Document public
Titre : | Décision sur le bien-fondé relative à la législation française en matière de répression de l'abus de faiblesse des personnes âgées : Fédération internationale des associations de personnes âgées (FIAPA) c. France |
Titre précédent : | |
Auteurs : | Comité européen des droits sociaux (CEDS), Conseil de l'Europe, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 22/05/2019 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 145/2017 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] France [Mots-clés] Personne âgée [Mots-clés] Charte sociale européenne [Mots-clés] Protection et sécurité sociale [Mots-clés] Âge [Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Justice pénale [Mots-clés] Justice [Mots-clés] Législation [Mots-clés] Absence d'atteinte à un droit/liberté |
Mots-clés: | Abus de faiblesse |
Résumé : |
La réclamation porte sur les articles 23 (droit des personnes âgées à une protection sociale) et E (non-discrimination) de la Charte sociale européenne révisée.
L’organisation réclamante alléguait que la mise en œuvre de la législation en matière de répression de l’abus de faiblesse par les juridictions internes ne garantit pas la protection des personnes âgées vulnérables. La FIAPA soutenait que la jurisprudence française n’entend pas les termes de « particulière vulnérabilité due à l’âge » comme une condition unique mais comme la juxtaposition de deux conditions cumulatives et différentes : d’une part la particulière vulnérabilité et d’autre part l’âge. La jurisprudence française est abondante de cas dans lesquels l’âge très avancé des victimes n’a pas suffi à caractériser l’état de particulière vulnérabilité, condition préalable nécessaire à la caractérisation de l’infraction d’abus de faiblesse. Pour illustration, dans un arrêt du 8 juin 2010, n° 10-82.039, la chambre criminelle de la Cour de Cassation, rappelle que l’âge même avancé ne suffit pas à caractériser la vulnérabilité au sens des textes. Pour exemple encore, dans un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 27 novembre 2013, n° 12-85.175, le juge a estimé qu’une personne âgée de 93 ans et ayant la maladie d’Alzheimer au moment des faits ne préjugeait pas d’une quelconque vulnérabilité : « le délit d'abus de faiblesse suppose de qualifier la situation de vulnérabilité », « le grand âge et ses désagréments ordinaires, tels que des épisodes mnésiques ou de confusion, ne peuvent suffire à caractériser un état de particulière vulnérabilité ». Selon la FIAPA dans les faits il est très difficile, surtout lorsque la procédure de sanction intervient alors que la personne âgée est décédée, ce qui est souvent le cas, d’établir, comme le réclament les juges, l’existence d’une situation de particulière vulnérabilité différente de celle « simplement » attachée au grand âge. C’est ainsi que bien des abus ne sont pas sanctionnés et que l’application par la France de sa législation en matière de répression de l’abus de faiblesse n’assure pas l’exercice effectif du droit des personnes âgées à une protection sociale. Le Comité européen des droits sociaux considère que les principales allégations que soulève la réclamation devront être examinées sous l’angle de l’article 23 et qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle de l’article E lu conjointement avec l’article 23 de la Charte, puisque l'article 23 lui-même est l'expression spécifique du droit de ne pas faire l'objet d'une discrimination fondée sur l'âge avancé. En l’espèce, le Comité relève que la question à résoudre est de savoir si le grand âge devrait suffire à caractériser un état de particulière vulnérabilité. Le Comité note que, selon le Gouvernement, c’est précisément pour protéger l’autonomie aux personnes âgées que l’âge seul ne peut suffire à caractériser une situation comme particulièrement vulnérable, sans prendre en considération la situation concrète de la personne concernée. Cela reviendrait à dénier, par principe et a priori, toute possibilité d’autonomie, ce qui est contraire à l’esprit de l’article 23 de la Charte. L’article 223-15-2 du code pénal prévoit trois catégories de victimes de l'abus de faiblesse : - le mineur, dont la vulnérabilité se présume ; - une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur ; - une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l'exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement. Selon le Gouvernement, la « particulière vulnérabilité [de la victime], due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse » est un élément constitutif de l’incrimination, à condition toutefois qu'elle soit « apparente ou connue de l'auteur ». La vulnérabilité de la victime, dont l’état s’apprécie au moment des faits reprochés à la personne poursuivie, est donc limitée aux éléments cités par les textes, notamment l’âge. En outre, à l’inverse du mineur, pour lequel la vulnérabilité se présume, il est nécessaire de prouver en quoi l’âge de la victime l’a rendue vulnérable. En effet, il résulte des termes mêmes de l’article 223-15-2 du code pénal que doivent être identifiées des situations précises permettant de distinguer les personnes d'une « particulière » vulnérabilité. Les exemples de jurisprudences, montrent que les juridictions internes examinent au cas par cas si l’âge, qui est un des critères de vulnérabilité énumérés à l’article 223-15-2 du code pénal, est accompagné de preuves d’une vulnérabilité particulière, de nature à générer un état d’ignorance ou de faiblesse. A cet égard, le Comité note que, dans un arrêt récent, la Cour de cassation a jugé que le délit d’abus de faiblesse peut être retenu sans qu’il soit prouvé que la victime souffrait de détérioration mentale au moment des faits. La simple preuve de l'affaiblissement de défenses psychologiques de la victime, lié à son âge, peut suffire à établir un état de vulnérabilité particulière. Par ailleurs, le Comité note que la FIAPA reconnait la valeur de l’article 223-15-2 du code pénal, en admettant dans son mémoire que les jurisprudences d’espèces rapportées par le Gouvernement démontrent que, dans de nombreux cas, il a pu être établi en justice que des personnes âgées étaient affectées d’un état de vulnérabilité particulière, justifiant de la condamnation de l’auteur de l’abus. Le Comité se réfère également à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, selon laquelle l’âge avancé n’est pas considéré comme seul déterminant de la vulnérabilité d’une personne. La jurisprudence montre également que les proches peuvent engager des poursuites s'ils ont personnellement souffert de l'abus frauduleux, même si la victime ne se considère pas lésée. Les héritiers peuvent, bien entendu, poursuivre l'action pénale intentée par la victime de son vivant. Le Comité conclut que pour protéger l'autonomie des personnes âgées, l'âge ne saurait suffire à caractériser un état de vulnérabilité particulière. Les dispositions légales qui prévoient que l'abus de faiblesse doit être apprécié à la lumière de l'état de vulnérabilité particulière de la victime au moment où l'acte est commis, sont donc conformes aux exigences de l'article 23 de la Charte. Par conséquent, le Comité dit que la législation nationale qui incrimine l’abus de faiblesse des personnes âgées fournit un cadre adéquat pour la mise en œuvre de l’article 23 de la Charte, et il ne voit à ce stade aucune raison de penser que la disposition attaquée et les recours mis en place ne sont pas de nature à donner aux requérants la possibilité d’obtenir une réparation adéquate et suffisante de leurs griefs ou n’offrent aucune perspective raisonnable de succès. Le Comité dit qu’il n’y a pas violation de l’article 23 de la Charte. Adoptée le 22 mai 2019, la décision du Comité sur le bien-fondé de la réclamation a été rendue publique le 11 septembre 2019. |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Handicap - Autonomie |
En ligne : | http://hudoc.esc.coe.int/fre/?i=cc-145-2017-dmerits-fr |