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Titre : | Arrêt relatif à la violation des droits des roms évacués en 2013 d'un campement non autorisé sans que les autorités aient pris en compte leur situation particulière et en absence d'un recours effectif pour contester leur expulsion : Hirtu et autres c. France |
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Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 14/05/2020 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 24720/13 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] France [Mots-clés] Expulsion [Mots-clés] Origine [Mots-clés] Règlementation des services publics [Mots-clés] Relation des usagers avec les services publics [Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Roms [Mots-clés] Logement [Mots-clés] Procédure de référé [Mots-clés] Scolarité [Mots-clés] Occupation illégale d'un terrain [Mots-clés] Traitement inhumain et dégradant [Mots-clés] Respect de la vie privée et familiale [Mots-clés] Droit à un recours effectif [Mots-clés] Domicile |
Résumé : |
L’affaire concerne l’évacuation forcée en avril 2013 des requérants, sept ressortissants roumains appartenant à la communauté rom, d’un campement situé en banlieue parisien. Ils s’y sont installés en octobre 2012, suite au démantèlement d’un précédent campement.
Les requérants soutiennent que les circonstances de leur évacuation forcée et leurs conditions de vie depuis lors constituent ensemble ou séparément un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 3 de la Convention. Par ailleurs, invoquant l’article 8 de la Convention, ils allèguent la violation de leur droit au respect de leur vie privée et familiale et de leur domicile, sous l’angle tant des obligations négatives que des obligations positives de l’État. Citant l’article 14 de la Convention, combiné avec les articles 3 et 8 de la Convention, ils font valoir que l’évacuation et le traitement dont ils ont fait l’objet relèvent d’un traitement systématique des Roms en France, fondé sur leur origine ethnique. Ils soulignent qu’au-delà du traumatisme que l’évacuation forcée a provoqué chez leurs enfants, leur scolarité a été interrompue. Ils allèguent la violation de l’article 2 du Protocole n° 1 à la Convention. Enfin, ils se plaignent de ne pas avoir eu de recours effectif pour contester leur évacuation forcée (article 13 de la Convention). Le Défenseur des droits est intervenu en qualité de tiers intervenant devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Il souligne que la circulaire de 2012, qui répond en grande partie aux exigences fixées par le droit européen et notamment la jurisprudence de la Cour, autorise le démantèlement d’un campement en urgence pour des raisons de sécurité ou de salubrité publique, laissant ainsi toute latitude aux préfets en dehors de toute décision de justice et de tout contrôle juridictionnel préalable, ce qu’il estime contraire à l’article 8. Il considère que la notion d’urgence doit être davantage encadrée et qu’une évacuation d’urgence ne doit se produire que dans des cas exceptionnels, à savoir un danger imminent ou des faits avérés d’une extrême gravité tels que prostitution ou exploitation de personnes vulnérables ou d’enfants. Il regrette que les préconisations de la circulaire (diagnostic social, dispositif d’accompagnement) ne soient souvent pas suivies alors que son volet répressif semble avoir été mis en œuvre de façon systématique. La simple proposition faite oralement aux occupants d’un campement de recourir à l’hébergement d’urgence en appelant le « 115 », dispositif notoirement saturé, ne constitue pas un accompagnement suffisant. Par ailleurs, lorsqu’elles sont proposées, les solutions d’hébergement se révèlent insuffisantes ou inadaptées (par exemple, en séparant les hommes des femmes et des enfants ou en éloignant ces derniers des lieux de scolarisation). Rappelant la jurisprudence de la Cour sur l’article 8 de la Convention telle qu’elle ressort notamment des arrêts Winterstein précité et Yordanova et autres c. Bulgarie (n° 25446/06, 24 avril 2012), il souligne que l’examen de proportionnalité opéré par les juges nationaux est fluctuant et dépend de la juridiction saisie et que le contrôle a posteriori du juge administratif demeure insuffisant, celui-ci se limitant à constater l’illégalité de l’occupation et la menace à l’ordre public, sans examen de la proportionnalité de la mesure. Par ailleurs, le Défenseur des droits considère que, pour être effectif, le recours doit tout d’abord être accessible à la personne concernée, ce qui n’est le cas que si elle a été en mesure de prendre connaissance, le cas échéant dans une langue qu’elle comprend, de la mesure d’expulsion et des voies de recours. Cela implique que ces informations soient notifiées à chaque personne visée. Ces exigences sont d’autant plus élevées que la mesure est prise sans décision de justice et sans respect du principe du contradictoire, ce qui est le cas des arrêtés municipaux ou préfectoraux de mise en demeure. Par ailleurs, dans ces procédures susceptibles de porter atteinte aux articles 3 et 8 de la Convention ainsi qu’à l’intérêt supérieur de l’enfant, le recours ne peut être considéré comme effectif qu’autant qu’il permet de suspendre la mesure le temps que le juge puisse examiner sa proportionnalité. Le Défenseur des droits souligne enfin les difficultés rencontrées par les personnes visées par une mesure d’expulsion pour obtenir l’aide juridictionnelle, certains bureaux d’aide juridictionnelle la refusant au motif qu’elles ne produisent pas les pièces prouvant leur indigence, alors qu’elles sont manifestement dans une situation d’extrême précarité. La CEDH dit, à l'unanimité, qu'il y a eu non-violation de l'article 3 et violation des articles 8 et 13 de la Convention. La Cour observe tout d'abord que les circonstances de leur évacuation forcée et leurs conditions de vie ultérieures ne constituent pas un traitement inhumain et dégradant. Les autorités avaient en principe le droit d'expulser les requérants qui occupaient un terrain communal illégalement et ne pouvaient prétendre avoir une espérance légitime d'y rester. En revanche, s'agissant des modalités d'expulsion la Cour relève que cette mesure n’a pas été prise en exécution d’une décision de justice, mais selon la procédure de la mise en demeure prévue par l’article 9 de la loi du 5 juillet 2000. Le choix de cette procédure a entraîné plusieurs conséquences. En raison du bref délai entre l’arrêté préfectoral et sa mise en œuvre, il n’y a eu aucune prise en compte des conséquences de l’expulsion et de la situation particulière des requérants. Et, en raison de la procédure appliquée, le recours prévu par le droit interne est intervenu après la prise de décision par l’administration et s’est avéré en l’espèce inefficace. La Cour souligne que l’appartenance des requérants à un groupe socialement défavorisé et leurs besoins particuliers doivent être pris en compte dans l’examen de proportionnalité que les autorités nationales sont tenues d’effectuer. Tel n’ayant pas été le cas en l’espèce, la Cour conclut que les modalités de l’expulsion des requérants ont entraîné la violation du droit au respect de leur vie privée et familiale. Ensuite, la Cour constate qu’aucun examen juridictionnel des arguments des requérants sous l’angle des articles 3 et 8 de la Convention n’a eu lieu en première instance, ni au fond, ni en référé, contrairement aux exigences de l’article 13. Enfin, la Cour rejette les griefs tirés de la violation des articles 14 de la Convention et 2 du Protocole n° 1 à la Convention, pour non-épuisement des voies de recours internes. |
ECLI : | CE:ECHR:2020:0514JUD002472013 |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Roms - Gens du voyage |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-202442 |
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