Document public
Titre : | Arrêt relatif aux violations de la Convention européenne des droits de l'homme résultant de l’internement d’un délinquant dangereux atteint de troubles mentaux : W.A. c. Suisse |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 02/11/2021 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 38958/16 |
Langues: | Anglais |
Mots-clés : |
[Géographie] Suisse [Mots-clés] Droit des détenus [Mots-clés] Santé mentale [Mots-clés] Établissement pénitentiaire [Mots-clés] Établissement de santé [Mots-clés] Établissement psychiatrique [Mots-clés] Infraction [Mots-clés] Droit à la liberté et à la sûreté [Mots-clés] Préjudice [Mots-clés] Indemnisation [Mots-clés] Responsabilité de l'Etat |
Mots-clés: | Internement psychiatrique ; Manquement des autorités étatiques ; trouble mental |
Résumé : |
Le requérant, W.A., est un ressortissant suisse né en 1960. Il est incarcéré à la prison de Pöschwies à Regensdorf (Suisse).
Au début des années 1990, la cour d’assises de Zürich le condamna à une peine de vingt ans d’emprisonnement pour deux homicides. W.A. souffrait d’un trouble de la personnalité difficile à traiter et un expert psychiatre déclara que son discernement avait été altéré au moment de la commission des crimes qui lui étaient reprochés. Le tribunal estima toutefois que W.A. représentait pour la société une menace qui ne pouvait être écartée que par une peine de longue durée, plutôt que par un internement qui durait en pratique rarement plus de cinq ans. W.A. purgea sa peine jusqu’en 2010, puis il fut placé en détention provisoire après que le procureur eut demandé son internement en application de nouvelles dispositions du code pénal. En 2012, le Tribunal fédéral, contrairement aux juridictions de première et deuxième instance, décida de rouvrir la procédure au vu de certains faits dont il estimait que le jury n’avait pas eu connaissance dans la procédure initiale, notamment le fait qu’aucun traitement ne pouvait guérir W.A. En 2013, le tribunal de district de Zürich ordonna l’internement de W.A. À cette fin, il ne réexamina pas les infractions qui avaient été initialement reprochées à l’intéressé mais s’appuya sur un rapport d’expertise psychiatrique récent et estima que les conditions de l’internement étaient déjà remplies au début des années 1990 et continuaient de l’être. Il jugea également que W.A. risquait fort de commettre à nouveau des infractions violentes et que le traitement psychiatrique qui lui était administré avait peu de chances de succès. W.A. continua à être incarcéré à la prison de Pöschwies. W.A. forma contre cette décision des recours qui furent rejetés en appel et au niveau fédéral. Le Tribunal fédéral estima que la non-rétroactivité des peines s’appliquait aux ordonnances d’internement adoptées au titre des articles 64 et 65 du code pénal, au motif que l’internement et l’imposition d’une peine sont similaires dans leur effet punitif. Il jugea toutefois que les nouvelles dispositions du code relatives à l’internement n’étaient pas plus sévères que les anciennes et pouvaient donc être appliquées rétroactivement. Il releva, en effet, que le code permettait la révision d’une procédure au détriment de la personne condamnée tant dans son ancienne version que dans la nouvelle. Partant, il considéra que le principe « pas de peine sans loi » n’avait pas été violé et souligna qu’à raison de la gravité de la maladie de W.A. et du risque que celui-ci représentait, son internement était nécessaire. Invoquant les articles 5 § 1 (droit à la liberté et à la sûreté) et 7 § 1 (pas de peine sans loi) de la Convention, ainsi que l’article 4 du Protocole no 7 (droit à ne pas être jugé ou puni deux fois) à la Convention, le requérant se plaignait de son internement qui revenait, selon lui, à lui infliger une peine rétroactivement et à le punir deux fois pour les mêmes faits. La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 28 juin 2016. Le terme « condamnation » au sens de la jurisprudence de la Cour désigne à la fois la constatation d’une infraction et l’imposition de la peine qui en découle. Seul un jugement déclarant une personne coupable d’une infraction répond aux exigences d’une « condamnation » aux fins de l’article 5 § 1 a). La Cour note que, contrairement au procès initial dirigé contre le requérant et au jugement qui en est résulté, l’ordonnance d’internement adoptée en 2013 n’a pas satisfait aux exigences de la convention relatives à une « condamnation » autonome. La Cour estime, par ailleurs, que la procédure de révision n’a pas créé de lien suffisant entre la condamnation initiale de W.A. et son internement ultérieur. Les infractions initiales n’ont pas été réexaminées et aucun fait nouveau n’a été établi dans le cadre de cette procédure. Seule la question de savoir si le requérant satisfaisait aux conditions d’internement a été examinée, ce qui s’analyse de fait en une peine supplémentaire. S’agissant de la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux, la Cour précise que le requérant peut être qualifié d’« aliéné » aux fins de l’article 5 § 1 e), mais que pour que sa détention puisse passer pour régulière, il aurait fallu qu’elle se déroule dans un établissement adapté au traitement des patients souffrant de troubles mentaux et non dans une prison ordinaire, même si W.A. n’était pas susceptible de répondre à un traitement. Il y a donc eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention. La Cour qualifie l’internement du requérant de « peine ». Elle considère que l’ordonnance d’internement s’analyse en une peine « plus forte » infligée à W.A. En particulier, à l’époque de la commission des infractions, il n’avait pas été possible d’interner W.A. au moyen d’une ordonnance rétroactive après que les condamnations prononcées à son égard dans les années 1990 étaient devenues définitives. En outre, étant donné qu’en vertu de la nouvelle version du code pénal la peine d’emprisonnement prononcée est désormais exécutée avant que l’internement ne soit ordonné, la personne concernée est susceptible d’être détenue pendant une période plus longue. Il y a donc eu violation de l’article 7 § 1 de la Convention. La Cour réaffirme que la sécurité juridique ne peut être absolue. La Convention autorise expressément la réouverture d’une affaire pénale en cas de survenance de faits nouveaux d’une importance telle qu’ils sont susceptibles d’affecter « l’issue de l’affaire ». La Cour constate toutefois qu’en l’espèce l’affaire n’a pas été rouverte conformément à la Convention car aucun fait nouveau n’a été établi et aucune nouvelle décision sur le bien-fondé de l’accusation n’a été rendue ni ne devait l’être. Il y a donc eu violation de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention. La Cour dit que la Suisse doit verser au requérant 40 000 euros pour dommage moral et 6 000 EUR pour frais et dépens. |
ECLI : | CE:ECHR:2021:1102JUD003895816 |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Privation de liberté |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-212829 |