Document public
Titre : | Arrêt relatif au caractère proportionné de l’usage de la force par un policier ayant blessé par arme un individu lors de son interpellation et à l’ineffectivité de l’enquête menée sur les faits : Chebab c. France |
Titre précédent : | |
Auteurs : | Cour européenne des droits de l'homme, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 23/05/2019 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 542/13 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Géographie] France [Mots-clés] Violence [Mots-clés] Arme à feu [Mots-clés] Enquête [Mots-clés] Interpellation [Mots-clés] Relation avec les professionnels de la sécurité [Mots-clés] Droit à la vie [Mots-clés] Police nationale [Mots-clés] Usage de la force [Mots-clés] Ivresse publique et manifeste [Mots-clés] Procédure [Mots-clés] Procédure pénale [Mots-clés] Durée de la procédure [Mots-clés] Non-respect de la procédure |
Résumé : |
L’affaire concerne l’usage de la force par un fonctionnaire de la brigade canine à l’égard du requérant qui a été blessé par arme lors de son interpellation dans la matinée du 8 mars 2000 ainsi que les investigations effectuées sur ces faits.
Suite à l’appel d’un résident qui avait sollicité l’intervention des forces de l’ordre indiquant que deux hommes tentaient de cambrioler les appartements, des policiers ont été dépêchés sur place. Le résident a précisé que l’un de deux individus avait escaladé le mur jusqu’à sa propre fenêtre et que les intéressés étaient encore menaçants. Des fonctionnaires de la brigade canine, dont le fonctionnaire ayant tiré par la suite sur le requérant, ont pris contact avec le résident qui les a accompagnés à l’arrière de l’immeuble et leur a désigné deux hommes ivres, dont le requérant, qui étaient assis sur un banc situé à proximité d’un étang, au bord d’un chemin séparé du parterre de l’immeuble par un petit grillage. Les deux enquêteurs se sont alors dirigés vers les intéressés et ont procédé à leur interpellation. Au cours de cette dernière, l’un des fonctionnaires a fait usage de son arme de service en tirant un coup de feu qui a blessé le requérant au niveau du cou et de l’épaule droite. Par la suite, il a indiqué à ses collègues que l’homme l’avait menacé avec un couteau. Invoquant l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, le requérant se plaint de la mise en danger de sa vie du fait de l’usage de la force par un policier. Il allègue, en outre, que les investigations effectuées par les autorités nationales n’ont pas satisfait aux exigences de l’article 2. La Cour européenne des droits de l’homme conclut, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation du volet matériel de l’article 2 de la Convention. En l’espèce, la Cour estime avec les juridictions nationales que, appelé en pleine nuit à intervenir sur une tentative de cambriolage, face à un individu ivre et agressif, le policier, acculé contre un grillage, a raisonnablement pu penser qu’il lui fallait utiliser son arme pour neutraliser la menace constituée par le requérant. Le caractère sincère et honnête de cette conviction n’a pas été remis en cause lors de l’enquête, quelles que soient ses imperfections. La Cour admet donc que le recours à la force contre l’intéressé procédait d’une intime conviction s’appuyant sur des raisons qui pouvaient paraître légitimes au moment des faits. En juger autrement serait imposer à l’État une charge irréaliste, dont les responsables de l’application des lois ne pourraient s’acquitter dans l’accomplissement de leurs fonctions, sauf à mettre en péril leur vie et celle d’autrui. Elle juge donc que, compte tenu des éléments à sa disposition, l’usage de la force, aussi regrettable qu’il soit, n’a pas dépassé ce qui était « absolument nécessaire » pour « assurer la défense de toute personne contre la violence » et, notamment, « effectuer une arrestation régulière ». De surcroît, il n’a pas été établi au-delà de tout doute raisonnable qu’une force inutilement excessive a été employée en l’espèce. En revanche, la CEDH juge qu’il y a eu violation du volet procédural de l’article 2 de la Convention. Elle note que c’est à l’initiative du requérant qu’une information judiciaire a été ouverte, plus de deux ans après les faits, concernant l’usage de la force. Or, selon la Cour, les autorités doivent agir d’office, dès que l’affaire est portée à leur attention et ne peuvent laisser à la victime l’initiative de déposer une plainte formelle ou d’assurer la responsabilité d’une procédure d’enquête. Ensuite, la Cour note que l’enquête sur les faits reprochés au requérant, dès sa phase initiale, a souffert de nombreuses lacunes qui auraient pu être évitées. Le juge national a notamment jugé que l’imprécision des procès-verbaux ne permettait pas de connaître le lieu et le moment précis de la découverte du couteau et que les interventions multiples pratiquées sur cet objet interdisaient toute constatation propre à la manifestation de la vérité. La Cour note également que le juge national a prononcé la nullité de la procédure en raison du caractère tardif de la notification au requérant de ses droits en garde à vue. Elle observe par ailleurs que les auditions des fonctionnaires de police de la BAC, intervenus sur les lieux peu après les faits, ont été rédigées dans des termes absolument identiques, à l’exception d’un paragraphe. De plus, les premières auditions dans le cadre de l’enquête ont tout d’abord été réalisées par l’officier de police judiciaire de permanence du commissariat, auquel était affecté le policier en cause. La Cour constate que les lacunes de cette première phase d’enquête et le retard avec lequel une enquête sur les blessures subies par le requérant a été ouverte ont eu des conséquences sur l’effectivité de la procédure devant le juge d’instruction. Aux yeux de la Cour, les irrégularités procédurales et la perte d’éléments de preuves, essentiels pour la recherche de la vérité, ont affecté le caractère adéquat de l’enquête. Les autorités n’ont pas pris les mesures qui leur étaient raisonnablement accessibles pour que fussent recueillies les preuves concernant l’incident. Le requérant mettait également en cause l’indépendance et l’impartialité des services d’enquête. La Cour considère, en l’espèce, que le fait que les investigations aient été conduites sous l’autorité du parquet ne pose pas, en soi, de problème de conformité à la Convention et constitue au contraire une garantie supplémentaire. Concernant le choix des services d’enquête, la Cour relève que, dans un premier temps, l’enquête a été menée par le commissariat dans lequel travaille le policier ayant fait usage de son arme. Elle observe d’ailleurs que c’est ce service qui est à l’origine d’irrégularités procédurales importantes. Or, la Cour a déjà conclu à un manque d’indépendance de l’enquête lorsque les personnes chargées de celle-ci étaient des collègues immédiats de la personne visée par l’enquête ou pouvaient vraisemblablement l’être. Cependant, au regard de l’examen concret et dans son ensemble de l’indépendance de l’enquête, la Cour relève que très peu d’actes ont été effectués par ce commissariat et que dans un souci évident d’impartialité des investigations, le parquet a saisi, dès 9 h 15 du matin de l’incident, le service régional de police judiciaire, service d’enquête distinct et extérieur à celui dans lequel le fonctionnaire mis en cause exerçait ses fonctions. De plus, le juge d’instruction a par la suite saisi l’inspection générale de la police nationale (IGPN). Si ces choix de saisine des services enquêteurs n’ont pas porté atteinte à l’impartialité de l’enquête, la Cour considère néanmoins qu’une saisine plus rapide de l’IGPN et d’un juge d’instruction auraient pu avoir des conséquences positives sur l’effectivité de la procédure. S’agissant de la célérité de la procédure, la Cour observe que douze années se sont écoulées entre les faits intervenus le 8 mars 2000 et l’arrêt de la Cour de cassation, du 26 juin 2012. L’instruction en elle-même a été relativement longue, s’étant déroulée sur près de huit années. Ces éléments conduisent la Cour à conclure que les procédures concernant l’incident du 8 mars 2000 ne sauraient passer pour une enquête rapide et effective. En conséquence, les autorités françaises n’ont pas respecté l’obligation procédurale découlant de l’article 2 de la Convention. |
ECLI : | CE:ECHR:2019:0523JUD000054213 |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Relation avec les professionnels de la sécurité |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-193082 |