Document public
Titre : | Requêtes relatives à l'irrecevabilité d'une action en contestation de paternité, intentée par le père biologique d'un enfant qui avait été reconnu avant la naissance par l'ancien compagnon de la mère : C.P. et M.N. c. France |
est cité par : | |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 01/08/2017 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 56513/17 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] France [Mots-clés] Justice [Mots-clés] Justice familiale [Mots-clés] Filiation [Mots-clés] Paternité [Mots-clés] Procédure [Mots-clés] Prescription [Mots-clés] Enfant [Mots-clés] Intérêt supérieur de l'enfant [Mots-clés] Parent [Mots-clés] Recours [Mots-clés] Procédure civile [Mots-clés] Délais anormaux [Mots-clés] Respect de la vie privée et familiale |
Résumé : |
La requérante vivait avec un homme et ses deux enfants, dont l’un issu du couple, et un autre qu’elle avait eu d’une précédente union, lorsqu’elle rencontra le requérant en 2006. Ils engagèrent une relation intime. Quelque temps après, la requérante tomba enceinte. En décembre 2007, elle donna naissance à un petit garçon, qui a été reconnu avant sa naissance, par son compagnon de l'époque. Aux dires de la requérante, lors d’une violente dispute du couple en juin 2009, son compagnon aurait admis qu’il ne pouvait être le père de l'enfant né en 2007 eu égard à l’absence de relations intimes entre eux à l’époque de la conception. Le lendemain de cette dispute, la requérante informa le requérant qu’il était le père biologique de cet enfant.
La requérante quitta son compagnon en décembre 2011, alors qu’elle était de nouveau enceinte, pour vivre avec le requérant. En 2012, les requérants conclurent un pacte civil de solidarité (PACS) et la requérante annonça à l'enfant que le requérant était son père biologique. En août 2012, elle donna naissance à une petite fille dont le requérant reconnut la paternité. Après cette naissance, l'ancien compagnon de la requérant établit la résidence principale des deux enfants communs (y compris de l'enfant né en 2007 dont la filiation paternelle est mise en cause) à son domicile. En novembre 2012, le requérant a assigné l'ancien compagnon de la requérante, devant le tribunal afin d'obtenir l'annulation de la reconnaissance de paternité légale de ce dernier à l'égard de l'enfant né en 2007. Puis en février 2013, il assigna la requérante en sa qualité de représentante légale de l'enfant. Par un jugement du 21 octobre 2014, le tribunal déclara l’action du requérant irrecevable. Il releva que l’action en contestation de paternité devait être dirigée contre le père et contre l’enfant et considéra qu’il convenait dès lors de déterminer si le requérant avait qualité pour agir à la date à laquelle l’enfant avait été assigné, en février 2013. Relevant qu’à cette date l’enfant avait bénéficié d’une possession d’état d’enfant de l'ancien compagnon qui était conforme à la filiation établie par reconnaissance, il jugea que le requérant n’avait pas qualité à agir compte tenu de l’expiration du délai de forclusion de cinq ans prévu à l’article 333, alinéa 2 du code civil. En se fondant notamment sur l’enquête sociale réalisée, le tribunal constata que, depuis la naissance de l'enfant, l'ancien compagnon de la requérante l’avait traité comme son fils. Il considéra que ni la connaissance que le père légal avait pu avoir, dès 2009, du fait qu’il n’était pas le père biologique de l'enfant, ni la lettre que le requérant lui avait adressée pour l’informer de son intention d’introduire une action en contestation de paternité, ni même l’assignation délivrée en novembre 2012 n’avaient eu pour effet de troubler ou de rendre équivoque la possession d’état ainsi établie. Il releva par ailleurs que si la requérante avait effectivement révélé à l'enfant que le requérant était son père biologique, aucun élément au dossier ne montrait que l’enfant n’avait plus considéré l'ancien compagnon de sa mère comme son père. Les deux requérants interjetèrent appel. La cour d’appel confirma le jugement par un arrêt du 22 septembre 2015. Elle considéra que le délai prévu à l’article 333, alinéa 2 du code civil était un délai de forclusion qui n’était pas susceptible d’interruption ou de suspension. Elle considéra que la possession d’état pendant une durée de plus de cinq ans était acquise en l’espèce et que s’il ressortait d’une évaluation psychologique, faite à la demande de la requérante, que l'enfant souffrait de ne pouvoir reconnaître le requérant comme son père, cette évaluation avait été faite postérieurement à la période pertinente et ne pouvait remettre en cause le caractère paisible et non équivoque de la possession d’état. Elle estima enfin que la solution adoptée par le législateur de privilégier la réalité sociologique à la réalité biologique après l’expiration d’une période de cinq ans n’était pas contraire à l’intérêt de l’enfant. Les requérants se pourvurent en cassation. Ils arguaient, dans un premier moyen, que le délai de cinq ans prévu à l’article 333, alinéa 2 du code civil devait être considéré comme interrompu par l’assignation délivrée en novembre 2012 à l'ancien compagnon. Dans leur deuxième moyen, ils soutenaient qu’en ne permettant pas au requérant d’établir sa paternité biologique, les juridictions avaient méconnu leurs droits garantis par l’article 8 de la Convention. Dans son arrêt du 1er février 2017, la Cour de cassation considéra que l’action en contestation de paternité devant, sous peine d’irrecevabilité, être dirigée contre le père dont la filiation est contestée et contre l’enfant, l’assignation délivrée au seul père légal n’avait pas pu interrompre le délai de forclusion prévu à l’article 333, alinéa 2 du code civil. Sur le moyen tiré par les requérants de la violation de l’article 8 de la Convention, elle considéra que la décision du législateur de faire prévaloir la réalité sociologique sur la vérité biologique à l’expiration d’une période de cinq ans, pendant laquelle le père légal s’est comporté de façon continue, paisible et non équivoque comme le père de l’enfant, ne pouvait être considérée comme contraire à l’intérêt de l’enfant. Devant la Cour européenne des droits de l'homme, les requérants soutiennent que les juridictions internes ont refusé d’examiner l’action en contestation de paternité introduite par le requérant en se fondant sur une application trop restrictive du délai de cinq ans prévu à l’article 333, alinéa 2 du code civil et sans ménager un juste équilibre entre les différents intérêts en jeu. Ils estiment que ce refus a porté atteinte à leur droit au respect de leur vie privée et familiale, en violation de l’article 8 de la Convention. Introduites devant la Cour le 1er août 2017, les deux requêtes (n° 56513/17 et 56515/17) ont été communiquées le 7 décembre 2020 puis publiées le 11 janvier 2021. Questions aux parties : Y a-t-il eu atteinte au droit des requérants au respect de leur vie privée et familiale, au sens de l’article 8 § 1 de la Convention ? En particulier, la vie privée et familiale de la requérante est-elle en cause en l’espèce ? Dans l’affirmative, l’ingérence dans l’exercice de ce droit était-elle nécessaire, au sens de l’article 8 § 2 ? Plus particulièrement, l’application faite en l’espèce du délai de cinq ans prévu à l’article 333, alinéa 2 du code civil et l’appréciation de l’intérêt de l’enfant par les juridictions internes ont-elles permis de ménager un juste équilibre entre les différents intérêts en jeu, comme l’exige cette disposition ? |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Famille - Enfant - Jeunesse |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/fre/?i=001-207400 |