Titre : | Décision 2019-149 du 28 juin 2019 relative à l'avis demandé par l'avocat général près de la Cour de cassation dans le cadre de l'examen d'un pourvoi sur la reconnaissance dans l'ordre juridique interne du lien de filiation d'un enfant né d'un couple marié dont l'un des parents a obtenu préalablement à sa naissance, la modification de son sexe à l'état civil |
est cité par : | |
Accompagne : | |
Auteurs : | Défenseur des droits, Auteur ; Justice et libertés, Auteur |
Type de document : | Décisions |
Année de publication : | 28/06/2019 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 2019-149 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Documents internes] Observations devant une juridiction [Documents internes] Observations suite à une demande d'avis de la juridiction [Documents internes] Observations devant une juridiction avec décision rendue [Documents internes] Position non suivie d’effet [Documents internes] Visa CEDH [Documents internes] Visa de la CIDE [Mots-clés] Justice [Mots-clés] Justice familiale [Mots-clés] État civil [Mots-clés] Filiation [Mots-clés] Transidentité [Mots-clés] Sexe [Mots-clés] Parent [Mots-clés] Maternité [Mots-clés] Enfant [Mots-clés] Intérêt supérieur de l'enfant [Mots-clés] Relation des usagers avec les services publics [Mots-clés] Règlementation des services publics [Mots-clés] Bioéthique [Mots-clés] Respect de la vie privée et familiale [Mots-clés] Droit à la préservation de son identité [Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Discrimination indirecte [Mots-clés] Identité de genre |
Résumé : |
Le Défenseur des droits a été saisi pour avis par l’avocat général près la Cour de cassation dans le cadre de l’examen d’un pourvoi sur la reconnaissance dans l’ordre juridique interne du lien de filiation d’un enfant né d’un couple marié, dont l’un des parents a obtenu préalablement à sa naissance, la modification de son sexe à l’état civil.
Les faits d’espèce concernent un couple hétérosexuel marié ayant donné naissance à deux enfants. Par décision de justice, le mari a obtenu la modification de la mention de son sexe à l’état civil sans avoir subi une opération chirurgicale de réassignation de ses organes génitaux. A l’occasion de la naissance du troisième enfant du couple, Monsieur X. devenu Madame Y. a effectué devant notaire une reconnaissance prénatale de maternité « non gestatrice », et a demandé qu’il soit porté mention de cette reconnaissance sur l’acte de naissance de l’enfant. Elle s’est vu opposer un refus au motif que « la transcription demandée doterait l’enfant d’une double filiation maternelle, ce que la loi interdirait ». Madame Y. a contesté ce refus en assignant le procureur de la République près le tribunal de grande instance compétent, lequel a rejeté sa demande, aux motifs notamment que « La création d’un être humain procède de la rencontre d’un ovocyte (principe féminin) et d’un spermatozoïde (principe masculin) et qu’il est donc impossible que deux personnes du même sexe soient les parents biologiques d’un enfant ; (…) que par l’acte de procréation masculine qu’elle revendique, [l’intéressée] a fait le choix de revenir de façon unilatérale sur le fait qu’elle est désormais reconnue comme une personne de sexe féminin, et elle doit en assumer les conséquences, à savoir soit procéder à une reconnaissance de paternité sur l’enfant et revenir dans son sexe masculin d’origine, soit engager une procédure d’adoption plénière de l’enfant de sa conjointe et rester dans son sexe féminin ». La cour d’appel a infirmé le jugement rendu en ordonnant que soit portée sur l’acte de naissance de l’enfant, avec les nom et prénoms de la demanderesse, la mention « parent biologique » emportant toutes les conséquences rattachées à cette mention quant à l’autorité parentale. Un pourvoi a été formé à l’encontre de cet arrêt. A titre liminaire, le Défenseur des droits a rappelé l’évolution de la procédure de changement de sexe à l’état civil en droit interne. S’il a salué la démédicalisation de cette procédure et l’abandon de la « stérilisation » comme condition du changement de la mention du sexe à l’état civil, il a constaté que la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle demeure silencieuse quant à l’incidence d’un changement de sexe intervenue antérieurement à une naissance. Le Défenseur des droits a considéré par ailleurs que le silence des pouvoirs exécutifs et législatifs place l’enfant des requérantes dans une situation d’incertitude juridique, ce qui apparaît susceptible d’aller à l’encontre du droit au respect de la vie privée et de l’intérêt supérieur de l’enfant protégés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (Conv. EDH) et de la Convention relative aux droits de l’enfant (CIDE). Le Défenseur des droits a ainsi rappelé que l’intérêt supérieur de l’enfant suppose que ce dernier soit rattaché juridiquement à ses deux parents, afin qu’il puisse bénéficier de la protection et de l’éducation du couple parental, de la stabilité des liens familiaux et affectifs et d’une intégration complète dans sa famille. Pour atteindre cet objectif, le Défenseur des droits s’est interrogé sur les différentes modalités d’établissement de la filiation à l’égard de l’enfant, et a envisagé les solutions juridiques en adéquation avec les droits et l’intérêt supérieur de l’enfant, tout en préservant le droit à l’identité du parent trans. S’agissant de la faculté pour la requérante d’établir un lien de filiation avec son enfant par le biais de l’adoption, le Défenseur des droits a constaté que cette voie serait susceptible de créer pour l’enfant un traitement différencié au sein de sa fratrie en raison des circonstances même de sa naissance et de provoquer une situation d’insécurité juridique attentatoire au droit au respect de sa vie privée si au cours de la procédure judiciaire le couple venait à se séparer. S’agissant de la possibilité d’établir la filiation à l’égard de l’enfant au regard du sexe d’origine du parent, le Défenseur des droits a estimé que si le jeu de la présomption de paternité permettrait à l’enfant d’accéder à une filiation par le sang en concordance avec celle de sa famille, la dissociation entre le sexe juridique du parent et sa fonction dans l’engendrement de l’enfant serait attentatoire au respect du droit de la vie privée de la requérante au visa de l’article 8 de la Conv. EDH. Le Défenseur des droits s’est ensuite interrogé sur l’apposition de la mention « parent biologique » sur l’acte de naissance de l’enfant, comme ordonnée par la cour d’appel. Conscient de la nécessité pour le juge de pallier aux lacunes du droit de la filiation, le Défenseur des droits a estimé que cette solution visant à créer une nouvelle catégorie juridique se heurte à la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d’état civil qui restreint son office au visa de l’article 34 de la Constitution. S’agissant de la transcription sur l’acte de naissance de l’enfant de la maternité non gestatrice, le Défenseur des droits a considéré que dans le cas d’espèce, cette solution serait susceptible d’établir un juste équilibre entre le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant et celui de l’identité de genre de sa parente, ce d’autant que la double filiation maternelle ne porterait pas atteinte à la vérité biologique. Néanmoins, l’alignement de la parenté sur le sexe juridique viendrait remettre en cause le droit positif selon lequel, hors adoption, un enfant ne peut avoir deux parents de même sexe. Le Défenseur des droits a ainsi considéré que les nouvelles réalités familiales impliquent désormais que le législateur procède à une révision des règles de la filiation et intègre dans l’avenir la double reconnaissance maternelle ou paternelle pour les parents de même sexe. En toute hypothèse, il a rappelé que l’intérêt supérieur de l’enfant commande que la Cour de cassation adopte une solution permettant à l’enfant de voir établie sa filiation à l’égard de chacun de ses deux parents. |
NOR : | DFDL1900149S |
Suivi de la décision : |
Par un arrêt du 16 septembre 2020, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a rappelé qu’aucun texte « ne règle le mode d’établissement de la filiation des enfants engendrés ultérieurement » à une modification du sexe à l’état civil de l’un des parents. Se référant aux dispositions relatives à l’établissement de la filiation, la Cour de cassation a estimé qu’une « personne transgenre homme devenu femme, qui après la modification de la mention de son sexe dans les actes de l’état civil, procrée avec son épouse au moyen de ses gamètes mâles, n’est pas privée du droit de faire reconnaître un lien de filiation biologique avec l’enfant, mais ne peut le faire qu’en ayant recours aux modes d’établissement de la filiation réservés au père ». Concernant par ailleurs la transcription de la mention « parent biologique » qui avait été ordonnée par la cour d’appel de Montpellier, la Haute Cour a jugé que la cour d’appel « ne pouvait créer une nouvelle catégorie à l'état civil et que, loin d'imposer une telle mention sur l'acte de naissance de l'enfant, le droit au respect de la vie privée et familiale des intéressées y faisait obstacle ». En conséquence, l’arrêt casse et annule, sauf en ce qu'il rejette la demande de transcription sur les registres de l'état civil de la reconnaissance de maternité de Mme Y. à l'égard de l'enfant, l'arrêt rendu par la cour d'appel. |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Justice |
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