Document public
Titre : | Arrêt relatif à la violation du droit au respect de la vie privée et familiale d'une mère, réfugiée somalienne musulmane, qui n'a pu avoir aucun contact avec son fils adopté par une famille chrétienne contre sa volonté : Abdi Ibrahim c. Norvège |
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Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 17/12/2019 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 15379/16 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] Norvège [Géographie] Somalie [Mots-clés] Justice [Mots-clés] Justice familiale [Mots-clés] Liens familiaux [Mots-clés] Placement [Mots-clés] Adoption [Mots-clés] Adoption plénière [Mots-clés] Religion - Croyances [Mots-clés] Liberté de pensée, de conscience et de religion [Mots-clés] Parent [Mots-clés] Intérêt supérieur de l'enfant [Mots-clés] Enfant [Mots-clés] Respect de la vie privée et familiale [Mots-clés] Droit de visite |
Résumé : |
L'enfant âgé d'un an de la requérante, réfugiée somalienne, a fait l'objet d'une prise en charge d'urgence par les autorités norvégiennes. Il a ensuite été placé dans une famille chrétienne alors que la requérante avait demandé à ce qu'il soit placé chez ses cousins ou bien dans une famille somalienne ou musulmane.
Les autorités ont demandé que la famille d'accueil de l'enfant soit autorisée à l'adopter, ce qui comportait pour la mère la déchéance de ses droits parentaux et l'interdiction de tout contact avec son enfant. La requérante a formé un recours par lequel elle ne demandait pas le retour de son fils auprès d'elle, car celui-ci avait déjà passé beaucoup de temps avec ses parents d'accueil et s'y était attaché, mais sollicitait un droit de visite afin que l'enfant puisse conserver un lien avec ses racines culturelles et religieuses. Alors que l'enfant était âgé de cinq ans et demi, la cour d'appel, a débouté la requérante de son recours et a autorisé son adoption. Sur le terrain des articles 8 et 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion) de la Convention européenne des droits de l'homme, la requérante se plaignait devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), de la décision par laquelle elle avait été déchue de ses droits parentaux et l’adoption de son fils avait été autorisée. La CEDH rappelle les principes relatifs à la protection de l'enfance qu'elle a établis dans l'arrêt Strand Lobben. Lorsque la prise en charge d'un enfant par les autorités publiques s'impose, celles-ci ont l'obligation d'adopter des mesures afin de faciliter la réunion de la famille dès que cela sera vraiment possible. Lorsque l'intérêt des parents est en conflit avec celui de l'enfant, les autorités doivent ménager un juste équilibre, même si l'intérêt supérieur de l'enfant peut l'emporter sur celui d'un parent. Seules des circonstances tout à fait exceptionnelles peuvent en principe conduire à une rupture du lien familial. En l'espèce, la CEDH considère qu'il incombait aux autorités de faciliter la vie familiale de la requérante et de son fils, en leur permettant à tout le moins de maintenir une relation grâce à des contacts réguliers organisés d'une manière qui soit compatible avec l'intérêt supérieur de l'enfant. La Cour relève que dès le début, les contacts ont été sévèrement limités par les autorités, ce qui comportait déjà un risque de rupture des liens familiaux entre la requérante et son fils. Il est ainsi difficile de voir comment les autorités ont pu satisfaire à leur obligation de faciliter la réunion de la famille, dès lors notamment qu’une décision initiale de placement doit être vue comme une mesure temporaire et que l’adoption, la solution la plus lourde de conséquences, ne doit être envisagée que lorsque le contrôle minutieux exercé par les tribunaux a abouti à la conclusion que la réunion de la famille est impossible. Par ailleurs, les autorités nationales ne peuvent utiliser une rupture des relations familiales comme motif pour autoriser l’adoption lorsqu’elles ont elles-mêmes créé cette situation en manquant à leur obligation de prendre des mesures pour réunir la famille. L’un des éléments principaux sur lesquels la cour d’appel s’est appuyée dans sa décision est que l’enfant a réagi négativement aux rencontres avec sa mère. Il n’est toutefois pas possible de tirer d’un nombre aussi restreint de rencontres des conclusions claires quant aux contacts futurs. La cour d’appel a également étayé par des motifs succincts ses conclusions relatives à la nature et à la cause des réactions négatives de l’enfant lors desdites rencontres, conclusions qui ont néanmoins été essentielles pour fonder sa décision d’autoriser l’adoption. Il n’y avait pas suffisamment d’éléments pour laisser penser que les contacts entre l’enfant et sa mère seraient toujours négatifs au point de conclure que la rupture de tout lien avec la requérante serait dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Enfin, la cour d’appel a plus mis l’accent sur le préjudice que l’enfant aurait subi s’il avait été retiré à ses parents d’accueil que sur les motifs justifiant de rompre toute relation avec sa mère. Elle semble ainsi avoir donné plus d’importance à l’opposition des parents d’accueil à une « adoption ouverte », qui aurait permis à la requérante de rester en contact avec son enfant, qu’à l’intérêt de cette dernière à poursuivre sa vie familiale avec son fils. La Cour conclut, à l'unanimité, que les autorités n’ont pas donné suffisamment d’importance au droit de la requérante et de son fils de jouir d’une vie familiale. Elle fonde cette conclusion sur l’affaire dans son ensemble et sur les raisons en faveur du maintien des contacts, notamment sur le plan culturel et religieux. Soulignant la gravité de l’ingérence en cause et l’importance des intérêts en jeu, la Cour considère que le processus décisionnel qui a abouti au retrait de l’autorité parentale de la requérante et à l’adoption de l’enfant n’a pas été mené de manière à prendre dûment en compte tous les avis et intérêts de l’intéressée. |
Note de contenu : | Le même jour, la CEDH a rendu un autre arrêt dans une affaire similaire concernant une ressortissante polonaise dont les enfants ont été adoptés contre son gré (n° 60371/15). |
ECLI : | CE:ECHR:2019:1217JUD001537916 |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Famille - Enfant - Jeunesse |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-199382 |
Cite : |