Document public
Titre : | Arrêt relatif au fait que l’internement des requérants en hôpital psychiatrique et leur traitement médical forcé a violé la Convention européenne des droits de l’homme : R.D. et I.M.D. c. Roumanie |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 12/10/2021 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 35402/14 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] Roumanie [Mots-clés] Santé - soins [Mots-clés] Santé mentale [Mots-clés] Psychiatrie [Mots-clés] Établissement de santé [Mots-clés] Hospitalisation d'office [Mots-clés] Soins sans consentement [Mots-clés] Droit à la liberté et à la sûreté [Mots-clés] Respect de la vie privée et familiale [Mots-clés] Préjudice [Mots-clés] Responsabilité de l'Etat |
Mots-clés: | Personne vulnérable ; Vulnérabilité |
Résumé : |
Les requérants M. R.D. et Mme I.M.D. sont un couple de ressortissants roumains, nés en 1967 et 1982 et résidant à Ştei.
Le 27 septembre 2011, ils furent interpellés par des agents de police qui leur demandèrent de décliner leur identité. Ils refusèrent et auraient commencé à frapper un agent. Une enquête pénale fut ouverte pour outrage aux bonnes mœurs et troubles à l’ordre public. Le 3 octobre 2011, le parquet près le tribunal de première instance de Șimleul Silvaniei chargé de l’enquête demanda à l’hôpital public de Zalău de réaliser une expertise médico-légale psychiatrique de M. R.D. et Mme I.M.D. Deux rapports d’expertise médico-légale du 4 octobre 2011, réalisés par le département de médecine légale de l’hôpital de Sălaj, établirent que les deux requérants souffraient de troubles délirants persistants et que, de manière générale, leur discernement était aboli. La commission d’expertise recommanda à M. R.D. et Mme I.M.D. de se soumettre à un traitement psychopharmacologique et psychothérapeutique ambulatoire dans une unité médicale spécialisée. Par une ordonnance du 11 octobre 2011, le parquet prononça un non-lieu en faveur des intéressés, estimant que leur état de santé mentale les rendait pénalement irresponsables des faits qui leur étaient reprochés. Par un jugement rendu le 6 juin 2013 qui se fondait principalement sur les rapports d’expertise médico-légale du 4 octobre 2011 et sur l’article 113 du CP tel qu’en vigueur à l’époque des faits, le tribunal de première instance de Șimleul Silvaniei prit une mesure de sûreté d’obligation de soins à l’encontre des requérants. Le tribunal départemental de Sălaj confirma le jugement rendu. M. R.D. et Mme I.M.D. ne s’étant pas présentés à l’hôpital pour y recevoir le traitement médical qui leur avait été prescrit, le Bureau de l’exécution des peines du tribunal de première instance forma un recours contre l’exécution du jugement du 6 juin 2013. Il sollicita le remplacement de la mesure de sûreté d’obligation de soins par une mesure d’internement médical, faisant valoir que les intéressés refusaient de suivre leur traitement médical. Par un jugement du 10 novembre 2014, le tribunal de première instance ordonna le remplacement de la mesure de sûreté d’obligation de soins par l’internement médical des intéressés, jusqu’à leur guérison ou jusqu’à une amélioration de leur état de santé propre à faire cesser le danger qu’ils présentaient pour l’ordre public. M. R.D. et Mme I.M.D. formèrent un recours contre ce jugement, soutenant qu’ils étaient en bonne santé et que les autorités voulaient les interner pour d’autres raisons. Le tribunal départemental rejeta le recours. Le 30 décembre 2014, M. R.D. et Mme I.M.D. furent internés contre leur gré dans un hôpital psychiatrique. Ils y suivent encore aujourd’hui un traitement médical à base de sédatifs et de neuroleptiques. Par un jugement du 23 février 2017 fondé sur des documents médicaux et sur un rapport d’expertise médico-légale du 13 avril 2016, le tribunal de première instance de Șimleul Silvaniei fit droit à la demande de la mère de Mme I.M.D. tendant à la mise sous tutelle de sa fille et à sa désignation en qualité de tutrice. À la demande de l’hôpital psychiatrique, la mairie de Pericei sollicita la mise sous tutelle de M. R.D. Un rapport d’expertise médico légale psychiatrique du 11 janvier 2017 établit que celui-ci souffrait de troubles délirants persistants et que son discernement était aboli. Le maire adjoint de Pericei fut nommé tuteur du requérant. Invoquant les articles 5 § 1 (droit à la liberté et à la sûreté) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), les requérants se plaignent de leur internement qu’ils estiment injustifié et arbitraire. Ils allèguent aussi qu’ils sont contraints de suivre un traitement médical depuis le début de leur internement. Invoquant l’article 34 (droit de requête individuelle), ils se plaignent d’une entrave à leur droit de recours individuel. Invoquant l’article 38 (obligation de fournir toutes facilités nécessaires pour examiner l’affaire), ils affirment que l’Etat roumain a méconnu ses obligations. La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 28 avril 2014. La Cour note que deux rapports d’expertise médico-légale ont établi que les requérants souffraient de troubles délirants persistants, qu’ils souffraient d’un défaut de discernement et qu’ils devaient suivre un traitement médical. Toutefois, ces expertises ont été réalisées le 4 octobre 2011, soit plus de trois ans avant la mesure d’internement ordonnée le 17 décembre 2014. De l’avis de la Cour, l’absence d’une évaluation médicale récente suffit pour conclure que le placement des requérants n’était pas régulier au regard de l’article 5 § 1 e). De plus, la Cour rappelle que l’internement d’une personne doit être dûment justifié par la gravité de l’état de santé de celle-ci afin d’assurer sa propre protection ou la protection d’autrui. Or, en l’espèce, et faute de motivation détaillée à ce sujet dans les décisions internes ordonnant leur internement, la Cour considère qu’il n’est pas établi que les requérants étaient dangereux pour eux- mêmes ou pour les autres, en raison notamment de leur pathologie psychiatrique. La Cour note cependant que les expertises qui ont été réalisées à partir de 2018 sont beaucoup plus détaillées et que les décisions des autorités motivent de manière précise la nécessité de poursuivre cette mesure d’internement. Il ressort de ces expertises et décisions versées au dossier que les autorités nationales ont vérifié si le trouble mental des requérants persistait ou s’il s’était stabilisé. Elles ont estimé que l’état des requérants nécessitait le maintien de la mesure, mais il ne ressort pas concrètement de ces décisions une évaluation du degré de danger que les intéressés pouvaient représenter pour eux-mêmes ou pour autrui. La Cour en conclut qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention. La Cour rappelle que l’administration forcée de médicaments constitue une grave atteinte à l’intégrité physique d’une personne, raison pour laquelle pareille mesure doit se fonder sur une « loi » contenant des garanties adéquates contre l’arbitraire. La Cour observe que la mesure d’internement ordonnée contre les requérants par le jugement rendu le 10 novembre 2014 était fondé sur des dispositions du code pénal et du code de procédure pénale et qu’il avait donc une base en droit roumain. Toutefois, la Cour note qu’aucune des dispositions légales pertinentes en l’espèce ne fixe le régime applicable au traitement médical effectif des maladies mentales. Les textes ne règlementent pas le cadre dans lequel est assurée la prise en charge dans les hôpitaux psychiatriques des personnes obligées à une mesure de sûreté, ils ne précisent pas qui est habilité à décider du traitement à administrer et ne définissent pas la manière dont le traitement doit être administré, en particulier dans le cas où le patient ne souhaite pas recevoir le traitement prescrit. Par ailleurs, il ne ressort pas desdits textes de loi que la décision d’un médecin concernant les médicaments à administrer à un patient soit susceptible de recours. Dans ces conditions, la Cour constate que les requérants ne disposaient d’aucun recours leur permettant de demander à un tribunal de statuer sur la régularité de l’administration forcée de médicaments, sa proportionnalité, ou d’en ordonner la cessation. Enfin, la Cour note que les deux requérants ont été mis sous tutelle. Cela soulève des questions quant à la gravité de leur trouble mental et quant à leur capacité à donner un consentement éclairé à l’administration du traitement qui leur a été prescrit. Or, il ne ressort pas des dispositions légales applicables, que celles-ci encadraient la manière dont le consentement des personnes était recueilli ni la procédure à suivre en cas de refus de leur part de suivre un traitement. En conclusion, la Cour considère que même si la mesure en cause s’appuyait sur une base en droit roumain, l’absence de garanties suffisantes contre l’administration forcée de médicaments a privé les requérants de la protection minimale à laquelle ils avaient droit dans une société démocratique. Dans ces conditions, la Cour juge que l’on ne peut dire que l’ingérence en question était « prévue par la loi » comme le veut l’article 8 § 2 de la Convention. Il y a eu par conséquent violation de l’article 8 de la Convention. La Cour est consciente que les requérants sont des personnes vulnérables. Cependant, le fait que des procédures de mise sous tutelle aient été engagées contre les intéressés ne constitue pas en l’occurrence une forme de pression illicite et inacceptable ayant entravé le droit de recours individuel. La Cour conclut que l’Etat n’a pas méconnu les obligations de l’article 34 La Cour estime que, bien que les documents fournis par le Gouvernement ne couvrent pas de manière exhaustive toutes les procédures auxquelles les requérants ont été parties, le caractère incomplet de ces informations ne l’a pas empêchée d’examiner le cas d’espèce. Elle conclut que l’État défendeur n’a pas manqué à ses obligations découlant de l’article 38 de la Convention. La Cour dit que la Roumanie doit verser aux requérants 16 300 euros pour dommage moral, et 5 150 euros pour frais et dépens. |
ECLI : | CE:ECHR:2021:1012JUD003540214 |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Santé - Soins |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-212609 |