Document public
Titre : | Arrêt relatif à la violation de la liberté d'expression en raison de la condamnation pénale pour incitation à la discrimination économique en raison d'une action appelant au boycott des produits étrangers : Baldassi et autres c. France |
Voir aussi : | |
Titre précédent : | |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 11/06/2020 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 15271/16 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] France [Géographie] Israël [Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Liberté d'expression [Mots-clés] Secteur économique [Mots-clés] Libertés publiques et individuelles [Mots-clés] Nationalité [Mots-clés] Justice [Mots-clés] Justice pénale [Mots-clés] Infraction |
Mots-clés: | Boycott |
Résumé : |
L'affaire concerne la condamnation des requérants, militants de la cause palestinienne, sur le fondement de l’article 24 alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pour incitation à la discrimination économique en raison de leur participation à une action appelant au boycott des produits importés d'Israël.
La Cour européenne des droits de l'homme dit, à la majorité qu'il n'y a pas eu violation de l'article 7 (pas de peine sans loi) de la Convention. La Cour observe qu’en l’état de la jurisprudence à l’époque des faits, les requérants pouvaient savoir qu’ils risquaient d’être condamnés sur le fondement de l’article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 en raison de l’appel à boycott des produits importés d’Israël. En revanche, elle juge, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de l'article 10 (liberté d'expression) de la Convention. La Cour observe que l’appel au boycott combine l’expression d’une opinion protestataire et l’incitation à un traitement différencié de sorte que, selon les circonstances qui le caractérisent, il est susceptible de constituer un appel à la discrimination d’autrui. Or, l’appel à la discrimination relève de l’appel à l’intolérance, lequel, avec l’appel à la violence et l’appel à la haine, est l’une des limites à ne dépasser en aucun cas dans le cadre de l’exercice de la liberté d’expression. Toutefois, inciter à traiter différemment ne revient pas nécessairement à inciter à discriminer. À la différence de l'affaire Willem c. France, les requérants sont de simples citoyens, qui ne sont pas astreints aux devoirs et responsabilité rattachés au mandat de maire, et dont l’influence sur les consommateurs n’est pas comparable à celle d’un maire sur les services de sa commune. De plus, c’est pour provoquer ou stimuler le débat parmi les consommateurs des supermarchés que les requérants ont mené les actions d’appel au boycott qui leur ont valu les poursuites qu’ils dénoncent devant la Cour. La Cour observe que les requérants n’ont pas été condamnés pour avoir proféré des propos racistes ou antisémites ou pour avoir appelé à la haine ou à la violence. Ils n’ont pas non plus été condamnés pour s’être montrés violents ou pour avoir causé des dégâts. Ils ont été condamnés en raison de l’appel au boycott de produits en provenance d’Israël, pour avoir « provoqué à la discrimination », au sens de l’article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Les juridictions françaises avaient retenu qu’en appelant les clients de l’hypermarché à ne pas acheter des produits venant d’Israël, les requérants avaient provoqué à discriminer les producteurs ou les fournisseurs de ces produits à raison de leur origine. Elles ont ensuite souligné que la provocation à la discrimination ne relevait pas du droit à la liberté d’opinion et d’expression dès lors qu’elle constituait un acte positif de rejet à l’égard d’une catégorie de personnes, se manifestant par l’incitation à opérer une différence de traitement. Selon elles, le fait pour les prévenus d’inciter autrui à procéder à une discrimination entre les producteurs ou les fournisseurs, pour rejeter ceux d’Israël, suffisait à caractériser l’élément matériel de l’infraction de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence prévue par l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881, alinéa 8, sur la liberté de la presse. Elles avaient de plus ajouté que la liberté d’expression n’autorisait pas son détenteur, sous le couvert de cette liberté, à commettre un délit puni par la loi. La Cour n’entend pas mettre en cause l’interprétation de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur laquelle repose ainsi la condamnation des requérants, selon laquelle, en appelant au boycott de produits venant d’Israël, les requérants ont, au sens de cette disposition, provoqué à la discrimination des producteurs ou fournisseurs de ces produits à raison de leur origine. La Cour relève cependant que, tel qu’interprété et appliqué en l’espèce, le droit français interdit tout appel au boycott de produits à raison de leur origine géographique, quels que soient la teneur de cet appel, ses motifs et les circonstances dans lequel il s’inscrit. Elle constate ensuite que, statuant sur ce fondement juridique, les juridictions françaises n'ont pas analysé les actes et propos poursuivis à la lumière de ces facteurs. Elle a conclu de manière générale que l’appel au boycott constituait une provocation à la discrimination, au sens de l’article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881, sur le fondement duquel les requérants étaient poursuivis, et qu’il « ne saurait entrer dans le droit à la liberté d’expression ». Ainsi, le juge interne n’a pas établi que la condamnation des requérants en raison de l’appel au boycott de produits en provenance d’Israël qu’ils ont lancé était nécessaire, dans une société démocratique, pour atteindre le but légitime poursuivi, à savoir la protection des droits d’autrui. Une motivation circonstanciée était pourtant d’autant plus essentielle en l’espèce qu’on se trouve dans un cas où l’article 10 de la Convention exige un niveau élevé de protection du droit à la liberté d’expression. En effet, d’une part, les actions et les propos reprochés aux requérants concernaient un sujet d’intérêt général. D’autre part, ces actions et ces propos relevaient de l’expression politique et militante. La Cour a souligné à de nombreuses reprises que l’article 10 § 2 ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou de questions d’intérêt général. Comme la Cour l’a rappelé dans l’arrêt Perinçek, par nature, le discours politique est source de polémiques et il est souvent virulent. Il n’en demeure pas moins d’intérêt public, sauf s’il dégénère en un appel à la violence, à la haine ou à l’intolérance. La Cour en déduit que la condamnation des requérants ne repose pas sur des motifs pertinents et suffisants. Elle n’est pas convaincue que le juge interne ait appliqué des règles conformes aux principes consacrés à l’article 10 et se soit fondé sur une appréciation acceptable des faits. |
ECLI : | CE:ECHR:2020:0611JUD001527116 |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Discrimination - Egalité |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-202756 |