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Titre : | Arrêt relatif aux traitements inhumains et dégradants infligés à un détenu avant et pendant son transfert de prison et à l'absence d'enquête effective : J.M. c. France |
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est cité par : | |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 05/12/2019 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 71670/14 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] France [Mots-clés] Droit des détenus [Mots-clés] Transfert de détenu [Mots-clés] Traitement inhumain et dégradant [Mots-clés] Établissement pénitentiaire [Mots-clés] Surveillant pénitentiaire [Mots-clés] Administration pénitentiaire [Mots-clés] Absence d'enquête [Mots-clés] Usage de la force [Mots-clés] Relation avec les professionnels de la sécurité [Mots-clés] Manque de dignité [Mots-clés] Impartialité |
Résumé : |
L’affaire concerne les mauvais traitements qu’aurait subi le requérant alors qu’il était incarcéré au centre de détention, les conditions de son transfert vers un autre centre de détention et l’enquête menée par les autorités.
Le 5 juillet 2007 vers midi, le requérant a été examiné par un médecin pour recevoir des soins suite à une automutilation. Il affirme qu’il ne présentait à ce moment aucun signe de violence. Le médecin ayant refusé, comme le lui demandait le requérant, de le placer en hôpital psychiatrique, ce dernier n’a pas voulu rejoindre sa cellule. Il soutient avoir, alors, subi des violences de la part de membres du personnel du centre alors qu’il refusait de se rendre au quartier disciplinaire. Plusieurs surveillants l’ont plaqué au sol, puis l’ont menotté en lui assénant des coups, notamment à la tête, alors qu’il tentait de se rendre au service médical malgré une interdiction de le faire. Il a été conduit au quartier disciplinaire. Alors qu’ils étaient dans l’ascenseur, le requérant a senti qu’on tentait de l’étrangler avec « une sorte de fil à couper le beurre ». Il a perdu connaissance et a été réanimé par les surveillants à l’infirmerie. Le médecin a refusé de lui délivrer un certificat médical. De retour en cellule, le requérant a cassé les sanitaires ce qui engendra l’inondation de la cellule. Il a été alors transféré au quartier d’isolement et informé que le lendemain il rejoindrait un autre centre de détention. Durant la soirée, il a mis le feu à des papiers dans sa cellule, feu qu’il éteignit lui-même, mais que les surveillants ont remarqué. Ils sont intervenus avec une lance à incendie, alors que le feu était éteint et ils ont inondé la pièce. Le requérant a alors été transféré dans la cellule du quartier disciplinaire où il a passé la nuit à moitié dévêtu et sans matelas. Vers 7 heures du matin, 4 surveillants cagoulés ont fait irruption dans la cellule, ont frappé le requérant et lui ont immobilisé les jambes à l’aide d’un rouleau de ruban adhésif. Un surveillant lui a donné un drap pour se couvrir avant que le requérant soit placé dans un fourgon cellulaire à destination d’un autre centre pénitentiaire. Le requérant explique que, menotté les mains dans le dos, il n’a pu maintenir le drap sur lui durant le trajet et que les vitres du fourgon n’étant pas opacifiées, sa nudité était visible de l’extérieur, ce qui était particulièrement humiliant. À son arrivée au centre de détention, constatant la nudité du requérant et des traces sur son cou, le chef de détention lui a donné des vêtements et l’a orienté vers le service médical qui lui a délivré un certificat médical faisant état d’une « trace de strangulation type fil » sur le cou. Le médecin expert ayant examiné le requérant le 6 juillet 2007 a conclu qu’on observait la présence de multiples lésions d’origine traumatique, récentes et compatibles avec les déclarations du requérant et a fixé l’incapacité temporaire de travail (ITT) à un jour. Saisi par le requérant, le Défenseur des droits a rendu une décision en octobre 2013. Il a constaté que les investigations réalisées par l’Inspection des services pénitentiaires n’avaient pas permis de déterminer avec certitude l’origine des blessures constatées sur le requérant, ni même leurs auteurs, les blessures résultant pourtant d’un usage manifestement disproportionné de la force. Il a rappelé que, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, il appartenait aux personnels mis en cause de fournir toute explication utile pour réfuter les allégations de violence établies à leur endroit. Le Défenseur a ajouté que l’enquête avait révélé d’autres manquements, notamment le fait que le requérant avait été transféré dans un nouvel établissement dans des conditions portant atteinte à sa dignité dans la mesure où il n’était pas habillé. Enfin, il a regretté le choix de l’administration pénitentiaire de différer la prise de sanctions à l’égard des personnels identifiés en raison de la procédure judiciaire en cours et constata qu’un seul fonctionnaire avait été effectivement sanctionné et qu’un autre avait été muté, un troisième ayant quitté ses fonctions depuis. Dans le présent arrêt, la CEDH juge, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de l'article 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants) de la Convention, tant sous son volet matériel que procédural. La Cour considère qu'il n'est pas contesté qu'avant et pendant le transfert du requérant, les surveillants pénitentiaires ont, à plusieurs reprises, usé de la force à son encontre. Outre les souffrances physiques supportées, la Cour considère que le traitement auquel le requérant a été soumis a engendré peur, angoisse et souffrance mentale. Se pose donc la question de savoir si la force physique dont il a été fait usage à l’encontre du requérant était ou non rendue strictement nécessaire par son comportement. La Cour relève, avec les juridictions internes, que le requérant était alors dans un état d’extrême agitation. Néanmoins, elle observe que le requérant se trouvait également dans un état de détresse psychique. Le matin du 5 juillet 2007, il avait été conduit à l’unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) à la suite d’entailles au bras qu’il s’était infligées. En raison de ses troubles psychiques et de sa privation de liberté, le requérant était donc particulièrement vulnérable. Concernant le risque d’incendie, la Cour relève que l’inspection des services pénitentiaires a, elle même, jugé l’usage d’une lance à incendie disproportionné au regard de la situation. L’usage d’une lance à incendie plutôt que d’un extincteur ne pouvait manquer d’inonder la cellule. Ce manque de discernement du surveillant a eu pour conséquence un arrosage intempestif du requérant et de son paquetage, générant ainsi un sentiment d’humiliation. La Cour observe, en outre, que les différents certificats médicaux produits établissent de très nombreux hématomes et contusions sur le corps du requérant. Malgré les enquêtes diligentées et l’information judiciaire, l’origine de la marque de strangulation de 18 cm constatée sur le cou du requérant reste inconnue. Enfin, lors du transfert de prison, le requérant était vêtu uniquement d’un tee-shirt et muni seulement d’un drap pour tenter de cacher sa nudité. Un tel traitement a provoqué chez lui des sentiments d’arbitraire, d’infériorité, d’humiliation et d’angoisse. Ce traitement constitue un grave manque de respect pour la dignité humaine. La Cour estime donc que le requérant a subi des traitements inhumains et dégradants. Il s’ensuit qu’il y a eu violation du volet matériel de l’article 3. Concernant le volet procédural, la Cour relève que des enquêtes indépendantes ont été menées avec célérité. Le jour même de l’arrivée du requérant au centre de détention, le parquet a diligenté d’office une enquête sur les circonstances du transfert et les violences que le requérant dénonçait. Une instruction a été conduite par un juge, qui ne s’est pas contenté de reprendre les conclusions de l’enquête administrative interne et celle de l’inspection des services pénitentiaires, mais qui a entendu et interrogé le requérant et l’ensemble des surveillants mis en cause, avant de rendre une ordonnance de non-lieu motivée. Cependant, la CEDH relève que l’enquête n’a pas mené à l’identification et à la punition des responsables des traitements inhumains et dégradants qu’elle a constatés. De l’avis de la Cour, la juge d’instruction, comme la chambre d’instruction, semblent avoir appliqué des critères différents lors de l’évaluation des témoignages, celui du requérant étant considéré comme subjectif, à l’inverse de ceux des surveillants. La crédibilité de ces derniers aurait dû être minutieusement vérifiée. D’autre part, certaines mesures nécessaires pour tenter d’éclaircir les faits n’ont pas été ordonnées. Ainsi, il n’a pas été ordonné d’expertise médicale et technique, afin de chercher à établir l’origine de la marque de strangulation constatée. La Cour estime que le requérant n’a pas bénéficié d’une enquête effective et conclut à la violation du volet procédural de l’article 3. |
ECLI : | CE:ECHR:2019:1205JUD007167014 |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Relation avec les professionnels de la sécurité |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-198992 |
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