Document public
Titre : | Arrêt relatif au fait que la suppression des émissions de « tribune politique » à la télévision publique n’a pas porté atteinte à la liberté d’expression de l’association politique requérante : Associazione Politica Nazionale Lista Marco Pannella et Radicali Italiani c. Italie |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 31/08/2021 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 20002/13 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] Italie [Mots-clés] Médias, presse [Mots-clés] Association [Mots-clés] Absence d'atteinte à un droit/liberté [Mots-clés] Libertés publiques et individuelles [Mots-clés] Liberté d'expression [Mots-clés] Opinions politiques [Mots-clés] Recours [Mots-clés] Droit à un recours effectif [Mots-clés] Préjudice [Mots-clés] Responsabilité de l'Etat |
Mots-clés: | Télévision |
Résumé : |
Les requérantes sont deux associations politiques italiennes dont le siège est à Rome. Elles soutiennent que la disparition d’une émission télévisée dédiée au débat politique a emporté violation de leur droit à la liberté de manifester librement leurs opinions et leurs idées.
En ce qui concerne la législation, les dispositions propres à la radiotélévision italienne distinguent deux catégories d’émissions. Les émissions de « communication politique », d’une part, qui comprennent les « tribunes électorales », organisées en période pré-électorale, et les « tribunes politiques », diffusées dans le cadre de la programmation ordinaire. Les émissions « d’information », d’autre part, ont pour objet de traiter de thèmes d’actualité, de société et de politique. Le législateur a confié la mission de contrôle de la programmation et de l’activité des chaînes télévisées à deux organes : la Commission parlementaire bicamérale pour la direction générale et la surveillance des services de radiotélévision (Commissione Parlamentare per l’indirizzo generale e la vigilanza dei servizi radiotelevisivi – « la commission de vigilance ») et l’Autorité pour les garanties dans les communications (Autorità per le garanzie nelle comunicazioni – « l’AGCOM »). La commission de vigilance exprime la volonté du Parlement en matière de service public de radiotélédiffusion. L’AGCOM est une autorité administrative indépendante exerçant des fonctions de régulation et de surveillance des télécommunications et de l’audiovisuel. Le 21 novembre 2007, la commission de vigilance communiqua à la RAI des instructions relatives au dernier cycle des « tribunes politiques » à organiser avant les élections. À l’issue des élections législatives de 2008, la composition de la commission de vigilance fut renouvelée et la nouvelle commission omit de fournir à la RAI les instructions nécessaires pour l’organisation d’un nouveau cycle d’émissions de communication politique. Par voie de conséquence, les « tribunes politiques » ne furent plus programmées. Invoquant l’article 10 (liberté d’expression), la première requérante se plaint de la suppression des tribunes politiques, conséquence selon elle de l’inertie de la commission de vigilance. Elle s’estime victime d’une violation du droit à la liberté de communiquer des opinions et des idées. La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 27 décembre 2012. La Cour constate que la deuxième requérante, n’a pas démontré avoir été directement affectée par le manquement des autorités nationales à organiser la diffusion des « tribunes politiques », et considère que le grief soumis par elle devant la Cour vise abstraitement des omissions des autorités nationales. La Cour conclut donc que la deuxième requérante ne peut se prétendre victime, au sens de l’article 34 de la Convention, de la situation dont elle se plaint et que, dès lors, sa requête doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention. La Cour observe qu’en dehors des périodes électorales, l’organisation des « tribunes politiques » sur les chaînes publiques nécessitait un acte émanant d’un organe parlementaire, à savoir la commission de vigilance, tandis que l’initiative des émissions d’information relevait de l’autonomie éditoriale de chaque chaîne et de chaque rédaction télévisuelle, moyennant le respect des principes généraux d’impartialité et de pluralisme de l’information. La Cour relève que la suppression des « tribunes politiques » est la conséquence de l’inertie de la commission de vigilance qui n’a plus fourni à la RAI les instructions nécessaires à l’organisation de ces émissions. La commission de vigilance est un organe politique qui exprime la volonté du Parlement italien en matière de service public de radiotélédiffusion ; le choix de ne plus organiser les tribunes politiques est par conséquent un choix politique, dont les raisons relèvent du pouvoir d’appréciation du Parlement. Il revient donc à la Cour de vérifier si les effets de la suppression de ces émissions sur la liberté d’expression de la première requérante sont compatibles avec la Convention. La Cour note tout d’abord que le format des « tribunes politiques » a été conçu au début des années 1970, dans un contexte sociétal très différent du contexte actuel. La première requérante n’a pas été le seul « sujet politique » à subir les effets de la suppression des tribunes politiques : toutes les forces politiques qui y participaient, sans distinction, ont subi les conséquences de cette suppression. La Cour souligne que la situation aurait été différente si le refus d’accorder un temps d’antenne à un parti ou à un groupe spécifique s’était accompagné de la diffusion des opinions des autres forces politiques, créant ainsi une disparité de traitement qui aurait pu soulever un problème au regard de l’article 10 de la Convention. La Cour note enfin que le remplacement progressif des « tribunes politiques » par des programmes d’approfondissement politique permet à la RAI de bénéficier d’un cadre éditorial plus souple et donc d’une plus ample liberté. Ainsi, la Cour constate que le système audiovisuel public offre désormais à la première requérante d’autres possibilités concrètes de diffusion de ses idées et opinions. La Cour considère donc que l’abandon des « tribunes politiques » doit être apprécié dans le cadre de l’évolution générale du système public de radiotélédiffusion italien. Cette évolution consiste en une réduction progressive du rôle du pouvoir politique et une reconnaissance de l’autonomie éditoriale de chaque chaîne ainsi que des rédactions responsables des émissions d’information, dans le but de promouvoir l’impartialité, l’objectivité et le pluralisme de l’information. La Cour conclut que la suppression des « tribunes politiques » n’a pas privé la requérante de la possibilité de diffuser ses opinions et qu’elle ne peut donc s’analyser en une atteinte disproportionnée à son droit à la liberté d’expression. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 10 de la Convention. La Cour relève que les juridictions internes ont considéré qu’en tant qu’organe parlementaire, la commission de vigilance exprimait la volonté du Parlement italien et que, dès lors, ses actes étaient de nature politique. Les actes adoptés par cette commission en vertu de la loi n° 103 de 1975 ne sont pas de nature administrative mais sont de nature politique. La Cour estime en l’espèce que, face à la suppression des tribunes politiques à la télévision, la requérante n’a pas disposé d’un recours interne effectif. Il y a eu violation de l’article 13 de la Convention. La Cour dit que le constat d’une violation fournit en lui-même une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par la première requérante et que l’État défendeur doit verser à la première requérante 127 euros pour frais et dépens. |
ECLI : | CE:ECHR:2021:0831JUD002000213 |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Droits - Libertés |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-211593 |