Document public
Titre : | Arrêt relatif à la violation par le gouvernement de la liberté d'expression d'une société n'ayant pu publier son journal pendant l'état d'urgence : Dareskizb Ltd c. Arménie |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 21/09/2021 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 61737/08 |
Langues: | Anglais |
Mots-clés : |
[Géographie] Arménie [Mots-clés] État d'urgence [Mots-clés] Élection [Mots-clés] Médias, presse [Mots-clés] Opinions politiques [Mots-clés] Libertés publiques et individuelles [Mots-clés] Liberté d'expression [Mots-clés] Droit à un procès équitable [Mots-clés] Justice [Mots-clés] Justice administrative [Mots-clés] Recours [Mots-clés] Procédure [Mots-clés] Préjudice [Mots-clés] Responsabilité de l'Etat |
Résumé : |
La requérante est une société arménienne fondée en 1999 et ayant son siège social à Erevan.
À l'époque des faits, la société requérante publiait un quotidien proche de l'opposition politique de l'époque. Avant l'annonce des résultats de l'élection présidentielle de 2008, le candidat de l'opposition, M. Levon Ter-Petrosyan, a appelé ses partisans à se rassembler sur la place de la Liberté, dans le centre d'Erevan. Des milliers de personnes sont venues, installant un camp semi-permanent. Après neuf jours de manifestations, la place a été évacuée, apparemment sans avertissement, et fermée. La manifestation s'est déplacée vers le quartier de l'ambassade de France et de la mairie, à environ 2 km de là. De violents affrontements eurent lieu avec les forces de l'ordre, faisant dix morts et des dizaines de blessés parmi les civils et les policiers. Pour la société requérante, il s'agissait d'une tentative d'écraser une contestation susceptible d'apporter un changement ; pour le gouvernement, il s'agissait d'un désordre de masse. Le 1er mars 2008, l'état d'urgence a été déclaré par le président Robert Kocharyan. Des restrictions, entre autres mesures, ont été imposées aux médias. L'état d'urgence a duré 20 jours. L'ordre a finalement été rétabli. Pendant l'état d'urgence, dans la nuit du 3 au 4 mars, des agents de la sécurité nationale ont empêché l'impression du journal. Aucune raison n'a été donnée. Aucune autre tentative n'a été faite pour publier le journal jusqu'au 13 mars 2008, date à laquelle le président arménien a modifié son décret initial, interdisant ainsi « la publication ou la diffusion par les médias d'informations manifestement fausses ou déstabilisantes sur l'État et les questions internes, ou d'appels à participer à des activités non autorisées (illégales), ainsi que la publication et la diffusion de ces informations et appels par tout autre moyen et sous toute autre forme ». Une tentative de republier l'édition du journal a été faite, mais elle a été empêchée par des agents de la sécurité nationale. Le 21 mars 2008, la publication du journal a repris après la levée de l'état d'urgence. En avril de la même année, la société requérante a saisi le tribunal pour se plaindre des actions des agents de la sécurité nationale et pour faire annuler les dispositions d'habilitation – en particulier le décret présidentiel – relatives à l'interdiction de publication en raison de prétendues contradictions avec la Convention, la loi sur les instruments juridiques et la loi sur les médias. Elle a également réclamé un préjudice pécuniaire. Le tribunal administratif s'est déclaré incompétent pour connaître de l'affaire de la société requérante. Un appel ultérieur sur des points de droit a été déclaré irrecevable comme mal fondé par un collège de trois juges, au lieu des cinq habituels. La Cour constitutionnelle a d'abord jugé que la société requérante n'avait pas qualité pour se pourvoir devant elle, puis a refusé d'examiner le recours de la société requérante devant le président de cette juridiction. La Cour a déclaré que seuls certains individus ou groupes nommés pouvaient contester la constitutionnalité d'un décret présidentiel. Invoquant les articles 10 (liberté d'expression) et 6 § 1 (droit à un procès équitable), la requérante se plaint de l'interdiction de ses publications prononcée dans le cadre de l'état d'urgence, de son impossibilité d'accéder à un tribunal et du fait que la juridiction qui a examiné son recours n'était pas un « tribunal établi par la loi ». La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 16 décembre 2008. La Cour est convaincue que les actions de l'Etat se sont traduites par une ingérence dans les droits de la société requérante, mais elle doit déterminer si cette ingérence était « prévue par la loi », avait des buts légitimes et était « nécessaire dans une société démocratique ». La Cour rappelle que la démocratie repose sur la liberté d'expression. La société requérante a fait valoir que l'ingérence n'était pas prévue par la loi car le Président arménien n'avait pas le pouvoir constitutionnel de déclarer l'état d'urgence. La Cour note qu'une loi aurait dû être promulguée pour définir ce pouvoir. Elle déclare également que l'ingérence avait pour but légitime de prévenir les troubles. La Cour note que la publication du journal a été interdite bien que son contenu ne comprenne pas de discours de haine ou d'incitation à l'agitation. Il apparaît que les restrictions ont été appliquées uniquement parce que le journal a critiqué les autorités. Ces restrictions allaient à l'encontre de l'objectif même de l'article 10 et n'étaient pas nécessaires dans une société démocratique. Il y a donc eu violation de la Convention sous l’article 10. La société requérante soutient qu'elle n'a pas eu la possibilité de contester devant les tribunaux la mesure violant son droit à l'information. La Cour rappelle que l'article 6 § 1 garantit le droit de saisir un tribunal de toute demande relative à des droits et obligations de caractère civil. Toutefois, ce droit n'est pas absolu. La Cour relève que la manière dont le droit interne relatif à la conformité des décrets présidentiels au droit supérieur a été interprété et appliqué dans le cas de la société requérante, notamment par le tribunal administratif qui a refusé d'examiner la demande de la société requérante, a privé cette dernière de l'accès à un tribunal, en violation de la Convention. La société requérante a fait valoir que le tribunal administratif, qui avait examiné son recours contre la décision de refus d'admission de sa requête du 17 avril 2008, avait compté un nombre de juges supérieur à celui prévu par la loi (plus précisément les articles 9 et 125 § 1(1) du Code de procédure administrative). Compte tenu des constatations qu'elle a déjà faites sous cet article, la Cour n'a pas jugé nécessaire d'examiner la question de la composition de la formation d'appel. La Cour dit que l'Arménie doit verser au requérant 9 000 euros au titre du préjudice moral. |
ECLI : | CE:ECHR:2021:0921JUD006173708 |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Droits - Libertés |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-211813 |