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Titre : | Arrêt relatif à l'absence d'atteinte à la liberté d'expression d'une personne condamnée pénalement pour apologie du terrorisme après avoir offert à son neveu de trois ans un tee-shirt, porté à l’école maternelle, avec les inscriptions « je suis une bombe » et « Jihad, né le 11 septembre » : Z.B. c. France |
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est cité par : | |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 02/09/2021 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 46883/15 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] France [Mots-clés] Libertés publiques et individuelles [Mots-clés] Liberté d'expression [Mots-clés] Enfant [Mots-clés] Terrorisme [Mots-clés] Infraction [Mots-clés] Propos déplacés [Mots-clés] Absence d'atteinte à un droit/liberté |
Résumé : |
Le requérant, Z.B., est un ressortissant français né en 1983 et résidant en France. Dans cette affaire, Z.B. se plaint de sa condamnation pénale pour apologie de crimes d’atteintes volontaires à la vie en raison des inscriptions apposées sur un tee-shirt qu’il avait offert à son neveu, alors âgé de trois ans, en guise de cadeau d’anniversaire. Z.B., qui avait commandé spécialement ce tee-shirt, avait demandé que soient inscrites les mentions « je suis une bombe » sur la poitrine et « Jihad, né le 11 septembre » dans le dos.
Le 25 septembre 2012, l’enfant porta ce tee-shirt dans l’enceinte d’une école maternelle. La directrice de l’école ainsi qu’un autre adulte constatèrent les mentions inscrites sur le tee-shirt lors du passage de l’enfant aux toilettes. Le même jour, la directrice de l’école informa l’inspection académique et le maire de la commune. Ce dernier saisit le procureur de la République pour dénoncer les faits. Une procédure pénale fut ouverte à l’encontre de Z.B. qui fut condamné à deux mois d’emprisonnement avec sursis et 4 000 euros d’amende. Invoquant l’article 10 (liberté d’expression), Z.B. se plaint de sa condamnation du chef d’apologie de crimes d’atteintes volontaires à la vie. La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 17 septembre 2015. La Cour relève que le requérant a sciemment recouru à un procédé énonciatif qui, reposant sur la polysémie du mot « bombe », tendait à décrire, dans un style familier propre au français courant, les caractéristiques physiques d’une personne séduisante ce, tout en les associant aux informations d’identité de son neveu. Tant devant les instances nationales que devant la Cour, le requérant a argué du caractère humoristique des inscriptions litigieuses. La Cour rappelle que le discours humoristique ou les formes d’expression qui cultivent l’humour sont protégés par l’article 10 de la Convention, y compris s’ils se traduisent par la transgression ou la provocation et ce, peu importe qui en est l’auteur. Toutefois, si ces formes d’expression ne peuvent être appréciées ou censurées à l’aune des seules réactions négatives ou indignées qu’elles sont susceptibles de générer, elles n’échappent pas pour autant aux limites définies à l’article 10 de la Convention. En effet, le droit à l’humour ne permet pas tout et quiconque se prévaut de la liberté d’expression assume des « devoirs et des responsabilités ». À cet égard, la Cour observe qu’en l’espèce, tenant compte de l’intention humoristique dont se prévalait le requérant, la cour d’appel de N a considéré que les inscriptions litigieuses ne pouvaient s’entendre comme constitutives d’une simple plaisanterie, mais reflétaient au contraire une volonté délibérée de valoriser des actes criminels, en les présentant favorablement. Elle jugea ainsi que certains attributs de l’enfant tels que son prénom, jour et mois de naissance et l’usage du mot « bombe » avaient « servi de prétexte pour valoriser, sans aucune équivoque, et à travers l’association délibérée des termes renvoyant à la violence de masse, des atteintes volontaires à la vie ». La Cour observe aussi que l’avocat général a replacé les faits de l’espèce dans le contexte des attentats terroristes ayant frappé la France, tout en soulignant l’importance de s’en détacher. Elle souscrit à cette approche. En effet, un tel contexte, aussi grave fût-il, ne pouvait suffire à lui seul à justifier l’ingérence en cause dans la présente affaire. Pour autant, la Cour ne saurait ignorer l’importance et le poids que ce contexte général revêtait en l’espèce. En effet, si plus de onze ans séparent les attentats du 11 septembre 2001 et les faits à l’origine de la présente affaire, il n’en demeure pas moins que les inscriptions litigieuses ont été diffusées quelques mois seulement après d’autres attentats terroristes, ayant notamment causé la mort de trois enfants dans une école. Eu égard à l’idéologie terroriste ayant présidé à ces deux attentats, on ne saurait considérer que l’écoulement du temps était susceptible d’atténuer la portée du message en cause dans la présente affaire. La circonstance que le requérant n’ait pas de liens avec une quelconque mouvance terroriste, ou n’ait pas souscrit à une idéologie terroriste ne saurait davantage atténuer la portée du message litigieux. Elle note par ailleurs, qu’en sus du contexte général dans lequel s’inscrivait la présente affaire, les instances nationales ont apprécié le contexte spécifique dans lequel les inscriptions litigieuses avaient été rendues publiques. Elle souligne tout particulièrement à cet égard les arguments retenus par la cour d’appel de N quant à l’instrumentalisation d’un enfant de trois ans, porteur involontaire du message litigieux, sans possible conscience de la chose, et au cadre spécifique dans lequel celui-ci avait été diffusé, à savoir non seulement « un lieu public » mais aussi « une enceinte scolaire », où se trouvaient de jeunes enfants. Elle observe en outre que le tee-shirt floqué des inscriptions litigieuses n’était pas directement visible des tiers mais a été découvert au moment où l’enfant était rhabillé par des adultes. Il n’était pas davantage accessible à un grand public puisque porté uniquement dans l’enceinte d’une école. Le message litigieux ne fut ainsi lisible que par deux adultes. À cet égard, la Cour rappelle avoir déjà souligné l’importance de l’absence de publicité lors de l’examen de la proportionnalité de l’ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression. Si elle ne peut spéculer sur la nature exacte des intentions du requérant sur ce point, la Cour observe néanmoins que celui-ci ne nie pas avoir spécifiquement demandé que son neveu porte le tee-shirt litigieux à l’école ni avoir voulu partager son message. Il s’est au contraire prévalut d’un trait d’humour. Pour la Cour, Z.B. ne pouvait ignorer la résonance particulière – au-delà de la simple provocation ou du mauvais goût dont il se prévaut – de telles inscriptions dans l’enceinte d’une école maternelle, peu de temps après des attentats ayant coûté la vie à des enfants dans une autre école et dans un contexte de menace terroriste avérée. À cet égard, elle prend note des arguments de l’avocat général tenant à l’émotion et aux tensions suscitées par le message litigieux ainsi que son impact sur la paix sociale. Elle rappelle que les autorités nationales se trouvent en principe, grâce à leurs contacts directs et constants avec les forces vives de leur pays, mieux placées que le juge international pour se prononcer sur la « nécessité » d’une « restriction » ou « sanction » destinée à répondre aux buts légitimes qu’elles poursuivent. Elle estime aussi qu’elles sont également plus à même de comprendre et apprécier les problèmes sociétaux spécifiques dans des communautés et des contextes particuliers. Dans cette perspective, la connaissance de proximité de la cour d’appel de N quant au contexte régional dans lequel s’inscrivaient les faits litigieux, la plaçait dans une situation privilégiée pour appréhender la nécessité de la condamnation prononcée en l’espèce. À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour constate que la cour d’appel de N qui prononça la condamnation du requérant a veillé à apprécier sa culpabilité en se fondant sur les critères d’appréciation définis par la jurisprudence de la Cour, au regard des exigences de l’article 10 de la Convention et ce, après avoir procédé à une mise en balance des différents intérêts en présence. La Cour de cassation, statuant notamment à la lumière de l’avis de l’avocat général qui intégra également ces critères d’appréciation, a quant à elle avalisé celle-ci. La Cour ne voit en l’espèce aucun motif sérieux de substituer son appréciation à celle des instances nationales. Elle estime ainsi que les motifs retenus pour fonder la condamnation du requérant, reposant sur la lutte contre l’apologie de la violence de masse, apparaissent dans les circonstances spécifiques de la présente affaire, à la fois « pertinents » et « suffisants » pour justifier l’ingérence litigieuse, et répondaient en ce sens à un besoin social impérieux. Enfin, la Cour rappelle que la nature et la lourdeur des peines infligées sont des éléments à prendre en considération lorsqu’il s’agit de mesurer la proportionnalité d’une atteinte au droit à la liberté d’expression. En l’espèce, elle estime que dans les circonstances spécifiques de la présente affaire, le montant de l’amende prononcée reste proportionné. Par ailleurs, tenant compte en particulier du sursis dont la peine de prison fut assortie, la Cour peut conclure que la condamnation prononcée contre le requérant n’était pas disproportionnée au regard du but légitime poursuivi. Par conséquent, l’ingérence litigieuse peut passer pour « nécessaire dans une société démocratique, et il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention. |
ECLI : | CE:ECHR:2021:0902JUD004688315 |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-211600 |