Document public
Titre : | Arrêt relatif au fait que l'hospitalisation forcée d'un requérant séropositif a violé son droit à la liberté : Enhorn c. Suède |
est cité par : |
|
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 25/01/2005 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 56529/00 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Séropositivité [Mots-clés] Orientation sexuelle [Mots-clés] Isolement [Mots-clés] Santé - soins [Mots-clés] État de santé [Mots-clés] Maladie [Mots-clés] Maladie infectieuse [Mots-clés] Libertés publiques et individuelles [Mots-clés] Liberté d'aller et venir [Mots-clés] Recours |
Mots-clés: | Privation de liberté |
Résumé : |
En 1994, le requérant, qui est homosexuel, découvrit qu’il était séropositif et qu’il avait contaminé un jeune homme de 19 ans, avec lequel il avait eu des relations sexuelles pour la première fois en 1990. Pour cette raison, un médecin départemental prescrivit une série de mesures au requérant afin d’empêcher la propagation du virus, notamment l’interdiction pour lui d’avoir des rapports sexuels sans informer au préalable ses partenaires de sa séropositivité, ainsi que l’obligation de respecter plusieurs rendez-vous avec le médecin en question. L’intéressé ayant omis de se présenter à certains rendez-vous, le médecin départemental pria les tribunaux de rendre une décision permettant de placer le requérant en isolement obligatoire. Par un jugement de février 1995, le tribunal administratif départemental, se fondant sur la loi de 1988 sur les maladies contagieuses, demanda son placement en isolement obligatoire pendant une période maximum de trois mois. Cette décision prit effet immédiatement mais comme le requérant ne s’était pas présenté à l’hôpital, il y fut conduit par la police en mars 1995. Des décisions ayant pour effet de prolonger la privation de liberté du requérant furent prises plusieurs fois pour des périodes de six mois. La décision de privation de liberté demeura en vigueur jusqu’en 2001, soit pendant près de sept ans. Toutefois, l’intéressé s’étant enfui à plusieurs reprises, sa privation de liberté effective dura au total environ un an et demi. Les recours consécutifs du requérant furent rejetés par la Cour administrative d’appel. L’autorisation de saisir la Cour administrative suprême fut également rejetée. En 2001, le tribunal administratif départemental rejeta une demande tendant à l’obtention d’une nouvelle prolongation, au motif que l’on ignorait où se trouvait le requérant et qu’aucune information n’était donc disponible sur son comportement, son état de santé, etc. Il semble que l’on sache depuis 2002 où est l’intéressé mais que le médecin départemental compétent ait jugé que rien ne justifiait plus son placement en isolement obligatoire.
Il ne prête pas à controverse entre les parties que le requérant a été privé de liberté et que sa détention peut être examinée sous l’angle de l’article 5 § 1 e) de la Convention, l’objet de cette disposition étant d’empêcher la propagation du VIH. La Cour constate que la détention avait une base légale en droit national, à savoir la loi de 1988 sur les maladies infectieuses, qui conférait au médecin consultant une grande latitude s’agissant d’émettre les recommandations nécessaires pour empêcher la propagation de l’infection. Pour apprécier la « régularité » de la détention, les deux questions essentielles sont de savoir si la propagation de la maladie contagieuse est dangereuse pour la santé et la sûreté publiques, et si la détention constitue une mesure prise en dernier recours pour empêcher la propagation de la maladie, des mesures moins rigoureuses ayant été jugées insuffisantes. Il ne prête pas à controverse que le premier critère était rempli. S’agissant du second, bien que le requérant se soit enfui plusieurs fois durant les périodes couvertes par les décisions d’isolement obligatoire, il a au total été privé de liberté pendant un an et demi. Le Gouvernement n’a présenté aucun exemple de mesures moins rigoureuses qui auraient pu être envisagées parmi les diverses recommandations données au requérant, celle du 1er septembre 1994 lui interdisait d’avoir des rapports sexuels sans informer au préalable son partenaire qu’il était séropositif. La Cour relève que s’agissant de la période comprise entre février 1995 et décembre 2001, rien ne prouve ou n’indique qu’il ait transmis le virus à quiconque ou qu’il ait eu des relations sexuelles sans avoir au préalable informé son partenaire de sa maladie. Quant au fait qu’il ait contaminé un jeune homme de 19 ans en 1990, rien n’indique que le requérant lui ait transmis le virus de façon intentionnelle ou du fait d’une grave négligence. Il n’a lui-même eu connaissance de sa séropositivité qu’en 1994. Dans ces conditions, l’isolement obligatoire du requérant n’a pas constitué une mesure prise en dernier recours pour l’empêcher de propager le VIH, après que des mesures moins rigoureuses ont été envisagées et jugées insuffisantes pour protéger l’intérêt général. En prolongeant pendant près de sept ans les décisions en question – de sorte qu’au total le requérant a été hospitalisé contre son gré pendant près d’un an et demi –, les autorités n’ont pas ménagé un juste équilibre entre la nécessité d’éviter la non‑propagation du VIH et le droit du requérant à la liberté. La Cour conclut à l'unanimité à la violation de l'article 5 § 1 de la Convention, et alloue au requérant 12 000 euros pour dommage moral. De plus, elle lui octroie une somme pour frais et dépens. |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-68078 |