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Title: | Arrêt relatif au fait que la police géorgienne a systématiquement échoué à prévenir la violence fondée sur le genre : Tkhelidze c. Géorgie |
Authors: | Cour européenne des droits de l'homme, Author |
Material Type: | musical score - printed |
Publication Date: | 08/07/2021 |
ISBN (or other code): | 33056/17 |
Languages: | English |
Descriptors: |
[Géographie] Géorgie [Mots-clés] Violence [Mots-clés] Violence conjugale [Mots-clés] Harcèlement [Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Droit à la vie [Mots-clés] Égalité femme - homme [Mots-clés] Égalité de traitement [Mots-clés] Justice [Mots-clés] Justice pénale [Mots-clés] Police [Mots-clés] Préjudice |
Abstract: |
La requérante est une ressortissante géorgienne, née en 1958 et résidant à Tbilisi (Géorgie).
En 2013, la fille de la requérante, M.T., et sa fille de six ans emménagèrent dans un appartement que le compagnon de M.T., L.M., partageait avec ses parents. En avril et en septembre 2014, la police a été appelée à l'appartement en raison du comportement menaçant et abusif de L.M. à l'égard de M.T. À aucune occasion, une enquête pénale n'a été ouverte ou des mesures restrictives n'ont été prises, bien que M.T. ait été blessée physiquement et malgré les demandes de M.T. et des parents de L.M. pour qu'une ordonnance restrictive soit placée à l'encontre de L.M. La police a informé M.T. qu'il n'était pas possible d'arrêter son partenaire ou de demander une autre mesure restrictive étant donné la nature " mineure " de l'" altercation familiale ". Le lendemain, le 23 septembre 2014, M.T. a quitté L.M. et s'est installée chez sa mère à Tbilissi. Après son départ, L.M. a continué de lui envoyer des messages menaçants, ainsi qu'à sa fille. Le 27 septembre, M.T. a déposé une plainte pénale contre L.M. Une enquête pénale n'a pas été ouverte, mais un avertissement formel a été émis à son encontre afin qu'il ne s'engage dans aucun type de conflit avec M.T. Le lendemain, après que M.T. ait de nouveau été accostée par L.M., la police a expliqué qu'elle ne pouvait pas l'arrêter en l'absence d'agression physique, mais a suggéré qu'une solution alternative serait que ses frères le battent. Dans la première quinzaine d'octobre 2014, la requérante se rendit à trois reprises au poste de police de Tbilissi pour dénoncer L.M. pour harcèlement et menace à l’encontre de sa fille, notamment en se présentant sur le lieu de travail de celle-ci avec une grenade à main et en menaçant de la faire exploser. Le 16 octobre 2014, après que L.M eut failli emboutir la voiture de M.T. alors qu'elle emmenait sa fille à l'école, la requérante se rendit à la police et sollicita la protection de l'État. Elle indiqua que sa vie et celle de sa fille étaient devenues insupportables, L.M. les terrorisant quotidiennement. Aucune ordonnance de restriction ou autre mesure restrictive ne fut mise en œuvre. Le 17 octobre 2014, L.M. s'est présenté sur le lieu de travail de M.T. et l'a abattue. Il a immédiatement retourné l'arme contre lui et s'est suicidé. Une enquête a été ouverte mais a été classée sans suite le 31 décembre 2014, la personne responsable du crime étant décédée. Selon les différents procès-verbaux et rapports établis par la police, ni la requérante ni sa fille n'avaient été informées de leurs droits procéduraux ou des mesures législatives et administratives de protection dont elles disposaient en vertu du code pénal et de la loi sur la violence domestique. Le 8 avril 2015, la requérante a déposé une plainte pénale auprès du parquet de district, demandant l'ouverture d'une enquête pour négligence à l'encontre des policiers chargés de traiter les allégations de violence domestique de sa fille. Elle a réitéré sa plainte à au moins cinq autres reprises entre 2015 et 2016, soulignant que l'inaction de la police pouvait être considérée comme une discrimination fondée sur le genre. Ses plaintes restant sans réponse, la requérante a demandé au parquet général en avril 2017 s'il avait reçu ses lettres et plaintes et pourquoi elle n'avait pas reçu de réponse. Elle a reçu la confirmation que tous les courriers précédents avaient été reçus mais n'a reçu aucune autre information. Invoquant les articles 2 (droit à la vie) et 14 (interdiction de la discrimination) de la Convention, la requérante se plaint du fait que les autorités nationales n'ont pas protégé sa fille contre les violences domestiques et n'ont pas mené d'enquête pénale effective sur les circonstances qui ont conduit à son décès. Elle soutient que la police était consciente du danger que courait sa fille, mais qu'elle n'a pas pris les mesures préventives nécessaires. En particulier, la réponse de la police aux nombreuses plaintes qu'elle et sa fille ont déposées au sujet du comportement abusif de L.M. a été inappropriée et discriminatoire. La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 13 avril 2017. La Cour a examiné les griefs sous l'angle de l'article 2 combiné avec l'article 14 de la Convention. La Cour rappelle que, dès lors qu'il y a soupçon de violence domestique ou de violence à l'égard des femmes, une diligence particulière est requise de la part des autorités au cours de la procédure interne. Le fait pour un État de ne pas protéger les femmes contre la violence domestique viole leur droit à une protection égale devant la loi. En outre, l'obligation de protéger la vie, prévue par l'article 2 de la Convention, exige qu'une enquête officielle effective soit menée chaque fois qu'une personne est assassinée. La Cour note qu'entre le 29 avril et le 16 octobre 2014, M.T. et la requérante ont demandé de l'aide à la police à au moins onze reprises. Dans leurs déclarations, elles ont toujours clairement indiqué le degré de violence du comportement de L.M. La police a été informée par les parents de L.M. qu'il souffrait de jalousie pathologique, qu'il était mentalement instable et qu'il avait des problèmes de contrôle de la colère. Il a lui-même admis qu'il avait menacé de tuer la fille de la requérante, qu'il avait un casier judiciaire et des antécédents de toxicomanie et d'alcoolisme. La police savait que M.T. portait en permanence sur elle diverses armes de défense et qu'elle avait extrêmement peur de lui. La Cour en conclut donc que la police connaissait ou aurait certainement dû connaître la menace réelle et immédiate qui pesait sur la sécurité de la requérante. Cependant, les autorités chargées de faire respecter la loi se sont systématiquement abstenues de prendre des mesures qui auraient pu atténuer le préjudice ou empêcher l'issue tragique de l'affaire. Malgré les diverses mesures de protection dont elles disposaient directement, les autorités n'ont pas réussi à empêcher les violences de genre à l'encontre de M.T., lesquelles ont abouti à son décès. La Cour estime que l'inaction de la police en l'espèce peut être considérée comme une défaillance systémique et qu'il était urgent de mener une enquête sérieuse sur la possibilité que la discrimination et les préjugés sexistes aient été à l'origine de l'inaction de la police. L'État a donc manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 2 de la Convention combiné avec l'article 14 de protéger la vie de la fille de la requérante et de mener une enquête effective sur son décès. La Cour dit que la Géorgie doit verser à la requérante 35 000 euros (EUR) pour dommage moral. |
ECLI : | CE:ECHR:2021:0708JUD003305617 |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Droits - Libertés |
Link for e-copy: | http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-210854 |