Document public
Titre : | Décision relative à l'irrecevabilité d'une requête portant sur les carances des autorités en matière de prise en charge pluridisciplinaire d'un enfant autiste et à l'absence d'épuisement des voies de recours internes : Charle et autres c. France |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 17/12/2020 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 3628/14 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] France [Mots-clés] Handicap [Mots-clés] Handicap cognitif [Mots-clés] Autisme [Mots-clés] Prise en charge [Mots-clés] Accès à la prise en charge [Mots-clés] Établissement médico-social [Mots-clés] Droit à l'éducation [Mots-clés] Droit à la vie [Mots-clés] Respect de la vie privée et familiale [Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Recours [Mots-clés] Droit à un recours effectif [Mots-clés] Passivité des services publics [Mots-clés] Relation des usagers avec les services publics [Mots-clés] Indemnisation [Mots-clés] Dommages-intérêts [Mots-clés] Responsabilité de l'Etat |
Résumé : |
Les requérants sont parents de quatre enfants dont un, né en 2007 et présentant un syndrome autistique sévère diagnostiqué en 2009 se traduisant par une absence de communication fonctionnelle, une absence d’autonomie et des troubles graves du comportement se caractérisant notamment par des accès d’agressivité à l’égard de son entourage familial. Les requérants agissent en leurs noms personnels ainsi qu’au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs. L'enfant s'est vu reconnaître un taux d'incapacité supérieur ou égal à 80% et, en 2012, par trois décisions successives, la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) a donné son accord pour une prise en charge médico-sociale de l'enfant dans un institut médico-éducatif (IME) adapté à l’accompagnement des enfants présentant des troubles autistiques, en semi-internat à temps plein. La dernière de ces décisions a accordé une prise en charge médico-sociale en accompagnement par un service d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) et une prise en charge médico-sociale par un IME, en semi-internat à temps plein, jusqu’en juillet 2014.
Cependant, les demandes présentées par les requérants auprès des institutions spécialisées préconisées par la CDAPH se sont heurtées à des refus, faute de places disponibles. En juillet 2013, ils ont saisi le Défenseur des droits. À compter du mois de septembre 2013, l'enfant a été pris en charge par un SESSAD à raison de 4 heures par semaine. Confrontés à la dégradation du comportement de leur fils (crises sévères, violences, fugues et mises en danger de lui-même), les requérants ont demandé un hébergement hospitalier d’urgence, qui leur a été accordé par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) en octobre 2013, mais uniquement la nuit et dans la limite de 90 jours par an. Les requérants ont alors saisi le juge des référés d'une requête visant à ce que les autorités prennent toutes les mesures nécessaires pour assurer l’exécution de la décision de la CDAPH portant l'orientation de leur fils dans un IME, ou à défaut, d'assurer une prise en charge « effective dans la durée, pluridisciplinaire et adaptée à son état et à son âge » par la création d’une place dotée en personnels suffisants et compétents au sein d’un IME ou, enfin, de prononcer toute mesure utile au rétablissement de leurs libertés fondamentales. Le juge a toutefois rejeté leur demande, tant en première instance, qu'en appel, par le Conseil d'Etat. Devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) les requérants, qui invoquent l'article 2 de la Convention se plaignent d’une atteinte au droit à la vie de l'enfant en raison de la carence des autorités nationales quant à la création et l’attribution d’une place en structure adaptée, cette carence ayant été de nature à mettre en danger sa santé et sa vie. Sous l'angle de l’article 8 de la Convention, les requérants invoquent une violation de leur droit au respect de la vie privée et familiale, le défaut de prise en charge de leur enfant par une structure adaptée ayant porté atteinte à leur intégrité physique et psychique compte tenu de la nature et de l’intensité des troubles dont souffre leur fils et des difficultés quotidiennes auxquelles la famille se trouve confrontée. Enfin, invoquant l'article de la Convention combiné avec l’article 2 du Protocole n° 1, les requérants allèguent enfin que leur enfant a été victime d’une atteinte discriminatoire à son droit à l’instruction. Dans leur courrier adressé à la CEDH en avril 2014, les requérants l'ont informé de la saisine du Défenseur des droits et relatant la réponse de celui-ci, ils indiquaient "(...) Par ailleurs, il est étonnant qu’une institution indépendante comme le Défenseur des Droits nous conseille uniquement une voie contentieuse indemnitaire (ce que nous avons toujours refusé pour [l'enfant] bien que certains d’une issue positive sur ce volet, préférant nous consacrer sur l’utile et une voie qui lui permettrait de bénéficier d’une prise en charge satisfaisante) (...) Nous en venons à la conclusion personnelle (...) que le Gouvernement semble clairement faire le choix de payer des indemnités pour les rares familles qui oseraient une telle démarche, plutôt que d’investir pour le respect des droits et de l’avenir de nos enfants (...)." Dans sa réponse adressée aux requérants en avril 2014, postérieurement aux ordonnances de référés rendues concernant l'enfant, le Défenseur des droits a précisé avoir interpellé le Gouvernement sur le fait que plusieurs milliers d’enfants handicapés se trouvaient sans solution et privés de leur droit fondamental à l’instruction. Il a constaté qu'en l'espèce, le juge des référés du Conseil d’État n'a pas reconnu le carence des autorités et que dans le cadre de cette procédure en référé-liberté, les voies de droit étaient épuisées. Il indiquait que : "Seul un recours indemnitaire devant le tribunal administratif pourrait désormais être possible sur le fondement de l’article L.246-1 du code de l’action sociale et des familles. En effet, selon ces dispositions, toute personne atteinte d’un syndrome autistique ou de troubles apparentés doit bénéficier d’une prise en charge pluridisciplinaire et adaptée à son état et à son âge. Le Conseil d’État a ainsi considéré que l’État est, de ce point de vue, tenu à une obligation de résultat". Postérieurement à l'introduction de la requête devant la CEDH, l'enfant a été accueilli à compter du mois de janvier 2014 au sein d'une structure d’accueil temporaire mise en place dans la région de Blois, mais ce uniquement à mi-temps. Ensuite, il a été accueilli dans un premier IME entre septembre 2014 et avril 2015, d’où il avait dû être sorti à cette date, suite à des violences infligées par des éducateurs. Enfin, dès la fin de mois d'avril 2015, l'enfant a été accueilli au sein d’un autre IME, spécialisé dans l’autisme, où il se trouve depuis lors. La Cour européenne des droits de l'homme rejette à l'unanimité la requête pour non-épuisement des voies de recours internes. Elle considère qu'en l'espèce, les griefs des requérants doivent s’analyser sous l’angle de l’article 8 de la Convention et de l’article 2 du Protocole n° 1 combiné avec l’article 14. Dans les circonstances de la présente affaire, la Cour a conscience des nombreuses difficultés auxquelles les requérants se sont heurtés avant d’obtenir cette prise en charge. Elle constate en outre, au vu des pièces du dossier et des informations transmises par les requérants, qu’ils jugent cette prise en charge insuffisante. La Cour n’ignore pas non plus que les violations alléguées ont trait à une question de principe décisive pour les requérants et que ces derniers cherchaient également, par le biais de leur requête devant la Cour, à dénoncer ce qu’ils considèrent être un dysfonctionnement systémique dans la prise en charge, en France, des enfants présentant des troubles autistiques. Cela étant, la Cour rappelle qu’elle n’a pas pour tâche de se prononcer in abstracto sur une législation et une pratique nationales. Elle doit au contraire se limiter à un examen des faits concrets des affaires dont elle est saisie. Or, en l’espèce, les requérants n’apparaissent pas être victimes d’une carence continue de l’État dans la prise en charge de leur fils. En effet, d’après les éléments dont la Cour dispose, après la période en cause dans la présente requête, le fils des requérant a effectivement pu être pris en charge par un IME. La Cour relève par ailleurs que les requérants disposaient de la possibilité d’engager une action en responsabilité contre l’administration pour manquement à l’obligation de résultat découlant de l’article L. 246-1 du code de l’action sociale et des familles et obtenir le cas échéant, réparation du préjudice allégué. À cet égard, la Cour souligne que par courrier du 16 avril 2014, les requérants l'ont informé des démarches qu’ils avaient entreprises auprès du Défenseur des droits et de la réponse qu’ils avaient reçue de ce-dernier, notamment quant au recours à une voie contentieuse indemnitaire. Elle souligne que les requérants ont clairement exprimé dans ce courrier avoir toujours refusé ce recours pour leur enfant. Au vu de tout ce qui précède, la Cour estime que, dans les circonstances particulières de la présente affaire, l’action en responsabilité pouvait passer pour un recours efficace à la disposition des requérants. Faute d’avoir exercé ce recours, ils ne sauraient être considérés comme ayant épuisé les voies de recours internes. |
ECLI : | CE:ECHR:2020:1217DEC000362814 |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Handicap - Autonomie |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-207886 |