Document public
Titre : | Arrêt relatif à l’autopsie du corps du fils de la requérante, effectuée contre sa volonté et allant à l’encontre des convictions religieuses exprimées par l’intéressée : Polat c. Autriche |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 20/07/2021 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 12886/16 |
Langues: | Anglais |
Mots-clés : |
[Géographie] Autriche [Mots-clés] Décès [Mots-clés] Respect de la personne [Mots-clés] Libertés publiques et individuelles [Mots-clés] Liberté de pensée, de conscience et de religion [Mots-clés] Religion - Croyances [Mots-clés] Islam [Mots-clés] Respect de la vie privée et familiale [Mots-clés] Droit à un recours effectif [Mots-clés] Justice [Mots-clés] Consentement éclairé [Mots-clés] Établissement de santé [Mots-clés] Hôpital [Mots-clés] Droit à l'information [Mots-clés] Enfant [Mots-clés] Maternité [Mots-clés] Préjudice [Mots-clés] Responsabilité de l'Etat |
Résumé : |
En 2006, la requérante est tombée enceinte. Les médecins lui ont indiqué que le bébé risquait de naître avec un handicap dû au syndrome de Prune-Belly. Elle a accouché prématurément le 3 avril 2007. Son fils, Y.M., est décédé d'une hémorragie cérébrale deux jours plus tard.
Les médecins demandèrent à la requérante et à son mari l'autorisation de procéder à une autopsie, dans l'intérêt de la science. Ils refusèrent, car ils voulaient enterrer leur enfant conformément à leurs convictions religieuses musulmanes, qui exigeaient que le corps reste intact. Le médecin traitant leur a dit qu'il fallait de toute façon procéder à l'autopsie afin d'élucider les raisons exactes de la mort de leur fils. Le 6 avril 2007, l'examen post-mortem a été effectué à l'hôpital régional de Feldkirch. Pratiquement tous les organes internes ont été retirés, ainsi que les voies urinaires, et les cavités ont été remplies de coton. Le corps du garçon a été restitué à ses parents. La requérante a affirmé qu'ils n'avaient pas été informés de l'étendue de l'examen et qu'ils n'avaient pas pu le voir car le corps avait été habillé. Estimant que le corps était en bon état pour être enterré, les parents l'ont emmené en Turquie pour l'inhumer. Au cours des funérailles, l'état du corps a été découvert, ce qui a provoqué des troubles parmi les personnes chargées des cérémonies et les personnes en deuil. Le garçon a dû être enterré dans un autre village sans le lavage rituel religieux et la cérémonie islamique, ce qui a entraîné des frais supplémentaires pour les parents. Les organes d'Y.M. - après un premier démenti de l'hôpital quant à leur prélèvement – furent restitués à la requérante quelque temps plus tard, suite à plusieurs demandes de sa part et à une intervention du médiateur régional des patients. Elle les a enterrés dans la tombe de son fils en Turquie. La requérante intenta une action contre la société de gestion de l'hôpital, demandant des dommages et intérêts. Le tribunal régional de Feldkirch a fait droit à la demande initiale, concluant qu'il n'y avait pas d'intérêt scientifique à pratiquer l'autopsie sans le consentement des parents. Cependant, la requérante a perdu en appel et la Cour d'appel d'Innsbruck a renvoyé l'affaire. Lors du second procès, des témoignages de professionnels de la santé ont affirmé que l'examen post-mortem avait été nécessaire pour confirmer le diagnostic du syndrome de Prune-Belly ou pour éclaircir des lésions du ventre, des poumons et du cerveau qui n'avaient pas été clairement identifiables, ou encore pour constater l'effet de la maladie sur les organes. Il a été noté que dans le cas d'examens post-mortem de foetus ou de nouveau-nés décédés, le prélèvement et la conservation des organes étaient indispensables et donc une pratique courante. Néanmoins, le tribunal de première instance a fait droit à la demande et a accordé des dommages et intérêts. Ce jugement a été annulé en appel par la Cour d'appel d'Innsbruck. L'hôpital a été condamné aux dépens pour un montant de près de 33 000 euros (EUR). La requérante a formé un pourvoi en cassation, en invoquant notamment l'article 9 de la Convention et la Constitution autrichienne, et en demandant à la Cour de justice des Communautés européennes de se prononcer à titre préjudiciel sur ce dernier point. La requérante n'a pas obtenu gain de cause, la Cour suprême ayant jugé en 2015 que l'autopsie était nécessaire sur le plan scientifique et constituait une restriction légitime à la liberté de religion. Elle a considéré que l'obligation de communiquer des informations était une règle visant à prévenir des dommages futurs et à protéger le patient, qui n'avait pas été applicable en l'espèce. Elle a estimé que le contexte religieux spécifique de l'affaire ne pouvait pas modifier cette analyse. Invoquant les articles 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion) et 13 (droit à un recours effectif), la requérante se plaint notamment de ce que l'autopsie de son fils a été pratiquée sans son autorisation, de ce que les juridictions internes n'ont pas mis correctement en balance les questions en jeu et de ce que l'hôpital a manqué à son obligation de l'informer de l'étendue de l'autopsie et du prélèvement des organes internes de son fils décédé. La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 29 février 2016. La Cour rappelle que, selon la Convention, il n'existe pas de droit absolu de s'opposer à la réalisation d'une autopsie. L'autopsie de Y.M. a été effectuée conformément à la loi, à savoir sur la base de l'article 25 de la loi sur les hôpitaux et de l'article 12(3) de la loi sur les funérailles. En vertu de ces dispositions, un examen post-mortem pouvait être effectué contre la volonté des proches dans l'intérêt de la science et de la santé publique, notamment en cas de doutes sur le diagnostic. La Cour estime qu'il y avait un intérêt légitime à procéder à l'examen. Cependant, la Cour constate que l'avis de la requérante n'a été pris en compte lors de cette décision, ni par le personnel hospitalier, ni par les juridictions internes. Elle relève notamment que les États disposent ordinairement d'un large pouvoir d'appréciation dans l'évaluation de l'équilibre entre les intérêts privés et publics. S'agissant spécifiquement des examens post-mortem contre la volonté de la famille, ils doivent être effectués dans le plus grand respect des droits des membres de la famille. Les autorités n'ont donc pas mis en balance les intérêts concurrents en jeu, à savoir l'obligation de l'État de protéger la santé publique et les droits de la requérante au titre des articles 8 et 9. La Cour conclut que la décision de pratiquer une autopsie sur l'enfant de la requérante contre sa volonté et contre ses convictions religieuses a constitué une ingérence dans sa " vie familiale " et son droit de manifester sa religion qui n'était pas justifiée, entraînant des violations de la Convention. La requérante a fait valoir qu'elle n'avait pas été informée qu'un examen post-mortem serait pratiqué, ni de l'étendue de cet examen. La Cour note qu'il ne semble pas exister en Autriche de loi réglementant la quantité d'informations à fournir dans des circonstances telles que celles de la requérante. Elle note également la difficulté de la situation : une mère, qui vient de perdre son enfant, confrontée à une autopsie à laquelle elle s'oppose, alors même qu'elle avait informé les autorités de la nécessité de disposer du corps aussi intact que possible pour les rites funéraires. Ces circonstances particulières ont exigé un haut degré de diligence et de prudence de la part du personnel hospitalier dans ses rapports avec la requérante. Même s'il y avait une certaine confusion quant à ce qui avait été dit exactement à la requérante, la Cour juge que les autorités ne lui ont pas fait comprendre l'étendue de l'autopsie. Bien que la Cour suprême ait estimé que le fait de ne pas donner d'informations concernant le prélèvement d'organes et autres était peut-être moins douloureux pour les proches dans de telles situations, la Cour considère que, compte tenu des particularités du cas de la requérante, le personnel hospitalier avait le devoir de l'informer de leur prélèvement. Ils auraient également dû lui rendre les organes, plutôt que de les conserver pendant une période considérable, d'autant plus que la requérante avait souligné l'importance de les enterrer dans la tombe de son fils. En définitive, la non-divulgation de l'information à la requérante a entraîné une violation de la Convention. La Cour estime qu'il n'est pas nécessaire d'examiner les griefs tirés de l'article 13. La Cour dit que l'Autriche doit verser à la requérante la somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral et celle de 37 796,92 euros au titre des frais et dépens. |
ECLI : | CE:ECHR:2021:0720JUD001288616 |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Droits - Libertés |
En ligne : | https://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22itemid%22:[%22001-211365%22]} |