Document public
Titre : | Arrêt relatif au fait que les circonstances d’une visite du président de la cour d’assises sur les lieux d’un crime ont fait naître des doutes sur son impartialité : Karrar c. Belgique |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 31/08/2021 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 61344/16 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] Belgique [Mots-clés] Justice [Mots-clés] Justice pénale [Mots-clés] Procédure [Mots-clés] Procédure pénale [Mots-clés] Droit à un procès équitable [Mots-clés] Impartialité [Mots-clés] Magistrat [Mots-clés] Victime [Mots-clés] Préjudice |
Mots-clés: | Cour d'assises |
Résumé : |
En décembre 2015, le requérant fut condamné à une peine de réclusion à perpétuité par la cour d’assises pour l’assassinat de ses deux enfants le 2 août 2013.
En mars 2016, le requérant apprit par la mère des enfants, partie civile constituée au procès pénal, que le président de la cour d’assises avait pris l’initiative, au cours de la semaine ayant précédé l’ouverture du procès, de prendre rendez-vous par téléphone avec elle aux fins d’effectuer une visite informelle à son domicile et qu’il lui avait, à cette occasion, exprimé sa compassion. En avril 2016, le requérant déposa une requête de prise à partie devant la Cour de cassation à l’encontre du président de la cour d’assises. Dans son mémoire, le président de la cour d’assises exposa que les sessions d’assises qu’il préside incluent généralement une visite des lieux et qu’il avait effectué sa visite en vue de percevoir plus clairement la disposition des lieux. Il précisa que s’il admettait avoir fait preuve à l’égard de la mère de la courtoisie que commandait la tristesse des circonstances, et lui avoir « souhaité bon courage pour le procès », il déniait toute manifestation de compassion ou d’empathie à son égard. En juin 2016, la Cour de cassation rejeta la requête de prise à partie. Devant la Cour européenne, le requérant se plaint du manque d’impartialité du président de la cour d’assises et en particulier de la rencontre de ce dernier avec la mère des enfants au cours de la semaine ayant précédé le procès. Le requérant invoque l’article 6 (droit à un procès équitable) de la Convention européenne des droits de l’homme. La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 13 octobre 2016. En l’espèce, la Cour relève que le président de la cour d’assises a pris l’initiative de contacter par téléphone la mère des victimes et s’était rendu à son domicile avant l’ouverture du procès. Elle constate que cette visite a eu lieu sans que le requérant et son conseil n’eussent été informés de cette initiative et en dehors de la présence de quiconque. En l’absence de témoin, la portée des propos échangés à l’occasion de la visite a fait l’objet d’appréciations diverses devant la Cour de cassation. Le magistrat a ainsi affirmé n’avoir fait preuve que de courtoisie à l’égard de la mère des victimes et lui avoir souhaité « bon courage » pour le procès à venir tandis que le requérant a estimé qu’il avait témoigné de la « compassion ». La Cour admet qu’en tant que telle la manifestation de simples sentiments de courtoisie ou de compassion à l’égard d’une partie civile ne peut s’assimiler à l’expression d’un parti pris à l’égard de l’accusé, et qu’elle peut au contraire s’analyser comme l’expression d’une justice à visage humain. La Cour considère qu’elle ne peut conclure, sur cette seule base, à un manque d’impartialité subjective. Néanmoins, elle relève que, dans la mesure où la visite a été sollicitée unilatéralement par le président et, surtout, a eu lieu en dehors de la présence de quiconque, le président a pris le risque que sa démarche puisse être critiquée. Aussi, s’il n’est pas démontré qu’il serait parti de l’idée préconçue que le requérant était coupable des faits dont il était appelé à répondre devant la cour d’assises, la conduite de ce magistrat, d’ailleurs qualifiée de « critiquable » par la Cour de cassation, pouvait faire naître une crainte objective de manque d’impartialité, ce qui est de nature à remettre en cause son impartialité objective. La Cour relève qu’en vertu du droit belge, le jury populaire est composé de douze citoyens tirés au sort. À l’époque des faits, le jury délibérait seul quant à la culpabilité. Les trois magistrats professionnels composant la cour (le président et les deux assesseurs) n’étaient appelés à voter sur la culpabilité que dans l’hypothèse où le verdict de culpabilité n’avait été acquis qu’à une majorité de sept contre cinq. Dans tous les cas, les magistrats professionnels étaient appelés à formuler les principales raisons de la décision du jury. Le cas échéant, le jury et la cour débattent ensemble de la peine à infliger. La procédure devant la cour d’assises est orale et contradictoire. Le président, qui dirige les débats, fait notamment prêter serment aux jurés et, de façon générale, les guide dans l’exercice de leur mission, et met tout en œuvre pour favoriser l’émergence de la vérité. La Cour constate qu’en l’espèce, conformément aux règles en vigueur au moment du procès, le jury a délibéré seul sur la culpabilité du requérant. Pour autant, elle estime que le rôle du président dans le cadre de la procédure dirigée contre le requérant ne saurait être sous-estimé. Le président a ainsi pris part, aux côtés des deux assesseurs et avec le jury, d’abord à la rédaction de l’arrêt de motivation du verdict des jurés, puis à la délibération sur la peine et à l’arrêt concernant celle-ci. Par ailleurs, il disposait d’une grande latitude dans la manière d’organiser les débats devant la cour d’assises en vue de favoriser la manifestation de la vérité. La circonstance que la Cour de cassation ait jugé que l’attitude du président de la cour d’assises, « pour critiquable qu’elle soit », n’était pas constitutive d’un dol ou d’une fraude pouvant donner lieu à la prise à partie n’est pas déterminante aux fins de l’article 6 § 1 de la Convention. La Cour considère que la conduite du président a à tout le moins pu faire naître des doutes objectivement justifiés quant à son impartialité objective et ainsi remettre en cause l’impartialité de la cour d’assises elle-même pour connaître du bien-fondé de l’accusation pénale dirigée contre le requérant. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. La Cour dit que le constat de violation constitue en lui-même une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant. |
ECLI : | CE:ECHR:2021:0831JUD006134416 |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Justice |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-211597 |