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Titre : | Avis consultatif relatif au fait que le droit au respect de la vie privée d’un enfant né d’une mère porteuse, ne requiert pas que la reconnaissance en droit français du lien de filiation entre la mère d’intention et l’enfant se fasse par la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance étranger |
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Accompagne : | |
Auteurs : | Grande Chambre, Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 10/04/2019 |
Numéro de décision ou d'affaire : | P16-2018.001 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Bioéthique [Mots-clés] Gestation pour autrui (GPA) [Mots-clés] Maternité [Mots-clés] Filiation [Mots-clés] État civil [Mots-clés] Enfant [Mots-clés] Respect de la vie privée et familiale |
Résumé : |
Par un arrêt rendu le 5 octobre 2018, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a adressé une demande d’avis consultatif à la Cour européenne des droits de l’homme en lui demandant si, en refusant de transcrire l’acte de naissance sur les registres de l’état civil français s’agissant de la mère d’intention, alors que la transcription a été admise pour le père biologique de l’enfant, un Etat-partie méconnaît l’article 8 de la Convention à l’égard tant de la mère d’intention que des enfants nés d’une gestation pour autrui à l’étranger. A cet égard, la Cour de cassation s’interrogeait sur le point de savoir s’il y a lieu de distinguer selon que l’enfant a été conçu ou non avec les gamètes de la mère d’intention. Enfin, se pose également la question de savoir si la possibilité pour la mère d’intention d’adopter l’enfant de son conjoint, père biologique, qui constitue une voie permettant d’établir la filiation à son égard, suffit à répondre aux exigences de l’article 8 de la Convention.
En l’espèce, l'affaire porte sur le refus des autorités françaises de transcrire les actes de naissances des jumelles nées d’une mère porteuse en octobre 2000 aux États-Unis sur les registres de l’état civil français au motif qu’en France, il est contraire au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes - principe essentiel du droit français - de faire produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public. Les requérants sont des parents d’intention, ressortissants français, et leurs enfants, conçues grâce aux ovules d’une amie du couple. Le contrat avec la mère porteuse a été conclu conformément au droit américain et homologué par le juge californien. Le père biologique a été désigné comme « père génétique » et la mère d’intention comme « mère légale » des enfants à naître. Concernant la désignation de la mère dans les actes de naissance, la « réalité » au sens de l’article 47 du code civil est, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, celle de réalité de l’accouchement. La Cour de cassation a demandé à la CEDH si, en refusant de transcrire l’acte de naissance sur les registres de l’état civil français s’agissant de la mère d’intention, alors que la transcription a été admise pour le père biologique de l’enfant, un Etat-partie méconnaît l’article 8 de la Convention à l’égard tant de la mère d’intention que des enfants nés d’une gestation pour autrui à l’étranger. A cet égard, la Cour de cassation s’interrogeait sur le point de savoir s’il y a lieu de distinguer selon que l’enfant a été conçu ou non avec les gamètes de la mère d’intention. Enfin, se pose la question de savoir si la possibilité pour la mère d’intention d’adopter l’enfant de son conjoint, père biologique, qui constitue une voie permettant d’établir la filiation à son égard, suffit à répondre aux exigences de l’article 8 de la Convention. Après avoir procédé à une étude de droit comparé concernant la GPA et l’établissement ou la reconnaissance de la filiation des enfants nés d’une mère porteuse, couvrant 43 États parties à la Convention autre que la France, la CEDH, statuant en formation de Grande chambre, considère que l'absence de reconnaissance d’un lien de filiation entre un enfant né d’une GPA pratiquée à l’étranger et la mère d’intention a des conséquences négatives sur plusieurs aspects du droit de l’enfant au respect de la vie privée. D’un point de vue général, il défavorise l’enfant dès lors qu’il le place dans une forme d’incertitude juridique quant à son identité dans la société. Elle considère que l’intérêt supérieur de l’enfant comprend aussi l’identification en droit des personnes qui ont la responsabilité de l’élever, de satisfaire à ses besoins et d’assurer son bien-être, ainsi que la possibilité de vivre et d’évoluer dans un milieu stable. Toutefois, la Cour considère que l’impossibilité générale et absolue d’obtenir la reconnaissance du lien entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention n’est pas conciliable avec l’intérêt supérieur de l’enfant, qui exige pour le moins un examen de chaque situation au regard des circonstances particulières qui la caractérise. Elle considère que les États parties disposent d’une marge d’appréciation atténuée en la matière. Malgré une certaine évolution vers la possibilité d’une reconnaissance juridique du lien de filiation entre les enfants nés d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et les parents d’intention, il n’y a pas consensus en Europe sur cette question. Selon la Cour, ce qui est en jeu dans le contexte de la reconnaissance d’un lien de filiation entre des enfants nés à l’issue d’une gestation pour autrui et les parents d’intention dépasse en réalité la question de l’identité de ces enfants. D’autres aspects essentiels de leur vie privée sont concernés dès lors que sont en question l’environnement dans lequel ils vivent et se développent et les personnes qui ont la responsabilité de satisfaire à leurs besoins et d’assurer leur bien-être. Ceci conforte le constat de la Cour quant à la réduction de la marge d’appréciation. Prenant en compte les exigences de l’intérêt supérieur de l’enfant et la réduction de la marge d’appréciation des États, la Cour est d’avis que, dans une situation telle qu’en l’espèce, le droit au respect de la vie privée, au sens de l’article 8 de la Convention, d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une gestation pour autrui, requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la « mère légale ». Bien que le litige interne ne concerne pas le cas d’un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et conçu avec les gamètes de la mère d’intention, la Cour juge important de préciser que, lorsque la situation est par ailleurs similaire à celle dont il est question dans ce litige, la nécessité d’offrir une possibilité de reconnaissance du lien entre l’enfant et la mère d’intention vaut a fortiori dans un tel cas. Quant à la question de savoir si le droit au respect de la vie privée de l’enfant né d’une GPA pratiquée à l’étranger, dans la situation où l’enfant a été conçu avec les gamètes d’une tierce donneuse, requiert que cette reconnaissance se fasse par la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance légalement établi à l’étranger, ou s’il admet qu’elle puisse se faire par d’autres moyens, tels que l’adoption de l’enfant par la mère d’intention, la Cour considère qu’on ne saurait déduire de l’intérêt supérieur de l’enfant que la reconnaissance de filiation impose aux États de procéder à la transcription de l’acte de naissance étranger. La Cour considère que selon les circonstances de chaque cause, d’autres modalités peuvent également servir convenablement cet intérêt supérieur, dont l’adoption, qui, s’agissant de la reconnaissance de ce lien, produit des effets de même nature que la transcription de l’acte de naissance étranger. Ce qui compte c’est qu’au plus tard lorsque, selon l’appréciation des circonstances de chaque cas, le lien entre l’enfant et la mère d’intention s’est concrétisé, il y ait un mécanisme effectif permettant la reconnaissance de ce lien. Une procédure d’adoption peut répondre à cette nécessité dès lors que ses conditions sont adaptées et que ses modalités permettent une décision rapide, de manière à éviter que l’enfant soit maintenu longtemps dans l’incertitude juridique quant à ce lien. Il va de soi que ces conditions doivent inclure une appréciation par le juge de l’intérêt supérieur de l’enfant à la lumière des circonstances de la cause. En somme, vu la marge d’appréciation dont disposent les États s’agissant du choix des moyens, d’autres voies que la transcription, notamment l’adoption par la mère d’intention, peuvent être acceptables dans la mesure où les modalités prévues par le droit interne garantissent l’effectivité et la célérité de leur mise en œuvre, conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant. La CEDH note que la Cour de cassation a indiqué dans sa demande d’avis que la loi française facilite l’adoption de l’enfant du conjoint et qu’il peut s’agir d’une adoption plénière ou d’une adoption simple. Elle note que le gouvernement français a fait ainsi valoir qu’entre le 5 juillet 2017 et le 2 mai 2018 la quasi-totalité des demandes d’adoption entre conjoints concernant des enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui ont été satisfaites. La Cour relève cependant que cette procédure n’est ouverte qu’aux parents d’intention mariés. De plus, il ressort notamment des observations en intervention du Défenseur des droits que des incertitudes persistent quant aux modalités de l’adoption de l’enfant du conjoint dans ce contexte, s’agissant par exemple de la nécessité d’obtenir le consentement préalable de la mère porteuse. Ceci étant, il n’appartient pas à la CEDH de se prononcer dans le cadre de son avis consultatif sur l’adéquation du droit français de l’adoption avec les critères énoncés ci-dessus. Il revient au juge interne de le faire, en tenant compte de la situation fragilisée dans laquelle se trouvent les enfants tant que la procédure d’adoption est pendante. Enfin, la CEDH souligne qu’est consciente de la complexité des questions que pose la gestation pour autrui et observe que la conférence de La Haye de droit international privé a entrepris des travaux destinés à proposer une convention internationale permettant d’y répondre sur la base de principes acceptés par les États qui adhéreront à cet instrument. Elle rend donc, à l’unanimité, l’avis suivant : « Dans la situation où, comme dans l’hypothèse formulée dans les questions de la Cour de cassation, un enfant est né à l’étranger par gestation pour autrui et est issu des gamètes du père d’intention et d’une tierce donneuse, et où le lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention a été reconnu en droit interne : 1. le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8 de la Convention, requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la « mère légale » ; 2. le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8 de la Convention, ne requiert pas que cette reconnaissance se fasse par la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance légalement établi à l’étranger ; elle peut se faire par une autre voie, telle que l’adoption de l’enfant par la mère d’intention, à la condition que les modalités prévues par le droit interne garantissent l’effectivité et la célérité de sa mise en œuvre, conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant. » |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Bioéthique |
En ligne : | http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=003-6380431-8364345 |
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