Document public
Titre : | Décision 2019-074 du 22 mars 2019 relative à une tierce intervention devant la Cour européenne des droits de l'homme portant sur le placement en rétention administrative d'enfant dans le cadre de la requête M.D. c. France |
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Auteurs : | Défenseur des Droits, Auteur ; Défense des enfants, Auteur |
Type de document : | Décisions |
Année de publication : | 22/03/2019 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 2019-074 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Documents internes] Observations devant une juridiction [Documents internes] Observations devant une juridiction avec décision rendue [Documents internes] Position suivie d’effet [Documents internes] Tierce intervention [Documents internes] Visa CEDH [Documents internes] Visa de la CIDE [Mots-clés] Convention européenne des droits de l'homme [Mots-clés] Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) [Mots-clés] Rétention administrative [Mots-clés] Enfant [Mots-clés] Droits de l'enfant [Mots-clés] Mineur étranger [Mots-clés] Justice [Mots-clés] Relation des usagers avec les services publics [Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Discrimination directe [Mots-clés] Nationalité [Mots-clés] Libertés publiques et individuelles |
Résumé : |
Le Défenseur des droits a été autorisé par la CEDH à intervenir en qualité de tiers-intervenant dans l’affaire M.D. c. France (n° 57035/18), communiquée au Gouvernement le 6 décembre 2018, soulevant la question de la conformité du placement en rétention administrative d’enfants aux articles 3, 5 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales,
Bien que le principe d’interdiction d’un tel placement soit inscrit dans la loi, le Défenseur des droits relève, d’une part, que celui-ci souffre de plusieurs dérogations, qui tendent à légaliser cette pratique, d’autre part, que le nombre d’enfants placés en rétention administrative a triplé depuis 2012. Il a également fait état des situations dont il est saisi régulièrement. Le Défenseur des droits a rappelé que la rétention administrative des enfants est prohibée par la CIDE. Le 21 février 2018, la Présidente du Comité des droits de l’enfant a exhorté les Etats de l’Union européenne à mettre fin à cette pratique, rappelant qu’elle est contraire à l’intérêt supérieur et les droits de l’enfant. En outre, il est établi que le placement d’enfants en rétention administrative produit des effets néfastes sur leur santé et leur développement. Pour cette raison, le Défenseur des droits a appelé la Cour à aligner sa jurisprudence actuelle sur le niveau de protection exigé par la CIDE. Si la jurisprudence de la Cour en la matière, en particulier Popov c. France, constitue une avancée significative dans la prohibition de l’enfermement des enfants migrants, le placement d’enfants en rétention administrative n’est constitutif d’une violation des articles 3, 5 et 8 de la Convention que si un certain nombre d’éléments sont réunis dans le cas d’espèce. Au soutien de sa position, le Défenseur des droits a fait valoir qu’en vertu de l’article 1er de la Convention et de la jurisprudence constante de la Cour, les Etats contractants sont responsables de toutes les actions et omissions de leurs organes, que celles-ci découlent du droit interne ou d’obligations juridiques internationales. Les engagements conventionnels contractés par les Etats, tels que la CIDE, peuvent donc engager leur responsabilité au regard de cet instrument. En conséquence, la CIDE étant le texte de référence pour la protection des droits de l’enfants et ayant été ratifiée par l’ensemble des membres du Conseil de l’Europe, le Défenseur des droits a appelé la Cour à interpréter la Convention à l’aune des exigences de la CIDE, telle qu’interprétée par le Comité des droits de l’enfant, et à prohiber le recours au placement en rétention administrative des enfants. Cet alignement jurisprudentiel s’avère d’autant plus justifié eu égard aux prises de position de plusieurs instances européennes. |
NOR : | DFDK1900074S |
ELI : | https://juridique.defenseurdesdroits.fr/eli/decision/2019/03/22/00074/aa/texte |
Suivi de la décision : |
Le 22 juillet 2021, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu un arrêt M.D. et A.D. visant la France, aux termes duquel elle a constaté une violation des articles 3 et 5 de la Convention. Cette affaire concerne le placement en rétention administrative d’une mère et de son nourrisson, âgé de quatre mois, pendant onze jours. Le Défenseur des droits est intervenu devant la Cour en qualité de tiers-intervenant. Dans sa décision, il a développé des arguments allant dans le sens d’une violation de ces articles. A titre préliminaire, dans son arrêt, la Cour a rappelé que le placement d’enfants mineurs en rétention administrative soulève des questions spécifiques dans la mesure où qu’ils soient accompagnés ou non, ils sont particulièrement vulnérables et appellent à une prise en charge spécifique compte tenu de leur âge et de leur absence d’autonomie. La Cour a conclu à une violation de l’article 3 (interdiction de traitement inhumain ou dégradant) compte tenu du jeune âge de l’enfant (4 mois), des conditions de rétention et de la durée de la mesure (11 jours). D’emblée, elle a rappelé que, d’une part, la présence de la mère n’est pas de nature à exonérer les autorités de leur obligation de protéger l’enfant mineur et de prendre des mesures adéquates au titre de leurs obligations positives, d’autre part, la situation de particulière vulnérabilité de l’enfant mineur est déterminante et prévaut sur la qualité d’étranger en séjour irrégulier de son parent. Outre l’âge du nourrisson - quatre mois -, la Cour a relevé que les conditions d’accueil du centre – bien qu’au nombre de ceux habilités à recevoir des familles n’étaient pas suffisamment adaptées à la rétention d’un nourrisson et de sa mère (sérieuses nuisances sonores provenant des pistes de décollage de l’aéroport, amplifiées par les annonces par haut-parleur, séparation des autres zones par un simple grillage, caractère inadapté et sommaire des équipements pour répondre aux besoins spécifiques d’un nourrisson). Elle a ajouté que ces conditions sont « de nature à avoir entraîné un effet particulièrement néfaste » sur l’enfant. Sur la durée de la rétention, la Cour a considéré que le refus de la mère d’embarquer n’est pas déterminant quant à la question de savoir si le seuil de gravité prohibé est franchi à l’égard de l’enfant mineur. La mesure de rétention qui a duré 11 jours dans les conditions indiquées et qui n’a cessé qu’à la suite de la mesure provisoire prononcée par la Cour a donc été excessive. La Cour a enfin ajouté que la mère a également subi un traitement contraire à l’article 3 eu égard « aux liens inséparables qui unissent une mère et son bébé de quatre mois, aux interactions qui résultent de l’allaitement et aux émotions qu’ils partagent ». La Cour a également conclu à une violation de l’article 5 §§ 1 et 4 (droit à la liberté et à la sûreté). Sur l’article 5 § 1 f), elle a rappelé au préalable que le placement puis le maintien en rétention d’un enfant mineur accompagnant ses parents ne sont conformes aux exigences de l’article qu’à la condition que les autorités internes établissent qu’elles ont recouru à ces mesures en dernier ressort, seulement après avoir recherché effectivement qu’aucune autre moins attentatoire à la liberté ne pouvait être mise en œuvre. En l’espèce, la Cour a relevé avec satisfaction que la législation française a été modifiée et qu’elle prévoit notamment « dans le respect des exigences de l’article 5 § 1 telles qu’elles découlent de la jurisprudence de la Cour, que la rétention administrative d’un enfant mineur ne peut être décidée qu’en dernier ressort et pour une durée aussi brève que possible ». Bien qu’elle applique le principe de subsidiarité, en présence d’un mineur, la Cour décide de contrôler in concreto si la mesure litigieuse est nécessaire pour atteindre le but qu’elle poursuit. À ses yeux, les éléments en l’espèce sont suffisants pour établir que les autorités internes n’ont pas effectivement vérifié que le placement initial en rétention administrative de la mère et de son nourrisson puis sa prolongation constituaient des mesures de dernier ressort auxquelles aucune autre moins restrictive ne pouvait être substituée. La Cour a rappelé ensuite que l’article 5 § 4 demande à ce que les juridictions internes vérifient, dans le cadre de leur contrôle, la présence d’enfants mineurs et recherchent « de façon effective » s’il est possible de recourir à une mesure alternative à leur placement et maintien en rétention. En l’espèce, elle a critiqué le contrôle du juge judiciaire et lui a reproché ce qui suit : l’absence de véritable contrôle des conditions concrètes dans lesquelles le nourrisson était privé de liberté ; l’absence de prise en considération sérieuse des mesures d’assignation à résidence précédentes dont les requérantes avaient fait l’objet et qui avaient été respectées ; l’insuffisante prise en compte de la présence du nourrisson et de son statut d’enfant mineur avant d’apprécier la légalité du placement initial et d’ordonner la prolongation de la mesure pour une durée de 28 jours, alors que la loi dispose que « [l]’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ». La Cour a conclu que « [c]ette absence de vérification effective des conditions qui concernent tant la légalité de la mesure de rétention en droit interne que le principe de légalité au sens de la Convention est particulièrement imputable aux juridictions internes auxquelles il incombait de s’assurer effectivement de la légalité du placement initial puis du maintien en rétention de l’enfant mineur ». |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Privation de liberté |
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