Document public
Titre : | Jugement relatif au caractère non-discriminatoire du contrôle d’identité de trois lycéens à la sortie d’un train en provenance de l’étranger alors qu’ils rentraient d’un voyage scolaire |
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est cité par : | |
Auteurs : | Tribunal de grande instance de Paris, Auteur |
Type de document : | Jurisprudences |
Année de publication : | 17/12/2018 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 17/06214 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Mots-clés] Discrimination [Mots-clés] Discrimination non caractérisée [Mots-clés] Origine [Mots-clés] Race, Ethnie [Mots-clés] Contrôle d'identité [Mots-clés] Profilage ethnique [Mots-clés] Relation avec les professionnels de la sécurité [Mots-clés] Lycée [Mots-clés] Transport [Mots-clés] Transport ferroviaire [Mots-clés] Transport public [Mots-clés] Preuve [Mots-clés] Sortie scolaire |
Résumé : |
L’affaire concerne trois élèves de classe terminale ayant fait l’objet d’un contrôle d’identité par les forces de l’ordre, alors qu’ils se trouvaient dans l’enceinte d’une gare ferroviaire et qu’ils sortaient d’un train en provenance de Belgique, en compagnie de professeurs et d’autres élèves, de retour d’un voyage scolaire. Estimant avoir étés victimes d’un contrôle d’identité discriminatoire fondé sur leur origine en violation du droit européen, international et la loi du 27 mai 2018, les trois élèves ont assigné l’agent judiciaire de l’État, sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, en paiement par l’État d’une somme au titre du préjudice moral qu’ils estiment avoir subi.
Le Défenseur des droits a présenté des observations devant le tribunal saisi. Il soutient que la charge de la preuve doit être aménagée et que le faisceau d’indices présenté en l’espèce est suffisant pour laisser présumer l’existence d’une discrimination. Il conclut qu'il appartient à l’État de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Par trois jugements (dont deux identiques), le tribunal de grande instance considère que les trois contrôles d’identité ont eu lieu en exécution des réquisitions du procureur de la République, prises sur le fondement de l’article 78-2, alinéa 6 du code de procédure pénale, tendant à faire procéder, dans l’enceinte de la garde, le 1er mars 2017 de 15 à 21h, à des contrôles d’identité avec inspections visuelle et fouilles de bagages, aux fins de rechercher des auteurs d’actes de terrorisme, d’infractions à la législations sur les armes, de vols, d’infractions à la législation sur les stupéfiants. Le tribunal considère que la réquisition du procureur de la République ne fait pas obstacle en soi au caractère éventuellement discriminatoire du contrôle. Il considère que la responsabilité de l’État mise en œuvre sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, suppose une faute lourde résultant d’une déficience caractérisée par un fait ou série des faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi. Ces dispositions s’appliquent également aux opérations accomplies par les agents de la police judiciaire, comme en l’espèce. Quant à l’existence d’une discrimination, le tribunal considère que les études et statistiques produites attestent de la fréquence de contrôles d’identité effectués, selon des motifs discriminatoires sur une même catégorie de population résultant de leur origine ethnique, réelle ou supposée. Le tribunal doit donc déterminer si les opérations de contrôle contestées ont visé exclusivement un type de population en raison de sa couleur de peau ou de son origine et de dire si le droit à la liberté de circulation des trois élèves a fait l’objet d’une restriction tenant exclusivement à leur origine ethnique. Le tribunal estime que la faute lourde peut être constituée lorsqu’il est établi que le contrôle d’identité est réalisé selon des critères tirés de caractéristiques physiques associées à une origine, réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable, ce qui présente indéniablement un caractère discriminatoire. S’agissant de la charge de la preuve, le tribunal rappelle qu’il résulte des articles 1315 du code civil et 9 du code de procédure pénale, qu’il incombe à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention. Il considère que, contrairement à ce que soutiennent les trois intéressés et le Défenseur des droits, la charge de la preuve ne pèse pas en premier lieu sur l’agent judiciaire de l’État en ce qu’il devrait prouver a priori qu’il n’y a pas eu contrôle discriminatoire, mais bien sur la personne contrôlée qui doit apporter des éléments de faits objectifs. Le tribunal ajoute que toutefois, les aménagements ont été apportés sur la charge de la preuve en matière de discrimination par le Cour européenne des droits de l’homme et le Conseil d’État et la Cour de cassation. Il appartient à celui qui se prétend victime de discrimination de soumettre des éléments de fait susceptibles de faire présumer du sérieux de ses allégations. Le tribunal considère que, si l’utilisation des données statistiques, comme l’évoque notamment le Défenseur des droits, est admise par la Cour européenne des droits de l’homme pour faire naître la présomption de discrimination, l’objet de la preuve est d’établir la réalité de la différence de traitement fondée sur une caractéristique protégée et pour laquelle aucune justification ne peut être retenue. Il appartient en conséquence aux trois intéressés d’apporter des éléments de fait de nature à traduire une différence de traitement laissant présumer l’existence d’une discrimination et à l’État de démontrer l’absence de différence de traitement, ou bien, que celle-ci est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. En l’espèce, les trois intéressés produisent treize attestations de témoins (la professeure, l’accompagnateur de la classe et onze élèves) dont il résulte que les trois lycéens ont été contrôlés ainsi que leurs bagages à la sortie du train et qu’il y a eu un échange vif entre les agents et les intéressés, puis avec la professeure. Interrogés sur le motif du contrôle, un policier aurait répondu qu’il avait reçu un appel selon lequel l’un des élèves avait un casier judiciaire. En réponse, il ressort du rapport rédigé par le brigadier de police concernant deux des trois élèves, qu’il s’est dirigé vers le quai d’accès aux trains en provenance de Belgique et que muni de la réquisition judiciaire, dans le contexte d’actes de terrorisme et de trafic de stupéfiants, il a procédé aux contrôles de deux personnes, en possession de deux gros sacs. Il affirme qu’il a palpé lui-même les deux individus et qu’il n’a trouvé rien de dangereux ou d’illicite. Le brigadier précise qu’il ne s’était pas rendu compte que les deux personnes contrôlées faisant partie d’un groupe scolaire, car ils se tenaient à l’écart du groupe. Il contredit les affirmations de la professeure. Il conclut qu’il n’avait pas choisi de contrôler les intéressés sur des critères discriminants. Le tribunal considère qu’il apparaît que, même si l’intéressé se tenait à l’écart du groupe scolaire, à la sortie du train, il n’était pas bien éloigné des camarades de sa classe, qui était composée en son intégralité d’élèves d’origine étrangère, comme le décrit avec une grande précision la professeure qui accompagnait le groupe. Le contrôle a porté sur trois élèves de la classe. Le tribunal énonce qu’il convient de vérifier si le traitement des élèves a été différenciée, sans justification raisonnable, alors qu’ils étaient placés dans des situations comparables. Le tribunal considère qu’en l’espèce, au vu de la description de la classe, contrairement à ce que prétend les trois intéressés, la discrimination ne peut pas être fondée sur son appartenance raciale ou ethnique, réelle ou perçue, dès lors que tous les élèves de la classe sont décrits par la professeure comme étant d’origine étrangère. De son côté, l’agent judiciaire de l’État réplique que le contrôle était proportionnel et nécessaire, les deux élèves avaient un sac de voyage volumineux, ce qui a justifié leur contrôle à la descente du train en provenance de Belgique, aux fins de prévenir et réprimer le trafic de stupéfiants sur le secteur international de la gare. Quant au troisième élève contrôlé, même si les services de police n’ont pas dressé de rapport concernant son contrôle, il n’est pas contesté qu’il descendait d’un train en provenance de Bruxelles. Le contrôle entrait en conséquence dans le cadre de la réquisition du procureur de la République. Le tribunal conclut que les contrôles effectuées dans un objectif légitime de maintien de l’ordre, sans discrimination fondée sur l’origine, ne peuvent pas être considérées comme ayant été discriminatoires. Il ajoute qu’il ne peut être reproché aux services de police de n’avoir contrôlé que trois élèves, dès lors qu’à la suite de la réquisition du procureur, seuls des contrôles aléatoires pouvaient être effectués. Les requêtes de trois requérants sont rejetées et ils sont condamnés aux dépens. |
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