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Titre : | Arrêt relatif à la violation de la Convention européenne des droits de l'homme du fait de la rétention d’une mère et de son enfant mineur en centre de rétention administrative : M.D. et A.D. c. France |
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Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 22/07/2021 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 57035/18 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] France [Mots-clés] Rétention administrative [Mots-clés] Enfant [Mots-clés] Droits de l'enfant [Mots-clés] Mineur étranger [Mots-clés] Justice [Mots-clés] Relation des usagers avec les services publics [Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Discrimination directe [Mots-clés] Nationalité [Mots-clés] Libertés publiques et individuelles [Mots-clés] Droit à la liberté et à la sûreté [Mots-clés] Traitement inhumain et dégradant [Mots-clés] Préjudice [Mots-clés] Responsabilité de l'Etat |
Résumé : |
Les requérantes, Mmes M.D. et A.D. sont des ressortissantes maliennes, nées respectivement en 1995 et en 2018 et résidant en France.
Après avoir fui le Mali au motif allégué qu’elle risquerait d’y subir des mutilations génitales féminines et d’y être mariée de force, M.D. arriva en France, le 15 janvier 2018, via l’Italie. Le 14 juin 2018, le préfet de Loir-et-Cher prit à son encontre un arrêté portant transfert aux autorités italiennes, responsables de l’examen de sa demande d’asile en application du règlement dit Dublin III. Par un jugement du 6 juillet 2018, le tribunal administratif d’Orléans rejeta la demande d’annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté. Le 20 juillet 2018, M.D. donna naissance à sa fille en France. Par un premier arrêté du 17 octobre 2018, M.D. fut assignée à résidence pour une durée de quarante-cinq jours dans l’attente de son transfert vers l’Italie. Cet arrêté fut annulé au motif qu’il imposait à l’intéressée des sujétions excessives et remplacé par un autre arrêté comportant des modalités moins contraignantes. Le tribunal administratif d’Orléans rejeta la demande d’annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté. Le 26 novembre 2018, fut notifié à la première requérante un arrêté par lequel le préfet de Loir-et-Cher, estimant qu’il existait un risque non négligeable de fuite de l’intéressée, décida de la placer en centre de rétention administrative, accompagnée de son enfant, pour une durée maximale de quarante-huit heures en vue de son transfert vers l’Italie. M.D. et A.D. furent conduites au centre de rétention administrative n° 2 du Mesnil-Amelot. Le 27 novembre 2018, après son refus d’embarquer sur un vol à destination de l’Italie, M.D. et sa fille, furent reconduites au centre de rétention. Par une ordonnance du 28 novembre 2018, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Meaux rejeta le recours de M.D. dirigé contre la décision de placement en rétention et fit droit à la demande du préfet de Loir-et-Cher de prolonger la rétention pour vingt-huit jours. Par une ordonnance du 1er décembre 2018, le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel de Paris confirma l’ordonnance du juge des libertés et de la détention du 28 novembre 2018. Saisi par M .D. d’un référé-liberté, le juge des référés du tribunal administratif de Melun enjoignit au préfet de Loir-et-Cher de transmettre aux autorités italiennes, avant l’exécution de l’arrêté de transfert vers l’Italie, les informations nécessaires relatives à la situation particulière de Mme M.D. et de son enfant, conformément aux obligations du règlement Dublin III, aux fins de s’assurer que ces autorités étaient en mesure d’apporter une assistance suffisante à la requérante. Le 6 décembre 2018, les requérantes introduisirent une demande de mesure provisoire devant la Cour en application de l’article 39 du règlement. Le même jour, la Cour fit droit à cette demande et demanda aux autorités françaises de mettre fin à la rétention administrative des requérantes. Le gouvernement exécuta cette mesure. Mme M.D. et son enfant ont ensuite été prises en charge par les services du conseil départemental. En l’absence d’exécution de la mesure de transfert avant le 6 janvier 2020, la France devint responsable de l’examen de la demande d’asile de Mme M.D. qui déposa une demande d’asile auprès de l’Office de protection des réfugiés et des apatrides et fut provisoirement admise au séjour à ce titre. Invoquant l’article 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants), les requérantes soutiennent que leur placement en rétention administrative constitue un traitement inhumain et dégradant. Elles soutiennent que le placement en rétention de l’enfant mineur est contraire à l’article 5 § 1 (droit à la liberté et à la sûreté). Invoquant l’article 5 § 4 (droit de faire statuer à bref délai sur la légalité de la détention), les requérantes soutiennent que la seconde requérante n’a pas bénéficié d’un recours effectif pour contester la légalité de son placement et de son maintien en rétention administrative. Invoquant l’article 8 (droit au respect de la vie familiale), elles soutiennent que leur placement en rétention est contraire à cet article. La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 6 décembre 2018. Le Défenseur des droits, autorisé à présenter une tierce-intervention dans la procédure, a décidé de présenter des observations devant la Cour dans la décision 2019-074. La Cour souligne que le droit absolu protégé par l’article 3 interdit qu’un mineur accompagné soit maintenu en rétention, dans les conditions de l’espèce, pendant une période dont la durée excessive contribue au franchissement du seuil de gravité prohibé. Le comportement du parent – le refus de la première requérante d’embarquer –, n’est pas déterminant quant à la question de savoir si le seuil de gravité prohibé est franchi à l’égard de l’enfant mineur. La Cour estime que la rétention d’un nourrisson de quatre mois dans les conditions existantes de l’affaire, à la date des faits litigieux, dans le centre n° 2 du Mesnil-Amelot qui s’est prolongée pendant onze jours et n’a pris fin qu’à la suite de la mesure provisoire prononcée par la Cour est excessive au regard des exigences qui découlent de l’article 3. Compte tenu du très jeune âge de la seconde requérante, des conditions d’accueil dans le centre de rétention n° 2 du Mesnil-Amelot et de la durée du placement en rétention, la Cour estime que les autorités compétentes ont soumis l’enfant mineur à un traitement qui a dépassé le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention. Eu égard aux liens qui unissent une mère et son bébé de quatre mois, aux interactions qui résultent de l’allaitement ainsi qu’aux émotions qu’ils partagent, la Cour estime qu’il en va de même, dans les circonstances particulières de l’espèce, s’agissant de la première requérante. Il y a donc eu violation de l’article 3 de la Convention à l’égard des deux requérantes. En premier lieu, la Cour constate que depuis l’affaire A.B. et autres c. France, n° 11593/12, du 12 juillet 2016, la législation française a connu d’importantes modifications. Désormais le droit français définit, de manière limitative, les cas dans lesquels une personne accompagnée d’enfants mineurs peut faire l’objet d’une décision de placement en rétention administrative ainsi que les conditions dans lesquelles peut être décidée la prolongation de la période de rétention. Le droit français prévoit ainsi, dans le respect des exigences de l’article 5 § 1, que la rétention administrative d’un enfant mineur ne peut être décidée qu’en dernier ressort et pour une durée aussi brève que possible. En second lieu, la Cour relève qu’il ressort de l’arrêté de placement en rétention de la première requérante, pris la veille d’un vol prévu pour l’Italie aux fins de réaliser son transfert, que l’autorité préfectorale a recherché, si, compte tenu de la présence d’un enfant mineur, une mesure moins restrictive que le placement en rétention était possible. L’autorité préfectorale a estimé qu’il n’était plus envisageable de recourir aux mesures d’assignation à résidence qui avaient été mises en œuvre dans un premier temps, compte tenu du risque de fuite que, selon elle, révélait la déclaration de la première requérante de refuser d’exécuter la procédure de transfert. Il ressort de l’ordonnance du 28 novembre 2018 que le juge des libertés et de la détention s’est livré aux mêmes vérifications et appréciations avant d’ordonner la prolongation de la période de rétention pour une durée de 28 jours. S’il ne lui appartient pas en principe de substituer son appréciation à celle des autorités nationales, la Cour estime disposer d’éléments suffisants pour établir que les autorités internes n’ont pas effectivement vérifié, dans le cadre de la mise en œuvre du régime juridique désormais applicable en France, que le placement initial en rétention administrative de la première requérante accompagnée de son enfant mineur puis sa prolongation constituaient des mesures de dernier ressort auxquelles aucune autre mesure moins restrictive ne pouvait être substituée. Il y a donc eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention à l’égard de la seconde requérante. En premier lieu, la Cour relève avec satisfaction que le droit français définit, de manière précise, les conditions dans lesquelles le juge des libertés et de la détention contrôle la légalité du placement initial en détention (article L. 512-1 III du CESEDA) puis décide, le cas échéant, de prolonger la période de rétention (article L. 552-1 du CESEDA). En second lieu, la Cour considère que le juge des libertés et de la détention, puis le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel, ont pris en compte, dans le cadre du contrôle juridictionnel qui leur incombait d’exercer, la présence de l’enfant mineur dans les appréciations auxquelles il leur appartenait de se livrer tant pour contrôler la légalité du placement initial en rétention que pour décider d’en ordonner la prolongation. La Cour observe toutefois que le juge des libertés et de la détention s’est borné à relever que le centre de rétention était habilité à recevoir des familles et disposait d’équipements spécifiques adaptés, ainsi qu’à mentionner la durée limitée de la rétention sans véritablement s’attacher, dans le cadre de son contrôle de la légalité de la mesure de rétention et de son appréciation de la possibilité de la prolonger au-delà d’une brève période, aux conditions concrètes dans lesquelles le nourrisson était privé de liberté. La Cour relève ensuite que le juge des libertés et de la détention, alors qu’aucun vol à destination de l’Italie n’était prévu à bref délai, a conclu à l’absence de mesure alternative après avoir considéré que les requérantes n’offraient aucune solution d’hébergement et qu’elles ne remplissaient pas les conditions d’une assignation à résidence telles que prévues par l’article L. 552-4 du CESEDA. La Cour constate néanmoins que la circonstance que, jusqu’à leur placement en rétention, les requérantes faisaient l’objet de mesures d’assignation à résidence qu’elles avaient respectées, n’a pas été sérieusement prise en considération. Enfin la Cour note que ni le juge des libertés et de la détention du TGI de Meaux ni le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel de Paris n’ont suffisamment tenu compte de la présence de la seconde requérante et de son statut d’enfant mineur, avant d’apprécier la légalité du placement initial et d’ordonner la prolongation de la rétention administrative pour une durée de vingt-huit jours. La Cour a constaté une violation de l’article 5 § 1 au motif que les autorités internes n’avaient pas effectivement vérifié que le placement initial en rétention administrative de la première requérante accompagnée de son enfant mineur puis sa prolongation constituaient des mesures de dernier ressort auxquelles aucune autre moins restrictive ne pouvait être substituée. Cette absence de vérification effective des conditions qui concernent tant la légalité de la mesure de rétention que le principe de légalité au sens de la Convention est particulièrement imputable aux juridictions internes auxquelles il incombait de s’assurer effectivement de la légalité du placement initial puis du maintien en rétention de l’enfant mineur. La requérante mineure n’a pas bénéficié d’un contrôle portant sur l’ensemble des conditions auxquelles est subordonnée la régularité de la rétention au regard du paragraphe 1 de l’article 5. Il y a donc eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention à l’égard de la seconde requérante. Ayant conclu à une violation de l’article 3 de la Convention à l’égard des deux requérantes, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément dans les circonstances de l’espèce sur le grief fondé sur l’article 8 de la Convention. La rétention des requérantes ayant pris fin le 6 décembre 2018, la Cour considère que la mesure provisoire est devenue sans objet et décide de la lever. La Cour dit que la France doit verser aux requérantes 10 000 euros pour dommage moral, et 6 780 euros pour frais et dépens. |
ECLI : | CE:ECHR:2021:0722JUD005703518 |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Privation de liberté |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-211122 |
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