Document public
Titre : | Arrêt relatif à l’impossibilité d’établir sur un acte de naissance une double filiation maternelle pour un enfant procréé avec des gamètes mâles d’une personne transgenre ou de désigner cette personne comme étant « parent biologique » de l’enfant |
Auteurs : | Cour de cassation, 1ere ch. civ., Auteur ; Cour de cassation, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 16/09/2020 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 18-50080 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Bioéthique [Mots-clés] Transidentité [Mots-clés] Justice [Mots-clés] Justice familiale [Mots-clés] Justice civile [Mots-clés] Filiation [Mots-clés] Maternité [Mots-clés] Sexe [Mots-clés] Paternité [Mots-clés] État civil [Mots-clés] Respect de la vie privée et familiale [Mots-clés] Intérêt supérieur de l'enfant [Mots-clés] Parent [Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Discrimination non caractérisée |
Mots-clés: | LGBTI |
Résumé : |
L'affaire concerne la question de la reconnaissance dans l’ordre juridique français du lien de filiation d’un enfant né d’un couple marié, dont l’un des parents a obtenu préalablement à sa naissance, la modification de son sexe à l’état civil.
La requérante, une personne transgenre, née de sexe masculin et mariée avec une femme en 1999, a eu deux enfants en 2000 et 2004. En 2009, elle a saisi le juge d'une demande de modification de la mention relative à son sexe (masculin) dans les actes d'état civil. Le juge a fait droit à cette demande en février 2011 et a dit que l'intéressée serait désormais inscrite à l’état civil comme étant de sexe féminin, avec un prénom féminin. Cette décision a été portée en marge de son acte de naissance et de son acte de mariage. En 2014, soit postérieurement à la modification de la mention relative au sexe à l’état civil, l'épouse de la requérante a donné naissance à un troisième enfant, conçu avec l’intéressée, qui avait conservé la fonctionnalité de ses organes sexuels masculins. L'enfant a été déclaré à l'état civil comme étant né de l'épouse de la requérante. Cette dernière a demandé la transcription, sur l'acte de naissance de l'enfant, de sa reconnaissance de maternité anténatale, ce qui lui a été refusé par l'officier de l'état civil. La cour d'appel a constaté l'impossibilité d'établissement d'une double filiation de nature maternelle pour l'enfant, en présence d'un refus de l'adoption intra-conjugale, et rejeté la demande de transcription, sur les registres de l'état civil, de la reconnaissance de maternité de la requérante à l'égard de l'enfant. En revanche, la cour a jugé que le lien biologique doit être retranscrit par l'officier de l'état civil, sur l'acte de naissance de l'enfant sous la mention "parent biologique". Le Défenseur des droits a été saisi pour avis par l’avocat général près la Cour de cassation dans le cadre de l’examen du pourvoi. La Cour de cassation approuve le rejet de la demande de transcription sur les registres de l'état civil de la reconnaissance de maternité. En revanche, elle casse et annule l'arrêt quant à la mention "parent biologique". La Cour de cassation note que si l'article 61-8 prévoit que la mention du sexe dans les actes de l’état civil est sans effet sur les obligations contractées à l’égard des tiers ni sur les filiations établies avant cette modification, aucun texte ne règle le mode d’établissement de la filiation des enfants engendrés ultérieurement. Il convient dès lors, en présence d’une filiation non adoptive, de se référer aux dispositions relatives à l’établissement de la filiation prévues au titre VII du livre premier du code civil. La Cour considère que les dispositions des articles 311-25 et 320 du code civil s'opposent à ce que deux filiations maternelles soient établies à l'égard d'un même enfant, hors adoption. En application des articles 313 et 316, alinéa 1er, du code civil, la filiation de l’enfant peut, en revanche, être établie par une reconnaissance de paternité lorsque la présomption de paternité est écartée faute de désignation du mari en qualité de père dans l’acte de naissance de l’enfant. De la combinaison de ces textes, il résulte qu’en l’état du droit positif, une personne transgenre homme devenu femme qui, après la modification de la mention de son sexe dans les actes de l’état civil, procrée avec son épouse au moyen de ses gamètes mâles, n’est pas privée du droit de faire reconnaître un lien de filiation biologique avec l’enfant, mais ne peut le faire qu’en ayant recours aux modes d’établissement de la filiation réservés au père. La Cour considère que ces dispositions du droit national poursuivent un but légitime, au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce qu’elles tendent à assurer la sécurité juridique et à prévenir les conflits de filiation. La Cour ajoute qu’elles sont conformes à l’intérêt supérieur de l’enfant, d’une part, en ce qu’elles permettent l’établissement d’un lien de filiation à l’égard de ses deux parents, élément essentiel de son identité et qui correspond à la réalité des conditions de sa conception et de sa naissance, garantissant ainsi son droit à la connaissance de ses origines personnelles, d’autre part, en ce qu’elles confèrent à l’enfant né après la modification de la mention du sexe de son parent à l’état civil la même filiation que celle de ses frère et sœur, nés avant cette modification, évitant ainsi les discriminations au sein de la fratrie, dont tous les membres seront élevés par deux mères, tout en ayant à l’état civil l’indication d’une filiation paternelle à l’égard de leur géniteur, laquelle n’est, au demeurant, pas révélée aux tiers dans les extraits d’actes de naissance qui leur sont communiqués. En ce qu’elles permettent, par la reconnaissance de paternité, l’établissement d’un lien de filiation conforme à la réalité biologique entre l’enfant et la personne transgenre - homme devenu femme - l’ayant conçu, ces dispositions concilient l’intérêt supérieur de l’enfant et le droit au respect de la vie privée et familiale de cette personne, droit auquel il n’est pas porté une atteinte disproportionnée, au regard du but légitime poursuivi, dès lors qu’en ce qui la concerne, celle-ci n’est pas contrainte par là-même de renoncer à l’identité de genre qui lui a été reconnue. Enfin, ces dispositions ne créent pas de discrimination entre les femmes selon qu’elles ont ou non donné naissance à l’enfant, dès lors que la mère ayant accouché n’est pas placée dans la même situation que la femme transgenre ayant conçu l’enfant avec un appareil reproductif masculin et n’ayant pas accouché. En ce qui concerne la mention « parent biologique », la Cour de cassation souligne que la loi française ne permet pas de désigner, dans les actes de l’état civil, le père ou la mère de l’enfant comme « parent biologique ». En l’espèce, pour ordonner la transcription de la mention « parent biologique » sur l’acte de naissance de l’enfant, s’agissant de la désignation la requérante, l’arrêt retient que seule cette mention est de nature à concilier l’intérêt supérieur de l’enfant de voir établir la réalité de sa filiation biologique avec le droit de l’intéressée de voir reconnaître la réalité de son lien de filiation avec l’enfant et le droit au respect de sa vie privée consacré par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, le terme de « parent », neutre, pouvant s’appliquer indifféremment au père et à la mère, la précision, « biologique », établissant la réalité du lien entre la requérante et son enfant. En statuant ainsi, alors qu’elle ne pouvait créer une nouvelle catégorie à l’état civil et que, loin d’imposer une telle mention sur l’acte de naissance de l’enfant, le droit au respect de la vie privée et familiale des intéressées y faisait obstacle, la cour d’appel a méconnu l’article 57 du code civil et l’article 8 de la Convention. |
ECLI : | FR:CCAS:2020:C100519 |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Bioéthique |
En ligne : | https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/premiere_chambre_civile_568/519_16_45426.html |
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