Document public
Titre : | Arrêt relative au fait qu'en cas de désaccord des parents, l’attribution automatique du nom du père à un enfant, suivi par celui de la mère, est discriminatoire : León Madrid c. Espagne |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 26/10/2021 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 30306/13 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] Espagne [Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Respect de la vie privée et familiale [Mots-clés] Situation de famille [Mots-clés] Nom de famille [Mots-clés] État civil [Mots-clés] Parent [Mots-clés] Enfant [Mots-clés] Égalité femme - homme [Mots-clés] Égalité de traitement [Mots-clés] Législation [Mots-clés] Réglementation [Mots-clés] Responsabilité de l'Etat [Mots-clés] Règlementation des services publics [Mots-clés] Préjudice |
Résumé : |
La requérante est une ressortissante espagnole, née en 1969 et résidant à Palma de Majorque (Espagne).
Entre 2004 et 2005, la requérante entretint une relation avec J.S.T.S. et tomba enceinte. Selon la requérante, J.S.T.S. insista pour qu’elle interrompe sa grossesse, ce qui l’amena à couper tout contact avec lui. Elle décida de mener sa grossesse à son terme et, en 2005, donna naissance à une fille qui fut inscrite au registre de l’état civil avec les deux noms de famille de sa mère. En 2006, J.S.T.S. entama une procédure en réclamation de paternité non matrimoniale, à laquelle s’opposa la requérante. À l’issue de cette procédure, lors de laquelle la paternité biologique de l’enfant fut établie, le juge décida que l’enfant porterait le nom de famille du père suivi de celui de la mère. La requérante contesta, sans succès, cette décision devant les juridictions supérieures. La procédure interne se termina en 2012. À l’époque des faits, la législation espagnole (article 194 du Règlement pour l’application de la loi relative à l’état civil) prévoyait qu’en cas de désaccord entre les parents, l’enfant porterait le nom de famille du père suivi par celui de la mère. Devant la Cour européenne, la requérante estime que cette réglementation est discriminatoire et que l’attribution de l’ordre dans les noms de famille devrait prendre en compte les circonstances particulières de chaque affaire. La requérante invoque en particulier l’article 14 (interdiction de la discrimination) combiné avec l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention. La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 24 avril 2013. La Cour note que l’article 194 du Règlement pour l’application de la loi relative à l’état civil a été modifié par la loi 20/2011, qui prévoit qu’en cas de désaccord entre les parents il appartient au juge chargé de l’état civil de décider sur l’ordre d’attribution des noms de famille de l’enfant, en prenant comme critère principal l’intérêt supérieur de l’enfant. Ces dispositions ne sont cependant pas applicables à la fille de la requérante, qui à ce jour a 16 ans. Ainsi, l’application automatique de la législation précédente n’a pas permis au juge de prendre en considération les plaintes de la requérante sur les circonstances concrètes du cas d’espèce, par exemple, l’insistance initiale de J.S.T.S pour la convaincre d’interrompre la grossesse, ou encore le fait que l’enfant portait les noms de famille de la mère depuis sa naissance et pendant plus d’un an, faute de reconnaissance immédiate du père. La Cour relève, en l’espèce, que deux individus placés dans une situation analogue – à savoir la requérante et le père de l’enfant – ont été traités de manière différente sur la base d’une distinction fondée exclusivement sur le sexe. Elle précise que sa tâche consiste à déterminer si la « distinction de traitement » fondée sur le sexe, qui comportait, à l’époque des faits, le choix du nom de famille du père en cas de désaccord entre les parents, est contraire à l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention. Elle indique à cet égard qu’il appartenait aux autorités nationales de ménager en l’espèce un juste équilibre dans la mise en balance des différents intérêts en jeu qui étaient, d’une part, l’intérêt privé de la requérante à inverser le nom de famille de sa fille et, d’autre part, l’intérêt public à réglementer le choix des noms. Elle constate que le contexte social actuel en Espagne ne correspond pas à celui existant au moment de l’adoption de la loi en vigueur applicable au cas d’espèce. En effet, plusieurs changements sociaux ont traversé le pays depuis les années 50, qui ont permis d’aligner la législation interne avec les instruments internationaux en vigueur et d’abandonner le concept patriarcal de famille prédominant par le passé. L’Espagne, membre du Conseil de l’Europe depuis le 24 novembre 1977, a rempli ses engagements à cet égard et a adopté de nombreuses mesures visant l’égalité entre les hommes et les femmes dans la société espagnole, en accord avec les résolutions et recommandations adoptées au sein de l’Organisation. Le Gouvernement écarte l’existence de discrimination au motif que la fille de la requérante pourra, si elle le souhaite, modifier l’ordre de ses noms de famille une fois qu’elle aura atteint ses 18 ans. Outre l’impact certain qu’une mesure d’une telle durée peut avoir sur la personnalité et l’identité d’une mineure qui devra porter en premier le nom de famille d’un père avec qui elle n’est liée que de manière biologique, la Cour ne peut négliger les répercussions dans la vie de la requérante : en tant que son représentant légal partageant la vie de sa fille depuis la naissance de cette dernière, la requérante pâtit au quotidien des conséquences de la discrimination provoquée par l’impossibilité de modifier le nom de famille de son enfant. Il y a lieu de rappeler ici qu’il faut distinguer les effets de la détermination du nom à la naissance de la possibilité de changer de nom au cours de la vie. Le caractère automatique de l’application de la loi en cause, qui a empêché les juridictions de prendre en compte les circonstances particulières du cas d’espèce ne trouve pas, aux yeux de la Cour, de justification valable du point de vue de la Convention. Si la règle voulant que le nom du père soit attribué en premier en cas de désaccord des parents peut se révéler nécessaire en pratique et n’est pas forcément en contradiction avec la Convention, l’impossibilité d’y déroger est excessivement rigide et discriminatoire envers les femmes. En outre, si la sécurité juridique peut être manifestée par le choix de placer le nom du père en premier, elle peut aussi bien être manifestée par le nom de la mère. Par conséquent, les raisons avancées par le Gouvernement ne s’avèrent pas suffisamment objectives et raisonnables pour justifier la différence de traitement subie par la requérante. Il y a donc eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention. La Cour dit que l’Espagne doit verser à la requérante 10 000 euros pour dommage moral et 23 853,22 euros pour frais et dépens. |
ECLI : | CE:ECHR:2021:1026JUD003030613 |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Discrimination - Egalité |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-212688 |