Document public
Titre : | Arrêt relatif au fait que le principe d’égalité de traitement des travailleurs intérimaires prévu par la directive 2008/104 est applicable à des salariés mis à disposition, par une entreprise de travail intérimaire auprès d’une agence de l’Union |
Auteurs : | Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 11/11/2021 |
Numéro de décision ou d'affaire : | C‑948/19 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] Lituanie [Mots-clés] Droit européen [Mots-clés] Emploi [Mots-clés] Contrat de travail [Mots-clés] Contrat d'intérim [Mots-clés] Entreprise [Mots-clés] Égalité femme - homme [Mots-clés] Égalité de traitement [Mots-clés] Réglementation [Mots-clés] Directive européenne |
Mots-clés: | Droit du travail |
Résumé : |
Manpower Lit, une entreprise de travail intérimaire lituanienne, a mis à la disposition de l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE), une agence de l’Union établie à Vilnius (Lituanie), cinq employés en tant que, respectivement, assistantes et informaticien. Après que leurs relations d’emploi avec Manpower Lit ont pris fin entre le mois d’avril et le mois de décembre 2018, ces employés, estimant que des arriérés de rémunération leur étaient dus, ont saisi la Valstybinės darbo inspekcijos Vilniaus teritorinio skyriaus Darbo ginčų komisija (commission des litiges de droit du travail de la section territoriale de Vilnius de l’inspection du travail, Lituanie) afin d’en obtenir le paiement.
Par décision du 20 juin 2018, cette commission, compte tenu de la disposition du code du travail transposant en droit lituanien le principe d’égalité de traitement des travailleurs intérimaires énoncé par la directive 2008/104 (1), a ordonné le recouvrement desdits arriérés, estimant que les employés en cause exerçaient de fait les fonctions de membres du personnel permanent de l’EIGE et que leurs conditions de rémunération devraient correspondre à celles appliquées par celui-ci à ses agents contractuels. Le recours qu’elle a introduit à l’encontre de cette décision ayant été rejeté, tant en première instance qu’en appel, Manpower Lit a formé un pourvoi en cassation devant le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie). Cette juridiction a décidé d’interroger la Cour afin de savoir si le principe d’égalité de traitement des travailleurs intérimaires prévu par la directive 2008/104 est applicable au principal, compte tenu du fait que la qualité d’utilisateur recourant aux services de mise à disposition de travailleurs intérimaires appartient à une agence de l’Union. Dans son arrêt, la Cour confirme l’applicabilité de la directive 2008/104, y compris des dispositions visant à assurer le respect du principe d’égalité de traitement, au litige au principal. Appréciation de la Cour La Cour analyse, en premier lieu, le champ d’application de la directive 2008/104. À cet égard, la Cour indique que trois conditions (2) doivent être remplies par l’EIGE pour que la directive soit applicable, à savoir que celui-ci doit relever de la notion d’« entreprises publiques et privées », correspondre à une « entreprise utilisatrice » et exercer une « activité économique ». S’agissant de la question de savoir si l’EIGE peut être considéré comme une « entreprise utilisatrice » (3), la Cour relève que les employés en cause ont travaillé, en tant que travailleurs intérimaires, de manière temporaire pour l’EIGE et sous le contrôle et la direction de celui-ci. Par ailleurs, cette agence de l’Union doit être considérée comme une « personne morale », au sens de la directive. La Cour en conclut que l’EIGE est, dans ce contexte, une « entreprise utilisatrice ». Quant à la portée des notions d’« entreprises publiques et privées » et d’« activité économique », ces notions n’étant pas définies dans la directive, la Cour se penche sur la question de savoir si l’EIGE exerce une activité économique consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné. À cet égard, elle constate, tout d’abord, que les activités de cette agence de l’Union ne relèvent pas de l’exercice des prérogatives de puissance publique et ne sont en conséquence pas exclues de la qualification d’activité économique. Ensuite, compte tenu de certaines activités de l’EIGE, énumérées dans le règlement no 1922/2006 (4), il existe des marchés sur lesquels opèrent des entreprises commerciales se trouvant en relation de concurrence avec l’EIGE. La circonstance que, dans l’exercice de ces activités, l’EIGE ne poursuive pas un but lucratif est dénuée de pertinence. Enfin, les recettes de l’EIGE comprennent (5) notamment les paiements effectués en rémunération des services rendus, ce qui vient confirmer que le législateur de l’Union a envisagé que celui-ci agirait, du moins partiellement, en tant qu’acteur du marché. Ainsi, la Cour conclut que l’EIGE doit être considéré comme exerçant, à tout le moins en partie, une activité consistant à offrir des services sur un marché donné, et, par conséquent, que relève du champ d’application de la directive 2008/104 la mise à disposition, par une entreprise de travail intérimaire, de personnes ayant conclu un contrat de travail avec cette entreprise auprès de l’EIGE pour y fournir des prestations de travail. En second lieu, la Cour examine la question de savoir si l’emploi occupé par un travailleur intérimaire mis à la disposition de l’EIGE est susceptible d’être considéré comme constituant le « même poste » au sens de la directive 2008/104, au vu du fait que, selon cette directive (6), les conditions essentielles de travail et d’emploi des travailleurs intérimaires doivent être, pendant la durée de leur mission auprès d’une entreprise utilisatrice, au moins celles qui leur seraient applicables s’ils étaient recrutés directement par ladite entreprise pour y occuper le même poste. Concernant la possibilité de comparer les conditions de travail et d’emploi des travailleurs intérimaires avec celles du personnel de l’EIGE employé sur le fondement du statut des fonctionnaires, la Cour rejette l’argument de la Commission européenne selon lequel cette comparaison pourrait enfreindre les articles 335 TFUE, accordant à l’Union la capacité juridique la plus large reconnue aux personnes morales par les législations nationales, et 336 TFUE, sur l’adoption, par le législateur de l’Union, du statut des fonctionnaires. En effet, cette comparaison n’a aucunement pour conséquence de conférer le statut de fonctionnaire aux travailleurs intérimaires. La Cour précise qu’en l’absence d’une réglementation spécifique, lorsque les agences de l’Union recourent à des travailleurs intérimaires sur la base de contrats conclus avec des entreprises de travail intérimaire, le principe d’égalité de traitement s’applique pleinement à ces travailleurs au cours des missions qu’ils effectuent au sein d’une telle agence. La Cour conclut que l’emploi occupé par un travailleur intérimaire mis à la disposition de l’EIGE est susceptible d’être considéré comme constituant le « même poste », au sens de la directive, même en supposant que tous les emplois pour lesquels l’EIGE recrute des travailleurs directement comprennent des tâches qui ne peuvent être accomplies que par des personnes soumises au statut des fonctionnaires de l’Union. 1. Article 5 de la directive 2008/104/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 novembre 2008, relative au travail intérimaire (JO 2008, L 327, p. 9). 2. Prévues à l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive. En vertu de cette disposition, la directive est applicable aux entreprises publiques et privées qui sont des entreprises de travail intérimaire ou des entreprises utilisatrices exerçant une activité économique, qu’elles poursuivent ou non un but lucratif. 3. Au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous d), de la directive, à savoir « toute personne physique ou morale pour laquelle et sous le contrôle et la direction de laquelle un travailleur intérimaire travaille de manière temporaire ». 4. Article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1922/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 20 décembre 2006, portant création d’un Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (JO 2006, L 403, p. 9), où figure notamment, sous g), l’organisation des conférences, des campagnes et des réunions au niveau européen. 5. Conformément à l’article 14, paragraphe 3, sous b), du règlement no 1922/2006. 6. Article 5, paragraphe 1, de cette directive. |
ECLI : | EU:C:2021:906 |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Emploi |
En ligne : | https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=249065 |