
Document public
Titre : | Conclusions relatives à la reconnaissance dans l'Union de la filiation d'un enfant d'un couple marié du même sexe et le droit à la libre circulation de la famille : V.M.A. (Bulgarie) |
Auteurs : | Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 15/04/2021 |
Numéro de décision ou d'affaire : | C-490/20 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] Bulgarie [Mots-clés] Droit européen [Mots-clés] Enfant [Mots-clés] Droits de l'enfant [Mots-clés] Bioéthique [Mots-clés] Filiation [Mots-clés] État civil [Mots-clés] Papiers d'identité [Mots-clés] Relation des usagers avec les services publics [Mots-clés] Règlementation des services publics [Mots-clés] Ordre public international [Mots-clés] Famille homoparentale [Mots-clés] Liberté d'aller et venir [Mots-clés] Ressortissant UE [Mots-clés] Refus |
Résumé : |
L'affaire concerne un couple marié de deux femmes (l'une ressortissante bulgare et l'autre britannique) ayant eu un enfant en Espagne, où elles résident. Dans l’acte de naissance délivré par les autorités espagnoles, les deux femmes sont désignées comme « mères » de l’enfant.
La ressortissante bulgare a alors demandé à l’autorité bulgare compétente de lui délivrer un acte de naissance pour sa fille, document qui est nécessaire pour la délivrance d’une pièce d’identité bulgare, mentionnant les deux femmes en tant que parents. La commune de Sofia (Bulgarie) lui a cependant enjoint d’indiquer laquelle des deux épouses est la mère biologique, en précisant que le modèle d’acte de naissance bulgare ne prévoit qu’une seule case pour la « mère » et une autre pour le « père », chacune de ces cases ne pouvant comporter qu’un seul nom. Suite au refus de la part de l'intéressée de fournir l’information demandée, cette autorité a rejeté sa demande. Ce rejet est fondé, selon la commune, sur l’absence d’information concernant la mère biologique et sur le fait que l’inscription de deux parents de sexe féminin dans un acte de naissance est contraire à l’ordre public de la Bulgarie, qui n’autorise pas les mariages entre personnes du même sexe. L'intéressée a introduit un recours contre cette décision devant tribunal administratif. Cette juridiction demande en substance à la Cour de justice si le refus des autorités nationales d’enregistrer la naissance d’un enfant bulgare, survenue dans un autre État membre et attestée par un acte de naissance dans lequel cet État membre désigne deux mères, est contraire au droit de l’Union. À titre préliminaire, l’avocate générale précise que, contrairement à ce qu’affirme la juridiction nationale, il ne saurait être considéré avec certitude que l’enfant possède la nationalité bulgare. En effet, cette affirmation a été contestée par le gouvernement bulgare étant donné que la nationalité bulgare est acquise de plein droit par toute personne dont au moins l’un des parents est bulgare alors qu’en l’espèce, l’identité de la mère biologique n’est pas connue. Or, l’avocate générale relève que même dans l’hypothèse où l’enfant ne possède pas la nationalité bulgare et n’est donc pas un citoyen de l’Union, la situation n’échappe pas au champ d’application du droit de l’Union. En effet, dans cette hypothèse, la question demeure celle de savoir si une citoyenne de l’Union, la ressortissante bulgare, ayant fait usage de son droit à la libre circulation et étant devenue mère d’un enfant avec son épouse en vertu du droit d’un autre État membre, peut exiger de son État membre d’origine la reconnaissance de cette situation et la délivrance d’un acte de naissance désignant les deux femmes en tant que parents de l’enfant. L’avocate générale estime que le refus des autorités bulgares d’établir l’acte de naissance demandé constitue une entrave aux droits que confère le droit de l’Union à la ressortissante bulgare et, dans la mesure où celui-ci possède la nationalité bulgare, à son enfant. Ensuite, l'avocate générale vérifie si l’identité nationale invoquée par la Bulgarie peut justifier ce refus. Selon cet État membre, l’atteinte à l’identité nationale résiderait dans le fait que l’acte de naissance demandé s’écarte de la conception de la famille « traditionnelle » consacrée par la Constitution bulgare, qui impliquerait nécessairement qu’il ne peut y avoir qu’une seule mère (ou père) pour un enfant. L’avocate générale considère que le droit de la famille est l’expression de l’image de soi d’un État tant sur le plan politique que sur le plan social. La définition des liens de filiation aux fins du droit interne de la famille est donc susceptible de relever de l’expression fondamentale de l’identité nationale d’un État membre. Cela implique qu’une restriction de l’intensité du contrôle exercé par la Cour s’impose afin de préserver l’existence de domaines de compétences matérielles réservés aux États membres. Par conséquent, dans la mesure où est en cause cette essence de l’identité nationale, l’invocation de celle-ci ne peut pas faire l’objet d’un contrôle de proportionnalité. Toutefois, selon l’avocate générale, l’obligation de reconnaître les liens de parenté noués en Espagne aux seules fins de l’application du droit dérivé de l’Union relatif à la libre circulation des citoyens n’altère pas la conception de filiation ou de mariage en droit de la famille bulgare ni conduit à y introduire de nouvelles conceptions. Par conséquent, une telle obligation ne menace pas l’expression fondamentale de l’identité nationale, tout en éliminant une bonne partie des obstacles à la libre circulation, telle que les incertitudes entourant le droit de séjour de la mère britannique de l’enfant ou la possibilité de celle-ci de circuler avec ce dernier. Eu égard à l’impact limité de cette obligation sur l’ordre juridique bulgare, le refus de reconnaître la filiation de l’enfant à l’égard de la ressortissante bulgare et son épouse à ces fins va au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver les objectifs invoqués par la Bulgarie. La Bulgarie ne peut donc refuser de reconnaître la filiation de l’enfant aux fins de l’application du droit dérivé de l’Union relatif à la libre circulation des citoyens au motif que le droit bulgare ne prévoit ni l’institution du mariage entre personnes du même sexe ni la maternité de l’épouse de la mère biologique d’un enfant. Dans l’hypothèse où l’enfant a la nationalité bulgare, cela implique notamment que la Bulgarie doit lui délivrer un document d’identité ou un document de voyage faisant mention de la requérante bulgare et de son épouse en tant que parents, afin de permettre à l’enfant de voyager avec chacun de ses parents individuellement. En revanche, en invoquant l’identité nationale, la Bulgarie peut justifier le refus de reconnaître la filiation de l’enfant, telle qu’elle a été établie sur l’acte de naissance espagnol, aux fins de l’établissement d’un acte de naissance déterminant la filiation de cet enfant au sens du droit interne de la famille. |
ECLI : | EU:C:2021:296 |
En ligne : | https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=239902 |