Document public
Titre : | Décision 2018-148 du 23 mai 2018 relative à une tierce intervention devant la Cour européenne des droits de l'homme dans plusieurs affaires illustrant les difficultés rencontrées par les personnes détenues pour faire respecter leurs droits |
Voir aussi : | |
Accompagne : |
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Auteurs : | Défenseur des droits, Auteur ; Justice et libertés, Auteur |
Type de document : | Décisions |
Année de publication : | 23/05/2018 |
Numéro de décision ou d'affaire : | 2018-148 |
Langues: | Français |
Mots-clés : |
[Documents internes] Observations devant une juridiction [Documents internes] Observations devant une juridiction avec décision rendue [Documents internes] Tierce intervention [Documents internes] Position partiellement suivie d’effet [Mots-clés] Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) [Mots-clés] Administration pénitentiaire [Mots-clés] Droit des détenus [Mots-clés] Traitement inhumain et dégradant [Mots-clés] Libertés publiques et individuelles [Mots-clés] Conditions matérielles indignes [Mots-clés] Torture [Mots-clés] Surpopulation carcérale [Mots-clés] Droit à un recours effectif [Mots-clés] Conditions d'accueil [Mots-clés] Respect de la personne [Géographie] France |
Résumé : |
Ayant pris connaissance des requêtes introduites contre la France dans l’affaire A.B., ainsi que dans les affaires Klapucki, A.B., R.M. et A.T., E.C., M.N., et Mixtur devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), illustrant les difficultés rencontrées par les personnes détenues pour faire respecter leurs droits en raison de la surpopulation carcérale persistante, notamment les droits de ne pas subir de conditions de détention indignes et de disposer de recours internes effectifs propres à les faire cesser, le Défenseur des droits a été autorisé par la CEDH à intervenir en qualité de tiers-intervenant dans la procédure.
Après avoir présenté les compétences de l’institution et ses constats sur la surpopulation carcérale en France, le Défenseur des droits a rappelé la jurisprudence de la Cour sur le droit des détenus à ne pas subir de conditions de détentions indignes au regard de l’article 3 de la Convention, ainsi que l’exigence de recours internes effectifs au regard de l’article 13 de la Convention. Il a souligné que les causes de la surpopulation carcérale importent peu pour l’analyse de la Cour. En effet, selon sa jurisprudence, l’État a l’obligation d’organiser son système pénitentiaire de façon à assurer le respect de la dignité des personnes détenues, quelles que soient les difficultés financières ou logistiques rencontrées. Il ressort des arrêts de la CEDH rendus dans des affaires dénonçant le caractère indigne des conditions de détention que la taille de l’espace minimum vital ou personnel est un critère central de son raisonnement. Elle adopte une approche différenciée selon que l’espace vital pour un individu est inférieur à 3m2, compris entre 3 et 4m2, ou supérieur à 4m2. Outre que cette approche est différente de celle du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) et des organes de la Convention interaméricaine des droits de l’homme, le Défenseur des droits a mis en avant d’autres difficultés : les divergences d’appréciation techniques au sein des États parties, l’imprécision des textes français ainsi que l’absence de mise en œuvre effective du principe de l’encellulement individuel. Dans ce contexte, le droit de toute personne détenue à bénéficier d’un recours interne effectif permettant de mettre fin rapidement à des conditions de détention contraires à l’article 3 de la Convention revêt une importance particulière. Or, concernant la France, il ressort de l’analyse des différents recours internes existants et de leur effectivité au regard de l’article 13 que les détenus soumis à des conditions indignes causées par la surpopulation carcérale, la vétusté et/ou l’insalubrité des locaux, ne semblent toujours pas disposer de recours préventifs effectifs, leur permettant de mettre fin rapidement à ces conditions de détention. En l’absence de tels recours, il appartiendra à la Cour d’indiquer à la France de prendre des mesures générales de nature à assurer de manière concrète l’effectivité des recours internes. Enfin, dans l’éventualité où la Cour recourrait à la procédure de l’arrêt pilote, le Défenseur des droits a invité la Cour à ne pas ajourner ni les présentes requêtes, ni l’examen d’autres affaires similaires pendantes. |
NOR : | DFDL1800148S |
Suivi de la décision : |
La CEDH a considéré dans un premier temps que le référé-liberté n’était pas un recours préventif effectif dès lors que les mesures prises par le juge des référés ne peuvent avoir qu’un effet limité dans un contexte de surpopulation carcérale. La Cour estime ainsi que les mesures décidées par le juge des référés ne peuvent faire cesser que les conséquences, sur les individus, des violations de la Convention et non pas les causes de celles-ci. L’argumentaire de la Cour se fonde sur le fait que le juge ne peut prendre que des mesures provisoires. En effet, le juge administratif français n’a pas la possibilité de prendre, à long terme, des mesures nécessaires aux fins de résoudre les dysfonctionnements constatés. La Cour considère dès lors que le pouvoir d’injonction du juge des référés ne lui permet pas d’avoir une incidence immédiate sur les conditions matérielles de détention des personnes détenues. La Cour a ainsi relevé que les conditions d’intervention du juge administratif dans le cadre du référé-liberté étaient trop restrictives dans la mesure où l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale devait être appréciée eu égard aux moyens dont dispose l’administration ainsi qu’aux mesures qu’elle avait déjà mises en œuvre. En conséquence, la Cour a jugé que le référé-liberté ne répondait pas aux exigences conventionnelles tirées des articles 3 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Néanmoins, la Cour n’a pas retenu la position défendue par le Défenseur des droits, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté et la Commission nationale consultative des droits de l’Homme selon laquelle la législation française était trop imprécise quant à la définition de l’espace minimum vital des personnes détenues. En effet, la CEDH se fonde uniquement sur les critères, issus de sa jurisprudence, de présomption de violation de l’article 3 dès lors que les personnes détenues ne peuvent bénéficier d’au moins 3m² d’espace personnel. La CEDH se refuse ainsi à juger de l’opportunité de la législation française actuelle sur cette question de l’espace personnel devant être octroyé aux personnes détenues. Enfin, la question de la lenteur de la mise en œuvre du principe de l’encellulement individuel, inscrit dans la loi française depuis 1875, n’a pas été traitée par la Cour. Finalement, la CEDH constate que le taux d’occupation des prisons concernées révèle l’existence d’un problème structurel. Ainsi, la Cour recommande à l’Etat français d’adopter des mesures générales visant à supprimer la surpopulation carcérale et à améliorer les conditions matérielles de détention d’une part, et d’établir un recours préventif effectif d’autre part. |
Thématique Bulletin documentaire PDF : | Privation de liberté |
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