Document public
Titre : | Arrêt relatif au harcèlement moral et à la discrimination en raison de l’origine et la religion d’un salarié, l’employeur n’ayant pas convenablement réagi aux agissements à connotation raciste et islamophobe dont le salarié avait été victime |
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est cité par : |
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Auteurs : | Cour d'appel de Paris, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 05/12/2019 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 17/10760 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Emploi [Mots-clés] Emploi privé [Mots-clés] Conditions de travail [Mots-clés] Carrière [Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Discrimination environnementale [Mots-clés] Origine [Mots-clés] Religion - Croyances [Mots-clés] Islam [Mots-clés] Obligation de sécurité de résultat [Mots-clés] Accord collectif [Mots-clés] Défenseur des droits [Mots-clés] Harcèlement [Mots-clés] Harcèlement moral |
Résumé : |
Le requérant, d’origine maghrébine, embauché par une société en janvier 2000, a été affecté en 2008, en qualité d’agent de terrain au sein d’un centre de production thermique. Il se plaint que depuis plusieurs années, il subit des agissements à connotation raciste et islamophobe. Au retour de ses congés, en janvier 2016, il a retrouvé son casier couvert de traces de fumées et à l’intérieur son fascicule de sourates du Coran en partie brûlé avec l’inscription « FN 2017 ». Choqué, il a exercé son droit de retrait, puis a été placé en arrêt maladie. Il a interpellé la direction de la société sur la gravité de la situation et a demandé de faire intervenir la commission éthique afin de proposer un questionnaire anonyme visant à évaluer les risques psychosociaux dans l’entreprise pour savoir si les salariés ressentaient des problèmes avec leurs collègues ou sur leur évaluation de carrière en relation avec leur origine, couleur de peau, sexe ou religion. La société n'a pas fait pas droit à cette demande.
Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de demandes en réparation de la discrimination et du harcèlement qu’il estime avoir subis. Toutefois, le conseil de prud’hommes l’a débouté de l’ensemble de ses demandes. Saisi par le salarié, le Défenseur des droits a décidé de présenter ses observations en appel. L’employeur demande à la cour d’appel d’écarter les observations du Défenseur des droits pour violation de l’article 33 de la loi organique du 29 mars 2011 et de débouter le salarié de ses demandes. La cour d'appel infirme partiellement le jugement prud'homal. Tout d’abord, la cour d’appel rejette la demande de la société visant à écarter des débats les observations du Défenseur des droits au motif que ce dernier a remis en cause une décision judiciaire puisque, selon la société, ses observations ne vont pas dans le sens du jugement déféré et comprennent un commentaire sur la qualité de ce jugement. La cour considère qu’émettre un avis contraire à une décision non définitive et en critiquer la motivation ne constitue pas une remise en cause au sens de l’article 33 de la loi organique qui prévoit que « le Défenseur des droits ne peut remettre en cause une décision juridictionnelle (…) ». Ensuite, concernant la discrimination, la cour d’appel énonce que le salarié doit présenter des éléments de faits laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte et, au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs à toute discrimination. Le juge forme sa conviction au vu de l’ensemble des éléments produits. En l’espèce, la cour considère que le salarié présente des « indices de discriminations » dont l’ensemble laisse supposer, selon lui, l’existence d’une discrimination à son égard (les faits qui se sont déroulés au mois de janvier 2016, un environnement de travail intimidant, hostile, dégradant, humiliant et offensant, une discrimination en matière d’évolution de carrière ainsi que la passivité de la société dans l’absence de traitement des conséquences des faits ayant eu lieu en janvier 2016, notamment vis-à-vis de sa situation professionnelle). La cour note que le salarié invoque également, entre outre, les observations du Défenseur des droits. La cour relève que ces observations ne sont pas des éléments de faits imputables à l’employeur de sorte qu’elles ne peuvent valablement être invoquées au titre des faits qui, appréciés dans leur ensemble, laissent supposer une situation de discrimination. La cour retient que sur l’ensemble des indices listés par le salarié certains faits sont établis, à savoir, les faits découverts en janvier 2016, l’absence de réaction appropriée par l’employeur et la présence d’inscriptions racistes sur les murs. La cour considère que s’agissant des faits découverts en janvier 2016, comme le soutient à juste titre la société, ils ne caractérisent pas une quelconque différence de traitement du salarié par l’employeur qui serait établie directement ou indirectement, et ne peuvent donc être retenus au titre de la discrimination, malgré le fait qu’ils ont été commis par un ou plusieurs inconnus dans des circonstances qui n’ont pas été élucidées mais en lien avec les convictions religieuses supposées ou l’origine du salarié. La cour considère qu’il en est de même s’agissant des inscriptions à caractère racistes inscrites régulièrement sur les murs de l’établissement. S’agissant de la réaction de l’employeur aux faits découverts en janvier 2016, la cour considère qu’il appartient à la société d’établir que sa réaction est justifiée par des circonstances objectives qui sont étrangères à toute discrimination. Selon la cour, l’employeur échoue à rapporter cette preuve quand il se contente d’expliquer avoir appelé les servies des renseignements territoriaux juste après la découverte des faits en raison de sa nécessaire vigilance compte tenu de la nature sensible du site et du contexte sociétal, sans communiquer un élément objectif en ce sens comme une note de valeur normative ou des instructions d’autorités extérieures. La cour conclut que le salarié a été victime d’une discrimination de la part de son employeur en raison de sa religion supposée. Quant au harcèlement moral et la violation par l’employeur de son obligation de sécurité, la cour considère que les faits découverts en janvier 2016 constituent un agissement lié aux origines et à la religion supposée du salarié ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant et caractérisent un comportement discriminatoire commis sur le lieu de travail. Cet agissement constitue à lui seul un fait laissant supposer des agissements de harcèlement moral, contrairement à ce que soutient la société, qui se prévaut, à tort, de leur caractère unique pour contester la notion juridique de harcèlement moral appliquée à cette situation. La cour considère que l’employeur n’apporte pas la preuve que ces faits soient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Par ailleurs, l’employeur ne justifie pas avoir pris toutes les mesures nécessaires pour assurer et protéger la santé mentale et physique du salarié, dès lors que la cour a retenu que la réaction de l’employeur aux faits de janvier 2016 n’était pas suffisamment active et appropriée, que le salarié a été placé en arrêt de travail pendant plusieurs mois, que son retour en mai 2017 n’a pas été organisé de façon satisfaisante, que manifestement les action de prévention organisées par l’employeur ou les nettoyage partiels des murs n’étaient pas suffisants dans un environnement où les manifestations racistes s’exprimaient ouvertement. En revanche, la cour ne retient pas l’existence de la discrimination en matière d’évolution de carrière du salarié et ce, sans faire droit à la demande de production de pièces dans le but de quantifier et de chiffrer le préjudice matériel du salarié. En invoquant l’accord sur la responsabilité sociale du groupe dont fait partie la société, le salarié reprochait, par ailleurs, à l’employeur de ne pas avoir respecté ses engagements unilatéraux de lutter contre les discriminations. La cour considère que les termes de l’accord ne sont que des déclarations d’intention exclusives de tout engagement précis et se situent hors du champ de la relation contractuelle, de sort qu’ils ne peuvent donner lieu à un manquement de l’employeur. La cour condamne la société à payer au salarié les sommes de 5 000 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait du comportement discriminatoire dont il a été victime et de 20 000 € en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral et de la violation par la société de son obligation de sécurité. |
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