Document public
Titre : | Arrêt relatif au fait que l'Incrimination de l'aide aux demandeurs d'asile est une violation du droit de l'Union européenne : Commission européenne (Hongrie) |
Auteurs : | Grande chambre, Cour de justice de l'Union européenne, Auteur ; Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 16/11/2021 |
Numéro de décision ou d'affaire : | C‑821/19 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] Hongrie [Mots-clés] Droit européen [Mots-clés] Directive européenne [Mots-clés] Droit des étrangers [Mots-clés] Asile [Mots-clés] Titre de séjour [Mots-clés] Association [Mots-clés] Accueil [Mots-clés] Infraction [Mots-clés] Justice [Mots-clés] Justice pénale [Mots-clés] Responsabilité [Mots-clés] Responsabilité pénale [Mots-clés] Procédure [Mots-clés] Politique publique |
Mots-clés: | protection internationale |
Résumé : |
En 2018, la Hongrie a modifié certaines lois concernant les mesures contre l’immigration irrégulière et adopté, notamment, des dispositions qui ont, d’une part, introduit un nouveau motif d’irrecevabilité des demandes d’asile et, d’autre part, prévu l’incrimination des activités d’organisation visant à faciliter l’introduction de demandes d’asile, par des personnes n’ayant pas droit à l’asile en vertu du droit hongrois, ainsi que des restrictions à la liberté de mouvement pour les personnes soupçonnées d’avoir commis une telle infraction.
Estimant que, en adoptant ces dispositions, la Hongrie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des directives « procédures » (1) et « accueil » (2), la Commission européenne a introduit un recours en manquement devant la Cour. La Cour, réunie en grande chambre, a accueilli l’essentiel du recours de la Commission. Appréciation de la Cour Premièrement, la Cour juge que la Hongrie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive « procédures » (3), en permettant de rejeter comme étant irrecevable une demande de protection internationale au motif que le demandeur est arrivé sur son territoire par un État dans lequel il n’est pas exposé à des persécutions ou à un risque d’atteintes graves, ou dans lequel un degré de protection adéquat est assuré. En effet, la directive « procédures » (4) énumère de manière exhaustive les situations dans lesquelles les États membres peuvent considérer une demande de protection internationale comme étant irrecevable. Or, le motif d’irrecevabilité introduit par la réglementation hongroise ne correspond à aucune de ces situations (5). Deuxièmement, la Cour juge que la Hongrie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des directives « procédures » (6) et « accueil » (7), en réprimant pénalement dans son droit interne le comportement de toute personne qui, dans le cadre d’une activité d’organisation, fournit une aide à la présentation ou à l’introduction d’une demande d’asile sur son territoire, lorsqu’il peut être prouvé, au-delà de tout doute raisonnable, que cette personne avait conscience du fait que cette demande ne pouvait être accueillie, en vertu de ce droit. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour examine, d’une part, si la réglementation hongroise prévoyant cette infraction constitue une restriction aux droits découlant des directives « procédures » et « accueil » et, d’autre part, si cette restriction est susceptible d’être justifiée au regard du droit de l’Union. Ainsi, en premier lieu, après avoir vérifié que certaines activités d’assistance aux demandeurs de protection internationale visées par les directives « procédures » et « accueil » relèvent du champ d’application de la réglementation hongroise, la Cour constate que celle-ci constitue une restriction aux droits consacrés par ces directives. Plus particulièrement, cette réglementation restreint, d’une part, les droits d’accéder aux demandeurs de protections internationale et de communiquer avec ceux-ci (8) et, d’autre part, l’effectivité du droit garanti au demandeur d’asile de pouvoir consulter, à ses frais, un conseil juridique ou un autre conseiller (9). En second lieu, la Cour considère qu’une telle restriction ne peut être justifiée par les objectifs invoqués par le législateur hongrois, à savoir la lutte contre l’aide apportée au recours abusif à la procédure d’asile et contre l’immigration illégale fondée sur la tromperie. Concernant le premier objectif, la Cour relève que la réglementation hongroise réprime également des comportements qui ne peuvent être considérés comme des pratiques frauduleuses ou abusives. En effet, dès qu’il peut être prouvé que la personne concernée avait connaissance du fait que l’individu, qu’elle a assisté, ne pouvait obtenir le statut de réfugié en vertu du droit hongrois, toute aide fournie, dans le cadre d’une activité d’organisation, afin de faciliter la présentation ou l’introduction d’une demande d’asile, est susceptible d’être sanctionnée pénalement, même si cette aide est apportée en respectant les règles procédurales et sans volonté d’induire matériellement en erreur l’autorité responsable de la détermination. Ainsi, tout d’abord, s’exposerait à des poursuites pénales quiconque aiderait à présenter ou à introduire une demande d’asile, alors qu’il sait que cette demande ne peut aboutir au regard des règles du droit hongrois, mais qu’il estime que ces règles sont contraires, notamment, au droit de l’Union. Partant, les demandeurs peuvent être privés d’une assistance qui leur permettrait de contester, à un stade ultérieur de la procédure d’octroi d’asile, la régularité de la réglementation nationale applicable à leur situation au regard, notamment, du droit de l’Union. Ensuite, cette réglementation réprime l’aide fournie à une personne afin de présenter ou d’introduire une demande d’asile lorsque cette personne n’a pas subi de persécutions et n’est pas exposée à un risque de persécutions dans au moins un État par lequel elle a transité avant d’arriver en Hongrie. Or, la directive « procédures » s’oppose à ce qu’une demande d’asile soit rejetée comme irrecevable pour un tel motif. Partant, une telle aide ne peut, en aucun cas, être assimilée à une pratique frauduleuse ou abusive. Enfin, en ce qu’elle n’exclut pas qu’une personne soit sanctionnée pénalement dès qu’il peut être concrètement établi qu’elle ne pouvait ignorer que le demandeur qu’elle a aidé ne satisfaisait pas aux conditions pour obtenir l’asile, la Cour relève que cette réglementation impose aux personnes désireuses d’apporter une telle aide d’examiner, dès la présentation ou l’introduction de la demande, si cette demande est susceptible d’aboutir en vertu du droit hongrois. Or, d’une part, un tel contrôle ne saurait être attendu de ces personnes, d’autant que les demandeurs peuvent avoir des difficultés à faire valoir, dès ce stade, les éléments pertinents leur permettant d’obtenir le statut de réfugié. D’autre part, le risque, pour les personnes concernées, d’être exposées à une sanction pénale particulièrement sévère, à savoir la privation de liberté, au seul motif qu’elles ne pouvaient ignorer que la demande d’asile était vouée à l’échec, rend incertaine la légalité de toute aide destinée à permettre l’accomplissement de ces deux étapes essentielles de la procédure d’octroi d’asile. Cette réglementation peut ainsi dissuader fortement toute personne désireuse d’apporter une aide à ces étapes de la procédure, alors même que cette assistance vise uniquement à permettre au ressortissant d’un pays tiers d’exercer son droit fondamental de solliciter l’asile dans un État membre, et va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visant à lutter contre les pratiques frauduleuses ou abusives. Concernant le second objectif poursuivi par la réglementation hongroise, la Cour constate que la fourniture d’une assistance en vue de présenter ou d’introduire une demande d’asile dans un État membre ne saurait être considérée comme une activité favorisant l’entrée ou le séjour irréguliers d’un ressortissant d’un pays tiers dans cet État membre, de sorte que l’incrimination instaurée par la réglementation hongroise ne constitue pas une mesure apte à poursuivre un tel objectif. Dans un dernier temps, la Cour juge que la Hongrie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des directives « procédures » (10) et « accueil » (11), en privant du droit de s’approcher de ses frontières extérieures toute personne suspectée d’avoir, dans le cadre d’une activité d’organisation, fourni une aide à la présentation ou à l’introduction d’une demande d’asile sur son territoire, alors qu’il peut être prouvé, au-delà de tout doute raisonnable, que cette personne avait conscience du fait que cette demande ne pouvait être accueillie. Cette réglementation limite les droits qui sont garantis par ces directives, dès lors que la personne concernée est suspectée d’avoir commis une infraction, en fournissant une aide dans les circonstances précitées, alors même que l’incrimination pénale de ce comportement est contraire au droit de l’Union. Il s’ensuit qu’une telle restriction ne saurait être raisonnablement justifiée au regard de ce même droit. (1) Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60) (ci-après la « directive “procédures” »). (2) Directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 96) (ci-après la « directive “accueil” »). (3) Article 33, paragraphe 2, de la directive « procédures », qui énumère les situations dans lesquelles les États membres peuvent considérer une demande de protection internationale comme étant irrecevable. (4) Article 33, paragraphe 2, de la directive « procédures ». (5) Voir arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság (C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, points 149, 151 et 161 à 164) (CP no 60/20). (6) Article 8, paragraphe 2, de la directive « procédures », concernant l’accès aux demandeurs de protection internationale des organisations et des personnes qui leur fournissent des conseils et des orientations, et article 22, paragraphe 1, de cette directive, concernant le droit à l’assistance juridique et à la représentation à toutes les étapes de la procédure. (7) Article 10, paragraphe 4, de la directive « accueil », concernant l’accès au centre de rétention, notamment, des conseils juridiques ou des conseillers et des personnes représentant des organisations non gouvernementales. (8) Ces droits sont reconnus aux personnes ou organisations fournissant une assistance aux demandeurs de protection internationale à l’article 8, paragraphe 2, de la directive « procédures » et à l’article 10, paragraphe 4, de la directive « accueil ». (9) Ce droit est garanti par l’article 22, paragraphe 1, de la directive « procédures ». (10) Article 8, paragraphe 2, article 12, paragraphe 1, sous c), et article 22, paragraphe 1, de la directive « procédures ». (11) Article 10, paragraphe 4, de la directive « accueil ». |
ECLI : | EU:C:2021:930 |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Etrangers - Migrants |
En ligne : | https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=249322 |