Document public
Titre : | Arrêt relatif au rejet d'une requête portant sur les opérations et traitements de féminisation subis par une personne intersexuée sans son consentement pendant son enfance et son adolescence et à la prescription de l'action publique concernant ces actes médicaux : M. c. France |
Titre précédent : | |
est cité par : | |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 26/04/2022 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 42821/18 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] France [Mots-clés] Intersexuation [Mots-clés] Enfant [Mots-clés] Droit du patient [Mots-clés] Information du patient [Mots-clés] Santé - soins [Mots-clés] Acte médical [Mots-clés] Soins sans consentement [Mots-clés] Violence [Mots-clés] Traitement inhumain et dégradant [Mots-clés] Procédure pénale [Mots-clés] Prescription [Mots-clés] Droit d'accès à un tribunal [Mots-clés] Sexe [Mots-clés] Recours |
Résumé : |
L'affaire concerne une personne née en 1977 "en état d'intersexuation" ayant subi durant son enfance et son adolescence cinq opérations chirurgicales et des traitements médicaux destinés à la faire correspondre physiquement au sexe féminin, que l'intéressée qualifie d' "arbitraires et expérimentaux".
La requérante indique que le programme de féminisation qu’elle a subi est un échec : en conséquence des opérations qu’elle a endurées elle s’est vue reconnaître le statut de travailleur handicapé, vit de l’allocation qu’elle perçoit à ce titre, demeure dans l’impossibilité de trouver un emploi stable et rencontre des difficultés d’insertion sociale et économique. Elle souligne aussi que ses parents n’ont reçu qu’une information incomplète et fallacieuse au moment de sa naissance et lors de sa prise en charge, que la décision de la « féminiser » a été prise alors qu’elle était trop jeune pour consentir et qu’elle n’a pas par la suite été informée du but des traitements qui lui ont été administrés. Elle n’en aurait eu connaissance qu’à l’âge de 23 ans, par hasard, à l’occasion de l’interception d’un courrier adressé en février 2020 à la commission technique d’orientation et de reclassement professionnel dans le contexte de la demande d’allocation pour adultes handicapés qu’elle avait formulée. La requérante ajoute que les médecins impliqués dans sa prise en charge ont continué « à lui cacher le sens de son état et le but des opérations ». Ce ne serait qu’en 2014 qu’elle aurait pu rencontrer un professionnel compétent (psychologue clinicien). En novembre 2015, la requérante a déposé une plainte contre X avec constitution de partie civile devant la doyenne des juges d’instruction d'un tribunal de grande instance. Visant les articles 222-9, 222-10 et 222-14 du code pénal, la plainte dénonçait « des violences volontaires, violences volontaires sur mineur de 15 ans ou personne vulnérable, violences habituelles sur mineur de 15 ans ou personne vulnérable, violences ayant entraîné une mutilation ou une informité permanente sur mineur de 15 ans ou personne vulnérable, matérialisées par plusieurs opérations et interventions chirurgicales non consenties et ayant entraîné des préjudicies tant physiques que moraux », subis depuis 1978. Toutefois, la doyenne des juges d'instruction du tribunal de grande instance a constaté la prescription des faits de la plainte de la partie-civile et a dit qu'il n'y a lieu à informer. La requérante a contesté en vain cette décision. Elle s'est pourvu en cassation en reprochant à la chambre de l'instruction de la cour d'appel de ne pas avoir retenu qu’il y avait en sa cause un « obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites » de nature à suspendre le cours de la prescription, elle dénonçait une violation de l’article 6 de la Convention et de l’article 7 du code de procédure pénale. Elle faisait valoir à cet égard que l’existence d’un tel obstacle doit s’apprécier au regard de la possibilité effective qu’ont les parties susceptibles d’engager les poursuites compte tenu des informations dont elles disposent, de mettre en mouvement l’action publique, et que, contrairement à ce que la chambre de l’instruction avait retenu, le poids d’une pensée dominante lorsqu’il conduit à maintenir une personne dans l’ignorance du fait qu’elle avait subi des actes susceptibles de recevoir une qualification pénale, est de nature à constituer un tel obstacle. La Cour de cassation a toutefois rejeté le pourvoi en considérant que la chambre de l'instruction a justifié sa décision dès lors que seul un obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites peut justifier la suspension de la prescription de l’action publique et que la partie civile a été, à sa majorité, puis dans le délai de la prescription de l’action publique, en mesure de connaître tant la réalité que la finalité des interventions chirurgicales subies et des traitements suivis. Invoquant l’article 3 de la Convention, la requérante se plaint devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) de ce qu’en raison du refus d’informer opposé à sa plainte avec constitution de partie civile au motif qu’en l’absence d’« obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites », l’action publique était prescrite, elle n’a pas bénéficié d’une enquête officielle et effective s’agissant des actes médicaux de « féminisation » qu’elle a subis, alors que de tels actes relèvent de cette disposition dès lors qu’ils sont réalisés sans nécessité médicale et sans le consentement du patient. Elle se plaint également d’un manquement de l’État à son obligation de prendre des mesures effectives pour protéger les individus vulnérables, tels que les enfants, contre les mauvais traitements infligés par d’autres individus. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante soutient que le refus d’informer opposé à sa plainte avec constitution de partie civile est constitutif d’une violation de son droit d’accès à un tribunal. Introduite devant la CEDH le 4 septembre 2018, la requête a été communiquée au gouvernement français le 22 septembre 2020, puis publiée le 12 octobre 2020. La Cour déclare la requête irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes. La voie d’une action en responsabilité civile n’était pas fermée lorsque la requérante a opté pour la plainte avec constitution de partie civile devant la doyenne des juges d’instruction, l’action en responsabilité civile se prescrivant par dix ans à compter de la consolidation du dommage corporel dénoncé, ce délai passant à 20 ans en cas de dommage causé par, notamment, des tortures ou des actes de barbarie, ou des violences commises contre un mineur, ce qui correspond à ce dont se plaint la requérante. Or celle-ci fait elle-même valoir dans ses écritures devant la Cour que le dommage qu’elle dénonce n’est pas consolidé à ce jour. Par ailleurs, il ressort des observations du Gouvernement que la possibilité de saisir la juridiction administrative d’une action en responsabilité dirigée contre l’hôpital public restait ouverte à la requérante. On ne peut donc considérer que la requérante s’est vu priver, du seul fait qu’un refus de poursuivre l’information judiciaire a été opposé à sa plainte avec constitution de partie civile, de l’accès à un tribunal pour faire statuer sur ses droits de caractère civil. |
ECLI : | CE:ECHR:2022:0426DEC004282118 |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Santé - Soins |
En ligne : | https://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-217430 |