
Document public
Titre : | Arrêt relatif au fait que le rétablissement du contrôle des frontières intérieures au-delà de six mois par un Etat n’est possible qu’en cas d’apparition d’une nouvelle menace grave : NW (Autriche) |
Auteurs : | Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 26/04/2022 |
Numéro de décision ou d'affaire : | C‑368/20 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] Union européenne (UE) [Géographie] Autriche [Géographie] Slovénie [Mots-clés] Droit des étrangers [Mots-clés] Ressortissant UE [Mots-clés] Contrôle frontière [Mots-clés] Réglementation [Mots-clés] Libertés publiques et individuelles [Mots-clés] Liberté d'aller et venir [Mots-clés] Justice [Mots-clés] Sécurité publique [Mots-clés] Droit européen |
Mots-clés: | Ordre public ; Schengen |
Résumé : |
De septembre 2015 à novembre 2021, la République d’Autriche a réintroduit, à plusieurs reprises, un contrôle à ses frontières avec la Hongrie et la Slovénie. Afin de justifier la réintroduction de ce contrôle, cet État membre s’est fondé sur différentes dispositions du code frontières Schengen (1). En particulier, à partir du 11 novembre 2017, il s’est fondé sur l’article 25 de ce code, intitulé « Cadre général pour la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures », qui prévoit la possibilité pour un État membre de réintroduire le contrôle à ses frontières intérieures en cas de menace grave pour son ordre public ou sa sécurité intérieure et fixe des périodes maximales dans lesquelles un tel contrôle peut être réintroduit.
En août 2019, NW, en provenance de Slovénie, a fait l’objet d’une vérification aux frontières au point de passage transfrontalier de Spielfeld (Autriche). Ayant refusé de présenter son passeport, il a été déclaré coupable d’avoir franchi la frontière autrichienne sans être muni d’un document de voyage et a été condamné au paiement d’une amende. En novembre 2019, NW a été soumis à une autre vérification aux frontières au même point de passage transfrontalier. Devant la juridiction de renvoi, il a contesté la légalité de ces deux vérifications. La juridiction de renvoi s’interroge sur la compatibilité avec le droit de l’Union des vérifications dont NW a fait l’objet ainsi que de la sanction qui lui a été imposée. En effet, lorsque les mesures de contrôle contestées sont intervenues, la réintroduction, par l’Autriche, du contrôle à sa frontière avec la Slovénie avait déjà, de par l’effet cumulé de l’application de périodes de contrôle successives, dépassé la durée totale maximale de six mois prévue par l’article 25 du code frontières Schengen. Par son arrêt, la Cour, réunie en grande chambre, dit pour droit que le code frontières Schengen s’oppose à la réintroduction temporaire par un État membre du contrôle aux frontières intérieures fondée sur une menace grave pour son ordre public ou sa sécurité intérieure lorsque la durée de celle-ci dépasse la durée totale maximale de six mois et qu’il n’existe pas de nouvelle menace qui justifierait de faire une nouvelle application des périodes prévues par le code. Ce même code s’oppose à une réglementation nationale par laquelle un État membre oblige, sous peine de sanction, une personne à présenter un passeport ou une carte d’identité lors de son entrée sur le territoire de cet État membre par une frontière intérieure, lorsque la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures dans le cadre duquel cette obligation est imposée est elle-même contraire audit code. En ce qui concerne la réintroduction temporaire par un État membre du contrôle aux frontières intérieures fondée sur une menace grave pour son ordre public ou sa sécurité intérieure (2), la Cour rappelle, tout d’abord, qu’il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie. S’agissant, tout d’abord, du libellé de l’article 25 du code frontières Schengen, la Cour observe que les termes « ne peut excéder six mois » tendent à exclure toute possibilité de dépasser cette durée. En ce qui concerne, ensuite, le contexte dans lequel s’inscrit l’article 25 de ce code, la Cour note, premièrement, que cette disposition fixe avec clarté et précision les durées maximales tant pour la réintroduction initiale du contrôle aux frontières intérieures que pour toute prolongation de ce contrôle, y compris la durée totale maximale applicable à un tel contrôle. Deuxièmement, ladite disposition constitue une exception au principe selon lequel les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans que des vérifications y soient effectuées sur les personnes, quelle que soit leur nationalité (3). Dans la mesure où les exceptions à la libre circulation des personnes sont d’interprétation stricte, la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures devrait rester exceptionnelle et ne devrait intervenir qu’en dernier recours. Ainsi, cette interprétation stricte milite en défaveur d’une interprétation de l’article 25 dudit code selon laquelle la persistance de la menace initialement identifiée (4) suffirait à justifier la réintroduction de ce contrôle au-delà de la période d’une durée totale maximale de six mois prévue à cette disposition. En effet, une telle interprétation reviendrait à permettre, en pratique, cette réintroduction en raison d’une même menace pour une durée illimitée, portant ainsi atteinte au principe même de l’absence de contrôle aux frontières intérieures. Troisièmement, interpréter l’article 25 du code frontières Schengen en ce sens que, dans le cas d’une menace grave, un État membre pourrait dépasser la durée totale maximale de six mois pour le contrôle aux frontières intérieures priverait de sens la distinction opérée par le législateur de l’Union entre, d’une part, les contrôles aux frontières intérieures réintroduits au titre de cet article et, d’autre part, ceux réintroduits au titre de l’article 29 de ce code (5), pour lesquels la durée totale maximale de la réintroduction d’un contrôle aux frontières intérieures ne peut pas dépasser deux ans (6). Enfin, la Cour souligne que le but poursuivi par la règle relative à la durée totale maximale de six mois s’inscrit dans l’objectif général consistant à concilier le principe de libre circulation avec l’intérêt des États membres à assurer la sécurité de leurs territoires. À cet égard, s’il est vrai qu’une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure d’un État membre dans l’espace sans contrôle aux frontières intérieures n’est pas nécessairement limitée dans le temps, le législateur de l’Union a estimé qu’une période de six mois était suffisante pour que l’État membre concerné adopte des mesures permettant de faire face à une telle menace tout en préservant, après cette période de six mois, le principe de libre circulation. Par conséquent, la Cour considère que ladite période d’une durée totale maximale de six mois est impérative, de sorte que tout contrôle aux frontières intérieures réintroduit au titre de l’article 25 après l’écoulement de cette période est incompatible avec le code frontières Schengen. Toutefois, une telle période peut être appliquée de nouveau uniquement dans le cas où l’État membre concerné démontre l’existence d’une nouvelle menace grave affectant son ordre public ou sa sécurité intérieure. Afin d’apprécier si une menace donnée est nouvelle par rapport à celle initialement identifiée, il convient de se référer aux circonstances à l’origine de la nécessité de réintroduire le contrôle aux frontières intérieures, ainsi qu’aux circonstances et aux événements qui constituent une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure de l’État membre concerné (7). Par ailleurs, la Cour constate que l’article 72 TFUE (8) ne permet pas à un État membre de réintroduire, afin de faire face à une telle menace, des contrôles temporaires aux frontières intérieures fondés sur les articles 25 et 27 du code frontières Schengen pendant une période dépassant la durée totale maximale de six mois. En effet, eu égard à l’importance fondamentale que revêt la libre circulation des personnes parmi les objectifs de l’Union et à la manière détaillée dont le législateur de l’Union a encadré la possibilité pour les États membres d’interférer avec cette liberté par la réintroduction temporaire de contrôles aux frontières intérieures, en prévoyant cette règle relative à la durée totale maximale de six mois, ce législateur a dûment tenu compte de l’exercice des responsabilités qui incombent aux États membres en matière d’ordre public et de sécurité intérieure. Notes : 1 Règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2016, L 77, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2016/1624 du Parlement européen et du Conseil, du 14 septembre 2016 (JO 2016, L 251, p. 1). Ce règlement a remplacé le règlement (CE) no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2006, L 105, p. 1). 2 La Cour examine, plus précisément, les articles 25 et 27 du code frontières Schengen. L’article 27 de ce code prévoit la procédure de réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures au titre de l’article 25 de celui-ci. 3 Voir, en ce sens, l’article 22 du code frontières Schengen, ainsi que l’article 3, paragraphe 2, TUE et à l’article 67, paragraphe 2, TFUE. 4 Même appréciée au regard d’éléments nouveaux ou d’une réévaluation de la nécessité et de la proportionnalité du contrôle mis en place pour y répondre. 5 Lorsque des circonstances exceptionnelles mettent en péril le fonctionnement global de l’espace sans contrôle aux frontières intérieures, l’article 29 du code prévoit la possibilité pour les États membres de réintroduire, sur la base d’une recommandation du Conseil, des contrôles aux frontières intérieures. 6 Cela étant, la Cour précise que la réintroduction de contrôles aux frontières intérieures au titre de l’article 29 du code pour une durée totale maximale de deux ans n’empêche pas l’État membre concerné de réintroduire, en cas de survenance d’une nouvelle menace grave pour son ordre public ou sa sécurité intérieure, directement après la fin de ces deux ans, des contrôles au titre de l’article 25 de ce code pour une durée totale maximale de six mois, pour autant que les conditions prévues à cette dernière disposition soient satisfaites. 7 Article 27, paragraphe 1, sous a), du code frontières Schengen. 8 Cette disposition prévoit que le titre V du traité FUE ne porte pas atteinte à l’exercice des responsabilités qui incombent aux États membres pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure. |
Note de contenu : | Affaires jointes C‑368/20 et C‑369/20. |
ECLI : | EU:C:2022:298 |
En ligne : | https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=258262 |