une garantie « solide » (elle reproche notamment au juge national l’absence de demande de complément d’instruction, le fait de n’avoir pas tiré les conséquences du défaut de preuves apportés par l’administration, l’interprétation et l’extrapolation du contenu des notes blanches et l’insuffisance de motivation d’une décision sur les arguments du requérant). Ces exigences vont dans le sens des observations du Défenseur des droits qui rappellent la nécessité de garanties procédurales élevées en présence de mesures préventives d’assignation à résidence. A ces garanties, s’ajoute, selon la Cour, l’exigence d’une évaluation individuelle et circonstanciée du comportement et des actes de la personne permettant d’établir le risque visé par la mesure d’assignation à résidence. Elle a estimé que cela n’a pas été fait en l’espèce, rappelant en outre que la radicalité des convictions politiques d’un individu ne suffit pas à matérialiser un tel risque et que l’existence d’un lien de parenté avec une personne susceptible de commettre des infractions ne suffit pas à justifier une mesure de prévention. En dernier lieu, allant dans le sens du Défenseur des droits qui rappelle que le recours à l’article 15 de la Convention ne confère pas aux Etats un « pouvoir illimité » s’agissant des droits et libertés sujets à dérogation, la Cour estime qu’il n’est pas établi que la mesure prise pour l’un des deux requérants soit strictement exigée par la situation au sens de l’article 15 c’est-à-dire si elle s’inscrivait dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Etat d'urgence - Terrorisme - Radicalisation |
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