Document public
Titre : | Arrêt relatif au fait que les articles des tabloïds sur le fils décédé d'une femme slovaque ont violé ses droits : M.L. c. Slovaquie |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 14/10/2021 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 34159/17 |
Langues: | Anglais |
Mots-clés : |
[Géographie] Slovaquie [Mots-clés] Violence [Mots-clés] Violence sexuelle [Mots-clés] Catholicisme [Mots-clés] Médias, presse [Mots-clés] Journaliste [Mots-clés] Parent [Mots-clés] Respect de la vie privée et familiale [Mots-clés] Liberté d'expression [Mots-clés] Préjudice [Mots-clés] Responsabilité de l'Etat |
Mots-clés: | Pédophilie |
Résumé : |
La requérante est une ressortissante slovaque, née en 1948 et résidant à Čierne pole (Slovaquie).
Au tournant du siècle, le fils de M.L. - alors prêtre catholique - a été condamné pour abus sexuel et atteinte à l'éducation morale des jeunes (il avait tenté d'avoir des relations sexuelles orales non consenties avec un garçon mineur) et pour trouble à l'ordre public (en raison de relations sexuelles orales consenties avec un homme adulte dans un lieu public). Les condamnations ont toutes deux été annulées en 2003. Le fils de M.L. est décédé en 2006. De mars à mai 2008, trois journaux à sensation ont fait état des condamnations du fils de M.L.. Les articles étaient intitulés "Le prêtre a avoué avoir abusé de garçons mineurs. Secret du suicide du prêtre", "Le prêtre a abusé de garçons roms. Il a avoué avant son suicide", et "Prêtres protégés. L'Église a fourni une garantie pour faire sortir un prêtre pédophile de prison". Les articles décrivent diverses accusations à l'encontre du fils de M.L., y compris de prétendus aveux et l'établissement d'un lien entre ces aveux et le prétendu suicide de l'homme, et la hiérarchie de l'Église catholique, mentionnant de nombreux détails personnels au sujet de cet homme ; l'un des articles contient des photos. En août 2008, M.L. a engagé une procédure contre les éditeurs des journaux. Elle a fait valoir que son fils avait avoué une conduite inappropriée, mais pas d'abus sexuel. Elle a affirmé que les articles contenaient de nombreuses inexactitudes, en particulier qu'il était mort à cause de l’usage de drogues et de négligences médicales. Elle a affirmé que les allégations avaient porté atteinte à son droit à la vie privée et à celui de son fils décédé et avaient provoqué une réaction négative de la part de ses connaissances. Le tribunal de district a partiellement fait droit à l'action mais a rejeté sa demande de dommages et intérêts. La requérante a fait appel, principalement au motif que le tribunal n'avait ordonné ni dommages-intérêts ni excuses pour la publication de la photo du fils de M.L. En 2013, le tribunal régional de Košice a annulé le jugement de première instance, invoquant l'absence de motivation adéquate dans le jugement initial. La requérante perdit le nouveau procès, le tribunal de district déterminant notamment qu'en tant que prêtre de paroisse, le fils de la requérante avait été une " personnalité publique " susceptible d'être davantage critiquée, et que la couverture de l'affaire et la publication de l'image du fils de la requérante avaient été justifiées. Finalement, à la suite de nouvelles procédures judiciaires, la requérante a saisi la Cour constitutionnelle d'une plainte constitutionnelle, qui a été déclarée manifestement mal fondée. La Cour a estimé que les juridictions inférieures avaient répondu aux arguments du requérant et avaient fourni un raisonnement conforme à la Constitution. Invoquant l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), la requérante se plaint que le rejet de son action contre les éditeurs de presse a constitué une violation de ses droits au titre de la Convention. La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 5 mai 2017. La Cour estime établi que la requérante a été directement affectée par les articles en question. Même si les juridictions internes ont estimé que les prêtres pouvaient être assimilés à des personnalités publiques, le fils de la requérante n'était pas, pour la Cour, une personnalité publique connue ou un haut dignitaire de l'Église. Elle précise qu'un individu conserve le droit à l'oubli après une condamnation pénale, notamment une condamnation exécutée, ce qui favorise sa réinsertion dans la société. En l'espèce, la Cour note que le requérant avait terminé sa période de probation et que la condamnation avait été exécutée. La Cour réaffirme que même un jugement de valeur doit être fondé sur des faits suffisants pour être considéré comme équitable au regard de la Convention. La différence entre un jugement de valeur et un exposé des faits réside en définitive dans le degré de preuve factuelle qui doit être établi. Dans les articles en question dans cette affaire, des déclarations peu sérieuses et non vérifiées ont été présentées comme des faits ayant conduit à la condamnation du fils de la requérante. Cette incapacité à distinguer les jugements de valeur a été particulièrement manifeste en ce qui concerne le reportage sur le décès de cet homme. La Cour estime que les juridictions internes n'ont pas procédé à une appréciation adéquate de tous les éléments pertinents en la matière et des preuves disponibles. En outre, les déclarations fantaisistes des journalistes ne relèvent pas d'un journalisme responsable. Dans la lignée des affaires précédentes, la Cour admet que le sujet des abus sexuels commis par un ecclésiastique catholique romain était d'intérêt public. Cependant, les articles sensationnalistes en l'espèce ont peu contribué au débat public sur cette question. Dans l'ensemble, la Cour estime que les juridictions internes n'ont pas mis en balance le droit à la vie privée de la requérante et le droit à la liberté d'expression du journal, ce qui a conduit à une violation de l'article 8. La Cour dit que la Slovaquie doit verser à la requérante 5 000 euros au titre du préjudice moral et 267 euros au titre des frais et dépens. |
ECLI : | CE:ECHR:2021:1014JUD003415917 |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Droits - Libertés |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-212150 |