Document public
Titre : | Arrêt relatif à l'incrimination pénale visant spécifiquement l'enlèvement international des mineurs et au droit des citoyens de l'Union à la libre circulation : ZW (Allemagne) |
Auteurs : | Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 19/11/2020 |
Numéro de décision ou d'affaire : | C-454/19 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] Allemagne [Mots-clés] Enlèvement parental [Mots-clés] Enlèvement d'enfant étranger à l'étranger [Mots-clés] Protection de l'enfance [Mots-clés] Infraction [Mots-clés] Ressortissant UE [Mots-clés] Liberté d'aller et venir [Mots-clés] Respect de la législation et des décisions de justice [Mots-clés] Exécution d'une décision [Mots-clés] Inexécution de décision [Mots-clés] Autorité parentale [Mots-clés] Justice [Mots-clés] Justice pénale |
Mots-clés: | Reconnaissance mutuelle |
Résumé : |
Après s’être séparé du père de son enfant, une ressortissante roumaine, s’est installée en Allemagne en 2009, son enfant l’a rejoint ultérieurement. En vertu du droit roumain, les deux parents sont conjointement titulaires de l’autorité parentale sur l’enfant. Quelques années plus tard, l’enfant a été placé dans un foyer d’accueil avec l’accord des parents. Par la suite, en novembre 2014, le juge allemand a retiré aux parents notamment, le droit de déterminer la résidence de celui-ci et a confié ce droit à un curateur, dans le cadre d’une délégation partielle de l’autorité parentale, dite « curatelle pour protection complémentaire ». Après l’échec de plusieurs placements successifs de l’enfant dans différents établissements d’accueil, celui-ci est retourné chez sa mère avec l’autorisation de ce curateur. En août 2017, les autorités de la protection de l’enfance ont demandé à ce que l’autorité parentale soit restituée à la mère. Toutefois, en raison de circonstances inexpliquées, cette demande n’a pas encore été suivie d’effet. Au début du mois de décembre 2017, le père a emmené l’enfant en Roumanie, où tous deux vivent désormais. La mère a donné son accord quant à ce déplacement, sans toutefois qu’il soit établi si cet accord a porté sur une seule visite pendant la période de Noël 2017 ou sur un retour durable de l’enfant en Roumanie. Ni l’autorité de protection de l’enfance, ni le curateur n’ont été préalablement informés de ce déplacement.
Le curateur ayant porté plainte contre les parents de l’enfant en raison de ce déplacement, la mère a été poursuivie devant un tribunal pour l’infraction d’enlèvement de mineur commise de façon conjointe, au sens des dispositions du code pénal. Cette juridiction s’interroge sur la compatibilité de la disposition du code pénal avec le droit de l’Union. En effet, d’une part, l’application de cette disposition pourrait apparaître comme une restriction injustifiée à la liberté de circulation des citoyens de l’Union. D’autre part, cette disposition opérerait une différence de traitement entre les ressortissants allemands et les ressortissants des autres États membres, ces derniers étant traités de la même manière que les ressortissants de pays tiers. À cet égard, l’incrimination pénale qui réprime les enlèvements internationaux d’enfants, serait plus large que l’incrimination pénale qui réprime les enlèvements d’enfants retenus sur le territoire allemand, et serait de nature à affecter davantage les citoyens de l’Union ressortissants d’autres États membres que la République fédérale d’Allemagne. Elle demande, en substance, si le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’application d’une législation d’un État membre en vertu de laquelle le fait, pour un parent, de ne pas remettre au curateur désigné son enfant se trouvant dans un autre État membre est passible de sanctions pénales même en l’absence de recours à la violence, à la menace d’un mal sensible ou à la ruse, tandis que, lorsque l’enfant se trouve sur le territoire du premier État membre, ce même fait n’est punissable qu’en cas de recours à la violence, à la menace d’un mal sensible ou à la ruse. La Cour de justice de l’Union européenne répond par l’affirmative. Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, une restriction à la libre circulation des citoyens de l’Union qui, comme dans l’affaire au principal, est indépendante de la nationalité des personnes concernées peut être justifiée si elle est fondée sur des considérations objectives d’intérêt général et si elle est proportionnée à l’objectif légitimement poursuivi par la législation nationale en cause. Une mesure est proportionnée lorsque, tout en étant apte à la réalisation de l’objectif poursuivi, elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre. En l’espèce, l’incrimination pénale visant à punir l’enlèvement international d’enfant a été introduite en raison des difficultés de faire exécuter, dans un autre État, une décision judiciaire allemande relative à la garde de l’enfant ainsi que de la gravité de tout enlèvement international, en particulier lorsque l’enfant a été déplacé dans un État appartenant à une aire culturelle et lorsque son retour immédiat ne peut être obtenu. Il y a donc lieu de considérer que ces motifs sont intrinsèquement liés à la protection de l’enfant et de ses droits fondamentaux. Or, selon la jurisprudence de la Cour, la protection de l’enfant constitue un intérêt légitime de nature à justifier, en principe, une restriction à une liberté fondamentale garantie par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Il en va de même de la protection des droits fondamentaux de l’enfant, tels que consacrés à l’article 24 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Les motifs invoqués par le gouvernement allemand relèvent, partant, de considérations objectives d’intérêt général. Il ressort également de la jurisprudence de la Cour qu’il n’est pas indispensable que les mesures édictées par un État membre pour protéger les droits de l’enfant correspondent à une conception partagée par l’ensemble des États membres en ce qui concerne le niveau et les modalités de cette protection. Cette conception pouvant varier d’un État membre à l’autre selon des considérations notamment d’ordre moral ou culturel, il y a lieu de reconnaître aux États membres une marge d’appréciation certaine. S’il est vrai qu’il appartient à ces derniers, à défaut d’harmonisation au niveau de l’Union, d’apprécier le niveau auquel ils entendent assurer la protection de l’intérêt en cause, il n’en demeure pas moins que ce pouvoir d’appréciation doit être exercé dans le respect des obligations découlant du droit de l’Union et, notamment, des exigences rappelées. À cet égard, une incrimination pénale visant à punir l’enlèvement international d’enfant, y compris lorsque celui-ci est le fait d’un parent, est, en principe, apte à assurer, en raison notamment de son effet dissuasif, la protection des enfants contre de tels enlèvements ainsi que la garantie de leurs droits. L’application de la disposition prévoyant une telle incrimination participe, en outre, de l’objectif de lutte contre ces enlèvements dans l’intérêt de la protection des enfants. Une telle incrimination pénale ne doit toutefois pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif légitime qu’elle poursuit. Or, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il apparaît que le législateur allemand considère que la protection de l’enfant et de ses droits face au risque d’enlèvement ne requiert pas que son enlèvement par un parent relève, par principe et en toute hypothèse, d’un comportement pénalement répréhensible. En effet, alors que l’enlèvement international d’un enfant par son parent est passible, en tant que tel, d’une sanction pénale, il en va différemment de l’enlèvement d’un enfant par son parent lorsque l’enfant est retenu sur le territoire allemand, puisqu’un tel acte ne donne lieu à sanction pénale, qu’en cas de recours à la violence, à la menace d’un mal sensible ou à la ruse. Certes, il ressort des éléments du dossier dont dispose la Cour que l’incrimination spécifique ainsi que le niveau renforcé de protection de l’enfant que cette disposition instaure sont fondés sur la considération selon laquelle, en cas de déplacement de l’enfant en dehors du territoire allemand, son retour sur ce territoire et auprès du titulaire du droit de garde se heurterait, tout autant que la reconnaissance des décisions judiciaires allemandes, à des difficultés pratiques. Toutefois, il y a lieu de considérer qu’une incrimination pénale prévoyant que le seul fait pour un parent ou les deux parents d’un enfant retenu dans un autre État membre de ne pas remettre celui-ci à l’autre parent, au tuteur ou au curateur donne lieu à des sanctions pénales même en l’absence de recours à la violence, à la menace d’un mal sensible ou à la ruse, va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi, dans un contexte où le fait de retenir un enfant sur le territoire de l’État membre concerné ne donne lieu à sanction qu’en cas de recours à la violence, à la menace d’un mal sensible ou à la ruse. En effet, une argumentation fondée en substance sur la présomption selon laquelle il est impossible ou excessivement difficile d’obtenir la reconnaissance, dans un autre État membre, d’une décision judiciaire relative à la garde d’un enfant et, en cas d’enlèvement international d’un enfant, son retour immédiat, reviendrait à assimiler les États membres à des États tiers et se heurterait aux règles et à l’esprit du règlement n° 2201/2003. Ce règlement est fondé sur le principe de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires, pierre angulaire de la création d’un véritable espace judiciaire, ainsi que sur le principe de la confiance mutuelle. Selon une jurisprudence constante, ce dernier principe impose à chacun des États membres de considérer, sauf dans des circonstances exceptionnelles, que tous les autres États membres respectent le droit de l’Union et, tout particulièrement, les droits fondamentaux reconnus par ce droit. |
ECLI : | EU:C:2020:947 |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Famille - Enfant - Jeunesse |
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