Document public
Titre : | Arrêt relatif au refus par l'Etat membre d'affiliation d'un patient de rembourser des coûts de soins transfrontaliers lorsqu'un traitement efficace est disponible dans cet Etat mais que les croyances religieuses de l'affilié réprouvent le mode de traitement utilisé : A (Lettonie) |
Auteurs : | Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 29/10/2020 |
Numéro de décision ou d'affaire : | C-234/19 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] Lettonie [Mots-clés] Santé - soins [Mots-clés] Frais de santé [Mots-clés] Remboursement [Mots-clés] Sécurité sociale [Mots-clés] Protection et sécurité sociale [Mots-clés] Religion - Croyances [Mots-clés] Liberté de pensée, de conscience et de religion [Mots-clés] Témoin de Jéhovah [Mots-clés] Égalité de traitement [Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Discrimination directe [Mots-clés] Discrimination non caractérisée |
Résumé : |
Le fils du requérant devait subir une opération à cœur ouvert. Cette opération était disponible dans l’État membre d’affiliation de ce dernier, la Lettonie, mais ne pouvait être réalisée sans transfusion sanguine. Or, le requérant s’est opposé à ce mode de traitement au motif qu’il était témoin de Jéhovah, et a dès lors demandé au service national de santé de Lettonie de délivrer une autorisation permettant à son fils de bénéficier de soins de santé programmés en Pologne, où l’opération pouvait être effectuée sans transfusion sanguine. Sa demande ayant été refusée, le requérant a introduit un recours contre la décision de refus du service de santé. Ce recours a été rejeté par un jugement en première instance, qui a été confirmé en appel. Entre-temps, le fils du requérant a été opéré du cœur en Pologne, sans transfusion sanguine.
Saisie d'un pourvoi en cassation, la Cour suprême de Lettonie souhaite de savoir si les services de santé lettons pouvaient refuser la délivrance du formulaire permettant cette prise en charge sur le fondement de critères exclusivement médicaux ou s’ils étaient également tenus de prendre en compte à cet égard les croyances religieuses du requérant. S’interrogeant sur la compatibilité d’un système d’autorisation préalable tel que celui en cause avec le droit de l’Union, la juridiction de renvoi a adressé à la Cour de justice deux questions préjudicielles visant à l’interprétation, d’une part, de l’article 20, paragraphe2, du règlement nº883/20041, qui détermine les conditions dans lesquelles l’État membre de résidence d’une personne assurée demandant l’autorisation de se rendre dans un autre État membre aux fins de bénéficier d’un traitement médical est tenu d’accorder l’autorisation et, par conséquent, de prendre en charge les soins de santé reçus dans l’autre État membre ainsi que, d’autre part, de l’article 8 de la directive 2011/242, qui concerne les régimes d’autorisation préalable pour le remboursement des coûts des soins de santé transfrontaliers, lus à la lumière de l’article 21, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui interdit notamment toute discrimination fondée sur la religion. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, en premier lieu, que l’article 20, paragraphe 2, du règlement nº 883/2004, lu à la lumière de l’article 21, paragraphe 1, de la Charte, ne s’oppose pas à ce que l’État membre de résidence de l’assuré refuse d’accorder à ce dernier l’autorisation prévue à l’article 20, paragraphe 1, de ce règlement lorsque, dans cet État membre, un traitement hospitalier, dont l’efficacité médicale ne soulève aucun doute, est disponible mais que les croyances religieuses de cet assuré réprouvent le mode de traitement utilisé. À cet égard, la Cour a notamment constaté que le refus d’accorder l’autorisation préalable prévue par le règlement nº 883/2004 introduit une différence de traitement qui est indirectement fondée sur la religion ou les croyances religieuses. En effet, les patients qui subissent une intervention médicale avec transfusion sanguine voient les coûts correspondants couverts par la sécurité sociale de l’État membre de résidence, tandis que ceux qui, pour des raisons religieuses, décident de ne pas subir une telle intervention dans cet État membre et de recourir, dans un autre État membre, à un traitement auquel ne s’opposent pas leurs croyances religieuses, ne bénéficient pas d’une telle couverture de ces coûts dans le premier État membre. Une telle différence de traitement est justifiée dès lors qu’elle est fondée sur un critère objectif et raisonnable et qu’elle est proportionnée au but poursuivi. La Cour a estimé que tel était le cas en l’espèce. Elle a d’abord observé que, si des prestations en nature dispensées dans un autre État membre donnent lieu à des coûts plus élevés que ceux liés aux prestations qui auraient été dispensées dans l’État membre de résidence de l’assuré, l’obligation d’un remboursement intégral peut engendrer des surcoûts à l’égard de ce dernier État membre. Elle a ensuite constaté que si l’institution compétente était contrainte de tenir compte des croyances religieuses de l’assuré, de tels surcoûts pourraient, au vu de leur imprévisibilité et de leur ampleur potentielle, entraîner un risque pour la nécessité de protéger la stabilité financière du système de l’assurance maladie, laquelle constitue un objectif légitime reconnu par le droit de l’Union. La Cour en a conclu que, en l’absence d’un régime d’autorisation préalable axé sur des critères exclusivement médicaux, l’État membre d’affiliation serait exposé à une charge financière additionnelle, difficilement prévisible et susceptible d’entraîner un risque pour la stabilité financière de son système d’assurance maladie. Par conséquent, l’absence de prise en compte des croyances religieuses de l’intéressé apparaît comme une mesure justifiée au regard de l’objectif précité, qui satisfait à l’exigence de proportionnalité. Enfin, la Cour a jugé, en second lieu, que l’article 8, paragraphes 5 et 6, sous d), de la directive 2011/24, lu à la lumière de l’article 21, paragraphe 1, de la Charte, s’oppose à ce que l’État membre d’affiliation d’un patient refuse d’accorder à ce dernier l’autorisation prévue à l’article 8, paragraphe 1, de cette directive lorsque, dans cet État membre, un traitement hospitalier, dont l’efficacité médicale ne soulève aucun doute, est disponible mais que les croyances religieuses de ce patient réprouvent le mode de traitement utilisé. Il en irait autrement si ce refus était objectivement justifié par un but légitime tenant au maintien d’une capacité de soins de santé ou d’une compétence médicale et constituait un moyen approprié et nécessaire permettant d’atteindre ce but, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier. |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Laïcité - Religion |
En ligne : | http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=233023&pageIndex=0&doclang=FR&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=10538503 |