Document public
Titre : | Arrêt relatif à la plainte des requérants de n’avoir pas eu à leur disposition des voies de recours pour contester les décisions du ministre de la Justice de mettre prématurément fin à leurs mandats de vice-présidents du tribunal régional : Broda et Bojara c. Pologne |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 29/06/2021 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 26691/18 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] Pologne [Mots-clés] Justice [Mots-clés] Contentieux [Mots-clés] Recours [Mots-clés] Professionnel du droit [Mots-clés] Droit d'accès à un tribunal [Mots-clés] Préjudice [Mots-clés] Responsabilité [Mots-clés] Responsabilité de l'Etat |
Résumé : |
L’affaire concerne la plainte des requérants de n’avoir pas eu à leur disposition des voies de recours pour contester les décisions du ministre de la Justice de mettre prématurément fin à leurs mandats de vice-présidents du tribunal régional de Kielce.
Dans son arrêt de chambre (requêtes nos 26691/18 et 27367/18), la Cour européenne des droits de l’homme dit qu'il y a eu violation de l’article 6 § 1 (droit d’accès à un tribunal) de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour constate tout d’abord qu’il se dégage des courriers ministériels que les décisions du ministre de la Justice de révoquer les requérants n’étaient susceptibles d’aucun recours. Il se dégage des observations du Gouvernement que l’exclusion d’un recours pour se plaindre de la révocation avait pour but de faciliter la mise en œuvre des réformes ministérielles du système judiciaire polonais. La Cour tient à souligner l’importance croissante que les instruments internationaux et ceux du Conseil de l’Europe, ainsi que la jurisprudence des juridictions internationales accordent au respect de l’équité procédurale dans les affaires concernant la révocation ou la destitution de juges, et notamment à l’intervention d’une autorité indépendante des pouvoirs exécutif et législatif pour toute décision touchant à la cessation du mandat d’un juge. La Cour observe que les requérants ont été prématurément démis de leurs fonctions de chefs de juridiction par le ministre de la Justice statuant en application de l’article 17 de la loi du 12 juillet 2017. La disposition législative était transitoire et habilitait le ministre impliqué à révoquer les chefs de juridiction à son entière discrétion sans que celui-ci fût tenu par une quelconque condition de fond ou de procédure. Les décisions critiquées du ministre de la Justice n’étaient pas motivées et n’ont pas été soumises au contrôle d’un organe externe et indépendant du ministre concerné. Eu égard à l’ensemble des éléments qui lui ont été communiqués, la Cour conclut, d’une part, que la révocation des requérants est intervenue sur la base d’une disposition législative dont la compatibilité avec les exigences de l’État de droit lui paraît douteuse, et d’autre part, que cette mesure n’était entourée d’aucune des exigences fondamentales de l’équité procédurale. Les décisions ministérielles de révoquer les requérants n’étaient accompagnées d’aucune motivation. La Cour relève que le cadre juridique national applicable au moment de la révocation des requérants ne les protégeait d’aucune manière contre la cessation anticipée et arbitraire de leurs fonctions de vice-président de juridiction. Elle considère que les magistrats doivent bénéficier d’une protection contre l’arbitraire du pouvoir exécutif, et que seul le contrôle par un organe judiciaire indépendant de la légalité d’une telle décision de révocation est à même de rendre ce droit effectif. La Cour souligne l’importance accordée tant à la nécessité de sauvegarder l’indépendance du pouvoir judiciaire qu’au respect de l’équité procédurale dans les affaires concernant la carrière des juges. Elle constate que le cadre juridique national qui était applicable au moment de la révocation des requérants ne précisait pas clairement les conditions dans lesquelles un chef de juridiction pouvait être révoqué par dérogation au principe d’inamovibilité des juges en cours de mandat. La quasi-totalité des pouvoirs en la matière ont été concentrés entre les mains du seul représentant du pouvoir exécutif, les organes d’auto-administration judiciaire, et notamment le Conseil national de la magistrature, ayant été exclus de ce processus. La Cour note en outre l’exclusion dans le chef des intéressés du droit d’être entendu et du droit de connaître les motifs des décisions ministérielles les concernant et l’absence d’un quelconque contrôle par une instance indépendante du ministre de la Justice. La Cour relève avec préoccupation que dans ses observations, le Gouvernement défendeur a déclaré que le cadre législatif de la révocation anticipée des chefs de juridiction lui avait permis de passer outre les procédures applicables en la matière. Or, la Cour souligne que ce sont justement ces procédures qui constituent les garanties au coeur du principe, inscrit à l’article 6 de la Convention, selon lequel un « tribunal indépendant » – au sens de cette disposition conventionnelle – est nécessairement « inamovible », que le juge concerné soit révoqué de ses fonctions judiciaires ou seulement des fonctions administratives qu’il occupait dans les organes de l’autorité judiciaire. Compte tenu de l’importance du rôle qui est dévolu aux juges en matière de protection des droits garantis par la Convention, la Cour estime qu’il est impératif que des garanties procédurales propres à assurer une protection adéquate de l’autonomie judiciaire contre les influences indues soient mises en place. La confiance dans le pouvoir judiciaire se trouve en jeu. La cessation prématurée des mandats de vice-président de juridiction dont les requérants avaient été investis n’ayant été examinée ni par un tribunal ordinaire ni par un autre organe exerçant des fonctions judiciaires, l’État défendeur a porté atteinte à la substance même du droit pour les requérants d’accéder à un tribunal. Il y a donc eu violation du droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention. La Cour dit que la Pologne doit verser à chacun des requérants 20 000 euros (EUR) pour dommage matériel et moral. |
ECLI : | CE:ECHR:2021:0629JUD002669118 |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Justice |
En ligne : | https://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22itemid%22:[%22001-210693%22]} |