
Document public
Titre : | Arrêt relatif au refus des juridictions allemandes de faire droit à la demande de remboursement des frais d'une opération de ré-assignation du genre d'une personne transsexuelle : Kück c. Allemagne |
est cité par : |
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Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 12/06/2003 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 35968/97 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] Allemagne [Mots-clés] Respect de la vie privée et familiale [Mots-clés] Droit à un procès équitable [Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Justice [Mots-clés] Justice civile [Mots-clés] Transidentité [Mots-clés] Mutuelle [Mots-clés] Remboursement [Mots-clés] Frais de santé [Mots-clés] Acte médical [Mots-clés] Examen médical [Mots-clés] Identité de genre |
Résumé : |
L’affaire concerne les décisions judiciaires ayant rejeté les demandes de remboursement des traitements de conversion sexuelle subis par la requérante, née de sexe masculin et autorisée par le juge, en application de la loi sur le transsexualisme, de changer ses prénoms masculins en prénoms féminins.
La requérante avait intenté en vain une action en justice contre une compagnie d’assurance privée en vue d’obtenir le remboursement des frais engagés pour son traitement hormonal et un jugement déclaratoire selon lequel la compagnie était tenue de lui rembourser 50 % des frais de son opération de conversion sexuelle (les autres 50 % étant pris en charge par l’assurance maladie professionnelle de l’intéressée). En 1993, le tribunal régional a rejeté ces demandes, estimant sur la base d’une expertise que si le traitement améliorait la situation sociale de la requérante, il ne pouvait raisonnablement être considéré comme nécessaire pour des raisons médicales. Le tribunal a estimé que l’intéressée aurait d’abord dû suivre une psychothérapie approfondie et ajouté qu’il n’avait pas été démontré de façon probante que le traitement aiderait l’intéressée. En 1995, la cour d’appel a débouté la requérante, confirmant que la nécessité du traitement n’avait pas été prouvée. Cette juridiction a estimé en outre que la requérante n’avait pas droit au remboursement car elle avait causé sa maladie elle-même. A cet égard, elle a invoqué le fait que l’intéressée avait commencé à prendre des hormones femelles, sans avis médical, seulement après avoir découvert, alors qu’elle était homme, qu’elle était stérile. Dans l’intervalle, la requérante a subi une opération de conversion sexuelle. Devant la Cour européenne des droits de l’homme, la requérante se plaignait de la violation du droit au procès équitable (article 6§1 de la Convention), d’une atteinte au droit au respect de sa vie privée (article 8), de la discrimination fondée sur sa situation psychologique particulière (article 14) et de l’absence d’un recours interne effectif (article 13). La CEDH dit, par voix contre trois, qu’il y a eu violation de l’article 6§1 de la Convention compte tenu de la manière dont les juridictions internes ont appréciés la nécessité de mesures de conversion sexuelle dans le cas de la requérante et déterminé la cause de sa transsexualité, la procédure litigieuse, considérée dans son ensemble, n’a pas satisfait aux exigences d’un procès équitable. La Cour considère que l’appréciation faite du rapport d’expertise par les juridictions allemandes et leur décision selon laquelle l’amélioration de la situation sociale de la requérante – considérée comme un élément de son traitement psychologique – ne satisfaisait pas au critère de nécessité médicale ne paraissent pas compatibles avec les conclusions de la Cour dans l’affaire Goodwin où la Cour s’était référée au rapport d’expertise qui avait été produit devant les juridictions britanniques dans une autre affaire. Il était fait dans ce rapport état d’une « tendance croissante à admettre l’existence d’une différenciation des cerveaux masculin et féminin dès avant la naissance, bien que les preuves scientifiques à l’appui de cette théorie fussent loin d’être exhaustives ». Dans l’affaire Goodwin, la Cour a jugé plus significatif le fait qu’il était « largement reconnu au niveau international que le transsexualisme constitue un état médical justifiant un traitement destiné à aider les personnes concernées ». La CEDH considère, en l’espèce, qu’en tout état de cause, pareille décision des juridictions allemandes aurait dû s’appuyer sur des connaissances médicales spécialisées et une expertise en matière de transsexualisme. Compte tenu de la particularité de la présente affaire, les tribunaux allemands auraient dû demander au docteur, auteur du rapport de l’expertise, ou à tout autre expert en médecine, des explications orales ou écrites complémentaires. En outre, la Cour considère que l’évolution récente de la jurisprudence (arrêts I. c. Royaume-Uni et Christine Goodwin) fait de l’identité sexuelle l’un des aspects les plus intimes de la vie privée de l’individu. Il apparaît dès lors disproportionné d’exiger d’une personne placée dans pareille situation qu’elle prouve la nécessité médicale d’un traitement, dût-il s’agir d’une intervention chirurgicale irréversible. Dans ces conditions, la CEDH estime que la façon dont les juridictions internes ont interprété la notion de « nécessité médicale » et apprécié les éléments de preuve produits à cet égard n’a pas revêtu un caractère raisonnable. En ce qui concerne l’appréciation portée par les juridictions allemandes sur l’origine de la transsexualité de la requérante, la Cour considère notamment que, compte tenu de l’absence de certitudes scientifiques sur les causes du transsexualisme, en particulier sur le point de savoir si les origines en sont entièrement psychologiques ou liées à une différenciation physique dans le cerveau, la démarche adoptée par la juridiction allemande pour déterminer si la requérante avait délibérément provoqué son état apparaît inappropriée. Ensuite, la CEDH dit, par quatre voix contre trois, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention car les juridictions allemandes n’ont pas ménagé un juste équilibre entre les intérêts de la compagnie d’assurance privée, d’une part, et les intérêts de la requérante, d’autre part. Enfin, la Cour considère, à l’unanimité, que le grief de la requérante ne soulève aucune question distincte sur le terrain de l’article 14 de la Convention combiné avec les articles 6§1 et 8. En effet, le grief de la requérante relatif à la discrimination qu’elle aurait subie à raison de sa transsexualité coïncide en pratique, bien que présenté sous un angle différent, avec la plainte déjà examinée au regard des articles 6§1 et, plus particulièrement, 8 de la Convention. |
ECLI : | CE:ECHR:2003:0612JUD003596897 |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-65699 |