Titre : | Décision 2019-177 du 16 juillet 2019 relative à une tierce-intervention devant la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire S.M.K. c. France portant sur les obligations de l’Etat en matière de protection, d’accueil et de prise en charge des mineurs non accompagnés étrangers et sur l’effectivité des recours internes |
Accompagne : |
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Auteurs : | Défenseur des droits, Auteur ; Expertise, Auteur |
Type de document : | Décisions |
Année de publication : | 16/07/2019 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 2019-177 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Documents internes] Observations devant une juridiction [Documents internes] Observations devant une juridiction avec décision rendue [Documents internes] Tierce intervention [Documents internes] Position non suivie d’effet [Documents internes] Visa CEDH [Documents internes] Visa de la CIDE [Mots-clés] Protection de l'enfance [Mots-clés] Mineur étranger [Mots-clés] Mineur non accompagné [Mots-clés] Droit à un recours effectif [Mots-clés] Accès à la prise en charge [Mots-clés] Droit des étrangers [Mots-clés] Mesure d'éloignement [Mots-clés] Justice [Mots-clés] Recours [Mots-clés] Relation des usagers avec les services publics [Mots-clés] Organisation des services publics [Mots-clés] Règlementation des services publics [Mots-clés] Passivité des services publics [Mots-clés] Département |
Résumé : |
Le Défenseur des droits a été autorisé par la Cour européenne des droits de l’homme (« CEDH ») à intervenir en qualité de tiers-intervenant dans l’affaire S.M.K. c. France, qui porte sur l’accueil, la prise en charge et la protection des mineurs étrangers non accompagnés (« MNA »), ainsi que sur l’effectivité des recours internes au regard des exigences des articles 3, 6, 8 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme (« la Convention »).
Dans ses observations, le Défenseur des droits a d’abord rappelé l’obligation pesant sur l’Etat de protéger les MNA se trouvant sur son territoire tant au regard de l’article 3 de la Convention, de la jurisprudence de la CEDH, en particulier de l’arrêt Khan c. France, de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (« CIDE ») qu’au regard du droit interne. Le Défenseur des droits a ensuite fait valoir que la situation d’errance de MNA sur le territoire et les risques d’éloignement auxquels ils sont exposés sont constitutifs d’un traitement inhumain et dégradant au regard de l’article 3 de la Convention. En effet, de nombreux MNA ne parviennent pas à être pris en charge au titre de la protection de l’enfance. Ces derniers sont confrontés à moult difficultés, notamment liées à l’évaluation menée par le département, parfois fondée sur le « faciès », au refus de prise en charge sans justification et aux longs délais d’attente sans mise à l’abri. De plus, lorsque le département met fin à l’accueil provisoire d’urgence des MNA au titre de la procédure de « mise à l’abri », ces derniers se retrouvent à la rue, dans un état de dénuement matériel et psychologique le plus total et ce, jusqu’à l’adoption de la décision du juge des enfants qui peut intervenir plusieurs mois plus tard. En errance sur le territoire, ces jeunes personnes sont en outre exposées à des risques de violences et elles se voient refuser l’accès aux centres d’hébergement pour adultes. Or, l’obligation de protection du MNA au titre de l’article 3 de la Convention ne saurait cesser à la date de la décision du département mettant fin à l’accueil provisoire d’urgence dès lors que celui-ci, bénéficiant d’une présomption de minorité, a contesté cette décision et exercé un recours devant le juge des enfants sur le fondement de l’article 375 du code civil. Cette obligation de protection existe tant qu’une décision de justice définitive n’a pas été rendue. Le Défenseur des droits a de surcroît alerté la Cour sur le fait que ces jeunes personnes risquent désormais de faire l’objet d’une mesure éloignement. En effet, depuis l’adoption d’un décret le 30 janvier 2019, qui prévoit la création d’un fichier national des personnes déclarées mineures, les personnes évaluées majeures peuvent être transférées vers le fichier des majeurs, dit AGREF2. Or un tel transfert pourrait entraver l’exercice du droit de recours devant le juge des enfants dès lors qu’un jeune pourrait être éloigné avant l’intervention d’une décision judiciaire. La constitutionnalité de cette mesure sera prochainement examinée par le Conseil constitutionnel dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité. Enfin, le Défenseur des droits a fait valoir que la saisine du juge des enfants, qui constitue la seule voie de recours interne à la disposition des MNA pour être pris en charge au titre de la protection de l’enfance, n’est pas effectif au regard de l’article 13 de la Convention. Après avoir énuméré les exigences de l’article 13 de la Convention, plus élevées en présence d’un grief de l’article 3, il a relevé deux carences s’agissant de ce recours : - l’absence d’effet suspensif de la saisine du juge des enfants sur la décision du département mettant fin à l’accueil provisoire d’urgence, qui prive le MNA d’une mise à l’abri et le contraint à l’errance ; - l’absence de célérité dans l’examen des recours des MNA, compte tenu des délais d’audiencement tardifs devant le juge des enfants qui sont extrêmement préjudiciables aux jeunes gens qui sont placés dans un état de dénuement total. Le Défenseur des droits a ainsi conclu que les MNA sont privés d’une voie de recours effective leur permettant de prévenir ou de mettre fin à des traitement inhumains et dégradants causés par la fin de l’accueil provisoire d’urgence et de leur faire bénéficier d’une protection continue à laquelle ils peuvent prétendre au titre de l’Aide sociale à l’enfance jusqu’à l’obtention d’une décision de justice définitive. |
NOR : | DFDI1900177S |
Suivi de la décision : |
Par une décision du 3 février 2022, la CEDH a déclaré la requête SMK c. France irrecevable pour défaut manifeste de fondement. Le Défenseur des droits est intervenu dans la procédure en adressant une tierce-intervention à la Cour (décision n° 2019-277). La Cour a rejeté le grief tiré de l’article 3 de la Convention (absence de protection et d’hébergement pendant 6 mois de la requérante se déclarant mineure), après avoir relevé ce qui suit : - La minorité est une condition d’accès au dispositif de protection de l’enfance en France, soulignant qu’ « en cas de majorité avérée d’un étranger s’étant présenté en qualité de mineur isolé, les autorités françaises sont déliées de toute obligation de prise en charge et de protection attachée spécifiquement à l’état de minorité » ; - Une évaluation et une décision du juge des enfants, confirmée en appel, ont conclu à la majorité de la requérante ; - L’absence de prise en charge a duré 3 mois ; - Pendant cette période, la situation de la requérante qui a été orientée vers un squat, n’apporte pas, selon la Cour, « d’éléments précis » sur ses conditions effectives de vie dans ce lieu, et ce malgré les attestations de bénévoles. Elle relève que « celle-ci se borne à indiquer, de manière générale et peu circonstanciée, avoir été dans un grand dénuement pendant [cette période], sans fournir d’informations précises sur la façon dont elle a pu se nourrir, se laver, et éventuellement se soigner ». - Les autorités ne sont pas restées « indifférentes » et « passives » face à la situation de la requérante (hébergement à différentes périodes). Bien que la Cour ait concédé que le squat dans lequel la requérante a vécu plusieurs semaines soit « un lieu inadapté pour un usage d’habitation », elle a conclu qu’au regard de l’ensemble des éléments ci-dessus, la situation de celle-ci, « dont il apparait désormais établi qu’elle était majeure à l’époque des faits », n’atteint pas le seuil de gravité exigé pour caractériser l’existence d’un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. La Cour a rejeté les autres griefs, notamment celui portant sur l’absence de recours effectif (absence d’effet suspensif du recours porté devant le juge des enfants), se bornant à indiquer que « la requérante a pu utiliser les recours pertinents et sa situation a été examinée avec soin ». Les développements juridiques du Défenseur des droits dans sa décision n° 2019-277, portant sur l’obligation de protection de l’État à l’égard des mineurs non accompagnés et l’absence d’effectivité du recours porté devant le juge des enfants, n’ont pas convaincu la Cour. |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Mineurs étrangers |
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