Document public
Titre : | Jugement relatif à l’indemnisation des jeunes, en réparation de leur préjudice moral résultant des faits de violence, de contrôles d’identité et d’arrestations injustifiées, et à l’absence de discrimination en raison de leur âge ou de leur origine |
Auteurs : | Tribunal judiciaire de Paris, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 28/10/2020 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 19/08420 |
Format : | 20 p. |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Relation avec les professionnels de la sécurité [Mots-clés] Responsabilité de l'Etat [Mots-clés] Contrôle d'identité [Mots-clés] Fouille [Mots-clés] Profilage ethnique [Mots-clés] Propos déplacés [Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Discrimination non caractérisée [Mots-clés] Jeune [Mots-clés] Âge [Mots-clés] Origine [Mots-clés] Race, Ethnie [Mots-clés] Interpellation [Mots-clés] Violence [Mots-clés] Usage de la force [Mots-clés] Dommages-intérêts |
Résumé : |
L’affaire concerne dix-sept requérants ayant fait l'objet des contrôles de police en 2014 et 2015, alors qu’ils étaient mineurs. Ils ont déposé plainte auprès du procureur de la République des chefs de violences aggravées, agressions sexuelles aggravées, destructions, séquestrations et arrestations arbitraires, abus d’autorité et discrimination, pour des faits imputés aux fonctionnaires de police d’un arrondissement parisien. L’enquête, confiée à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) et répertoriant 44 faits, a donné lieu à des poursuites à l’encontre de quatre fonctionnaires de police pour des violences aggravées, le surplus a fait l’objet d’un classement sans suite, confirmé en appel.
En avril 2018, le tribunal correctionnel a déclarés coupables, les trois des quatre fonctionnaires de police, des faits reprochés commis à l’encontre d’un des dix-sept requérants et d’une jeune femme. L’appel interjeté par les prévenus est actuellement en cours. C’est dans ce contexte, que les dix-sept requérants ont demandé au tribunal judiciaire de condamner l’État à leur verser, à chacun, la somme de 50 000 € en réparation de leur préjudice moral. Le tribunal judiciaire fait partiellement droit à certaines demandes. Il ne reconnaît pas l’existence d’une discrimination. Il considère que la responsabilité de l’État en raison de contrôles d’identité, même préventifs, et de leurs éventuelles suites, ne peut être recherchée, s’agissant d’opération menées sous le contrôle de l’autorité judiciaire, que sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, lequel dispose que l’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice en cas de faute lourde ou de déni de justice. La faute lourde s’entend de toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi. Le tribunal examine successivement chacun des 44 faits dénoncés et qui ont été examinés par l’IGPN afin de déterminer s’ils sont établis, et le cas échéant, s’ils traduisent, isolement ou réunis, une faute lourde du service public de la justice, pour chacun des demandeurs. Concernant les griefs liés à la discrimination, le tribunal rappelle que si, dans son fonctionnement, le service public de la justice est à l’origine d’une discrimination, directe ou indirecte, cela traduit, à l’évidence, une faute lourde au sens de l’article L. 141-1 précité, comme l’a déjà jugé la Cour de cassation à propos des contrôles d’identité discriminatoires. Il ajoute que l’aménagement de la charge de la preuve en matière de discrimination, ne dispense pas celui qui se dit victime, d’énoncer avec précision la ou les situation(s) qu’il juge discriminatoire(s), ni d’en établir la matérialité et qu’il convient de déterminer si les demandeurs rapportent la preuve qui leur incombe d’une présomption de discrimination à l’occasion des faits dénoncés par les demandeurs. Toutefois, le juge considère qu’aucune présomption de discrimination n’est démontrée par les intéressés à l’occasion de 44 faits litigieux. Les intéressés se prévalaient de propos racistes tenus par les policiers, de représailles, de termes « indésirables » et « jeunes voyous » employés pour les qualifier, d’attestations de riverains, et de données statistiques. Or, le juge considère que parmi ces éléments, certains ne sont pas démontrés. Il en est ainsi de l’ensemble des injures racistes évoqués et des deux faits de représailles qui ne reposent que sur leurs propres déclarations. D’autres, bien que clairement racistes, ne sont pas imputables aux policiers (commentaires rédigés sur des réseaux sociaux par des particuliers). D’autres encore, bien que souvent dénigrants, ne présentent pas la dimension discriminatoire que les demandeurs leur prêtent, comme l’emploi des termes « indésirable » et « jeune voyou » pour désigner certains des demandeurs au sein de la main courante informatisée. Le tribunal considère qu’il ressort en effet des pièces du dossier que la catégorie visée, sous-tendue par l’utilisation de ces termes, se définit, non par son âge ou son origine, mais par son comportement au sein de l’espace public, au nom d’une politique, assumée par la hiérarchie policière et les agents auteurs des contrôles litigieux, de sécurisation contre « la présence de jeunes en soirée et nuit, sur des zones piétonnes, où ils commentent diverses nuisances et incivilités, voire certaines infractions, particulièrement gênantes pour les habitants de ces quartiers (analyse des registres d’ordre faite par l’IGPN dans son rapport de synthèse). Le juge ajoute que le fait que, dans sa mise en œuvre, cette politique donne lieu à des contrôles irréguliers, voire à la commission d’infraction par les policiers, ne permet nullement d’y voir une connotation discriminatoire liée à l’âge ou à l’origine. Le juge ajoute que c’est d’ailleurs la raison pour laquelle les attestations produites, qui émanent de riverains qui ne sont soit pas d’âge des demandeurs, soit pas de la même origine apparente, et qui précisent n’avoir jamais, ou presque, fait l’objet de contrôle de police au sein du quartier litigieux, sont en réalité sans incidence, dans la mesure où rien n’est dit sur leur comportement. En effet, pour établir une différence de traitement discriminatoire, il faudrait démontrer qu’à comportement égal, seuls les demandeurs ont fait l’objet d’une intervention policière, preuve qui n’est pas rapportée. Enfin, quant aux données statistiques, si les études et informations produites attestent de la surreprésentation des personnes appartenant aux minorités visibles parmi les personnes faisant l’objet de contrôles d’identité en France, ces éléments sont, à eux seuls, insuffisants à laisser présumer une discrimination dans le cadre du présent litige. Le juge conclut que puisque la discrimination n'est pas établie s'agissant des faits pris isolément, elle ne peut, à plus forte raison, l'être de manière globale, que ce soit à travers l'existence d'un phénomène de harcèlement discriminatoire ou par celle d'une discrimination systémique. Le tribunal retient, en revanche, que dans cinq cas les contrôles d’identité ont eu lieu sans motif régulier, engageant ainsi la responsabilité de l’État. Il retient également cinq opérations ayant donné lieu à des violences suffisamment établies dans leur matérialité et leur illégitimité et/ou disproportion (coups au visage et sur le corps, étranglement, gifles et coups dans les côtes) constitutifs d’une faute lourde. Dans neuf cas, il est par ailleurs démontré que des transports et rétentions au local de police sont intervenus en dehors du cadre prévu par la loi. Le tribunal retient ainsi plusieurs vérifications d’identité injustifiées car "déjà connue". Ces faits sont constitutifs d’une faute lourde engageant la responsabilité de l’État. L’État est condamné à verser, à titre de dommages et intérêts, aux onze des dix-sept requérants, des sommes allant de 1.000 € à 12.000 €, pour une somme totale de 40 500 €, outre les frais de justice. |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Relation avec les professionnels de la sécurité |
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